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Le quatrième jour, on suivit le même plan, mais les applaudissemens furent plus vifs et plus prolongés. L'assemblée n'y comprit rien; plusieurs de ses membres regardoient souvent et avec attention les tribunes, et se rassuroient en les voyant remplies d'individus, dont l'apparence et le costume étoient les mêmes qu'auparavant.

Le cinquième jour, les applaudissemens furent encore renforcés, et on commença à huer foiblement les motions et opinions anti-constitutionnelles. L'assemblée en parut un peu déconcertée; mais un des adjudans, interrogé par un député, lui ayant répondu qu'il étoit pour la constitution et pour Pétion, on imagina que les huées qu'on avoit entendues, étoient l'effet de quelque méprise.

Le sixième jour, les applaudissemens et les huées furent dirigés dans le même sens, mais à un degré de force assez considérable pour que l'assemblée s'en offensât. Il fut fait une motion contre les tribunes, qui la repoussèrent par les clameurs, les insultes et les menaces les plus violentes. Quelques-uns des employés poussèrent l'audace jusqu'à lever le bâton comme pour frapper les députés qui étoient le plus près d'eux, et répétèrent à plusieurs reprises que cette assem blée étoit un tas de gueux qu'il falloit assommer. Le président, jugeant sans doute qu'il n'étoit pas prudent d'attendre que la majorité se déclarât pour cet avis, leva la séance.

A la sortie de l'assemblée, plusieurs députés accostèrent un grand nombre d'individus sortant des tribunes, et à force de les questioner et de les amadouer, ils apprirent qu'ils étoient employés par Pétion. Ils allèrent sur-le-champ lui en porter leurs plaintes, convaincus qu'il avoit été trompé dans le choix de ses employés, qu'il n'approuveroit pas leur conduite, et qu'il les congédieroit.

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Pétion qui ne savoit encore rien de ce qui s'étoit passé à l'assemblée, jura, avec grande raison sans doute, qu'il n'y avoit aucune part, et que depuis long-temps il n'avoit envoyé personne dans les tribunes. Il prétendit que c'étoit une manoeuvre de ses ennemis, et promit de ne rien négliger pour en découvrir les auteurs. Il me fut rendu compte, en effet, que dans la soirée plusieurs de ses émissaires avoient parcouru les faubourgs, et avoient questionné un grand nombre d'ouvriers; mais heureusement toutes ces perquisitions n'aboutirent à rien.

La lettre que le roi recevoit de moi tous les matins, l'instruisoit des ordres que j'avois donnés pour le lendemain, relativement à la direction des tribunes, et comme il avoit toujours quelque personne de confiance à l'assemblée, pour être exactement informé de ce qui s'y passoit, il avoit été à portée de juger avec quelle fidélité et quel succès les ordres que je donnois étoient exécutés;

presque

aussi sa majesté me marquoit-elle, dans toutes ses réponses aux lettres de cette semaine : « Les tribunes vont bien.... toujours bien..... de » mieux en mieux.... à merveille. » Mais la scène violente du samedi lui donna de l'inquiétude.

Le lendemain, lorsque je parus au lever, leurs majestés et madame Elisabeth m'adressèrent le regard le plus gracieux et le plus satisfait. Au retour de la messe, le roi, rentrant dans sa chambre, et passant auprès de moi, me dit sans se retourner, et assez bas pour n'être entendu que de moi : << Fort bien, mais trop vîte; je vous écrirai. » En effet, dans la lettre que le roi me renvoya le même jour avec sa réponse, il me marqua « que l'épreuve avoit réussi au-delà de » ses espérances, mais qu'il y auroit du danger, » sur-tout pour moi, à la prolonger; qu'il falloit » réserver ce moyen pour le besoin, et qu'il m'a» vertiroit quand il en seroit temps. »

Les recherches de Pétion m'avoient fait aussi regarder une suspension de trois jours comme nécessaire et suffisante, et j'en avois donné l'ordre avant de connoître les intentions du roi; mais la réponse de sa majesté ne me laissoit d'autre parti à prendre que celui de démonter la machine jusqu'à nouvel ordre, et malheureusement il ne m'a plus été possible de déterminer le roi à me le donner: non pas encore, étoit toujours sa réponse à mes représentations sur cet article. J'ai

souvent pensé depuis qu'il eût peut-être été plus sage de réduire l'expérience à silencer les tribunes, parce que c'étoit à la faveur de leurs applaudissemens et de leurs clameurs, que l'assemblée fesoit passer les décrets les plus violens; mais j'avois à cœur par-dessus tout de convaincre le roi qu'en payant les tribunes, on pourroit en tirer tout le parti qu'on voudroit contre l'assemblée et contre les jacobins ; et si on le pouvoit encore à peu de frais dans ce moment horrible, où tous les moyens du gouvernement étoient détruits, où il ne restoit plus qu'un crime à commettre pour consommer l'anéantissement absolu de la monarchie, combien plus aisément ne l'auroit-on pu sous la première assemblée, avant que le délire et les fureurs des jacobins n'eussent égaré ou asservi tous les esprits.

si

CHAPITRE XX.

L'assemblée décrète la formation d'un camp de 20 mille hommes aux environs de Paris; pétition de la garde nationale à cette occasion. Discours de Santerre.

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Violente fermentation dans la capitale.- Libelles contre le roi dénoncés à l'assemblée.

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Division dans le minis

Lettre du ministre

tère; renvoi de trois ininistres.

Roland au roi. —L'assemblée décrète que les trois ministres disgraciés emportent l'estime et les regrets de la nation. Mort de M. de Gouvion. Dumouriez est

nommé ministre de la guerre; il censure l'administration de ses prédécesseurs. Murmures de l'assemblée.

Dumouriez donne sa démission. Nouveaux mìnistres. Emprunt secret pour le roi.

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L'ASSEMBLÉE, dont la criminelle audace s'accroissoit toujours en proportion de l'affoiblissement des moyens de résistance ou de sûreté qui restoient au roi, ne se contenta pas de lui avoir enlevé la garde que la constitution lui donnoit ; elle craignit que la garde nationale qui la remplaçoit ne fût pas plus favorable aux projets des factieux, et cette inquiétude lui fit adopter avec empressement les mesures qui lui parurent les plus propres à ébranler ou à intimider la fidélité de la plupart des officiers et de quelques bataillons qui manifestoient hautement leur attache

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