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» tence de la loi parle si puissamment, que l'exé» cution sembleroit devoir suivre sans retarde»ment; mais il importe d'employer tous les » moyens de conserver aux délibérations la gra»vité, la sagesse et la maturité nécessaires; et » pour des ministres responsables, il faut un » moyen de constater leurs opinions; si celui-là » eût existé, je ne m'adresserois pas par écrit en » ce moment à votre majesté.

» La vie n'est rien pour l'homme qui estime »ses devoirs au-dessus de tout; mais après le » bonheur de les avoir remplis, le bien auquel il » soit encore sensible, est celui de prouver qu'il » l'a fait avec fidélité, et cela même est une obli»gation pour l'homme public. »

Signe ROLAND.

Roland et les deux ministres qui s'étoient ralliés à lui,s'étoient flattés, sans doute, que la crainte que cette lettre ne fût rendue publique, préviendroit leur disgrâce, ou du moins en retarderoit l'époque; mais leurs espérances furent complétement trompées : le roi, indigné de cet excès d'audace, se décida sur-le-champ à ne pas différer le renvoi de ces trois ministres, et ils reçurent le lendemain l'ordre de remettre le porte-feuille de leur département à leurs successeurs.

Aussitôt que cette détermination fut prise, et avant qu'il en eût rien transpiré, j'en fus instruit

par une lettre que je reçus du roi, en réponse de celle que je lui avois écrite la veille, et dans laquelle je lui demandois ses ordres sur un pamphlet très-virulent qui attaquoit Dumouriez, et que l'auteur ne vouloit publier qu'autant que sa majesté ne le désapprouveroit pas. Le roi écrivit à la marge de cet article de ma lettre, la réponse suivante:

<< Empêchez qu'on ne publie rien contre Du» mouriez; il se conduit bien dans ce moment-ci; » il vient de m'aider à me débarrasser des trois » ministres qui vouloient me forcer à sanctionner » les deux décrets. »

Les trois ministres congédiés annoncèrent leur disgrâce au corps législatif par des lettres pleines de doléances patriotiques. «Forts et fiers de leurs consciences et de la pureté de leur dévouement à la chose publique, ils croyoient, disoient-ils, pouvoir compter sur la continuation des bontés de l'assemblée. » Personne, en effet, n'avoit plus de droit qu'eux à la protection des factieux qui en composoient la majorité. Aussi vit-on le côté gauche faire éclater, à la lecture de ces lettres, les murmures les plus violens, et se permettre Jes déclamations les plus indécentes sur la prétendue perfidie des manoeuvres qui avoient déterminé le renvoi de ces ministres citoyens, dont le mérite, l'intégrité et les services ne pouvoient pas étre révoqués en doute. Il fut proposé de

décréter sur-le-champ que ces trois ministres emportoient l'estime et les regrets de la nation, et cette proposition fut adoptée d'une voix presqu'unanime, et au bruit des applaudissemens de l'assemblée et des tribunes. Il fut décidé, en même-temps, que ce décret seroit envoyé aux quatre-vingt-trois départemens.

Roland n'avoit pas manqué de joindre à sa lettre une copie de celle qu'il avoit adressée au roi. La lecture en fut entendue avec enthousiasme, et interrompue aux phrases les plus insolentes, par les applaudissemens les plus vifs, et par des bravo. Enfin, l'assemblée mit le comble au scandale de cette séance, en ordonnant qu'une copie de cette lettre seroit envoyée à tous les départemens.

A peine ces décrets étoient-ils rendus, que Dumouriez se présenta à l'assemblée, non-comme ministre des affaires étrangères, mais comme successeur de Servan au département de la guerre. Cette nouvelle qualité, et la part qu'on savoit qu'il avoit eue à la disgrâce des trois ministres patriotes, l'avoient rendu l'objet d'une animadversion si violente, qu'elle éclata à son entrée dans la salle, par de longues huées et par des murmures très-insultans. Il n'en fut pas déconcerté, et débuta par lire une lettre de M. de Lafayette, qui rendoit compte de la manière dont il avoit soutenu et repoussé une attaque assez

vive, dirigée contre son avant-garde, dans la matinée du 11 juin. Le succès avoit malheureusement été acheté par la perte de plusieurs officiers distingués, du nombre desquels étoit M. de Gouvion, ami particulier et ancien compagnon d'armes de M. de Lafayette, à qui ses connoissances militaires, ses conseils et ses services avoient toujours été très-utiles. Aussi ce général déploroit-il amèrement sa mort. « Un coup de » canon, disoit-il, a terminé une vie aussi ver» tueuse. Il est pleuré par ses soldats, par toute » l'armée et par tous ceux qui sentent le prix » d'un civisme pur, d'une loyauté inaltérable, » et de la réunion du courage aux talens. Je ne » parle pas de mes chagrins personnels, mes » amis me plaindront. »

L'assemblée parut partager ces sentimens, et les consigna dans son procès-verbal. Elle chargea même son président de faire connoître à la famille de M. de Gouvion les justes regrets qu'elle donnoit à sa mémoire (1).

(1) Ces regrets étoient d'autant plus légitimes, que c'étoit principalement à l'assemblée qu'on devoit reprocher la mort de M. de Gouvion. On se rappelle, en effet, qu'il étoit du nombre de ses membres, et qu'il résigna ses fonctions de député pour aller joindre l'armée, à l'occasion des honneurs qui, malgré ses représentations, avoient été décrétés en faveur des soldats de Châteauvieux, qui, dans l'affaire de Nanci, avoient massacré son frère.

Dumouriez lut ensuite un très-long mémoire sur le département de la guerre. Il avança et s'attacha à prouver que les principales parties de cette administration étoient dans l'état le plus inquiétant; que tous les généraux se plaignoient avec raison de la foiblesse et du délabrement de teurs armées ; que par-tout il manquoit des armes, des habits, des munitions, des chevaux ; que le non complet des quatre armées, pour les seules troupes de ligne, s'élevoit à plus de quarante mille hommes, et à huit ou dix mille chevaux; que la plupart des places étoient aussi démantelées qu'en état de paix ; que dans la plupart il n'y avoit ni vivres, ni munitions suffisantes; que plusieurs commandans et officiers des différentes armées étoient suspects, ou ennemis ; que plusieurs municipalités des frontières, et une partie des commissaires des guerres, des commis et gardemagasins, étoient ou vendus, ou suspects. Il dénonça aussi la mauvaise organisation des bureaux de la guerre, le désordre qui y régnoit dans les détails, la lenteur des expéditions, etc., etc., etc. Il dévoila aussi plusieurs marchés frauduleux et notamment celui des chevaux de peloton. Il parcourut ensuite les différentes opérations et mesures militaires adoptées par l'assemblée sur la proposition des ministres qui l'avoient précédé, et particulièrement de M. Servan. Il loua beaucoup son zèle et ses vues patriotiques; mais il

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