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nombre, de leurs dispositions, etc. etc. (1); en un mot, cette fable ridicule, originairement imaginée pour animer le peuple contre la reine et contre la cour, prit plus de consistance qu'elle n'en avoit jamais eue; on employa même les manoeuvres les plus subtiles pour parvenir à former un corps de preuves suffisant, pour constater, même judiciairement, l'existence de ce comité. On recevoit au comité de surveillance, des décla rations et des dénonciations secrètes, tendantes à ce but, et faites par des individus qui se disoient attachés à la cour et qui ne vouloient pas être nommés.

Dans cette circonstance, Richer - Serizy, qui s'est fait connoître depuis par quelques pamphlets anti-républicains, écrits avec beaucoup d'énergie, alla chez Regnault de St.-Jean-d'Angely, membre de la première assemblée, et s'annonça chez lui, comme venant de la part de madame la princesse de Lamballe, l'inviter à se rendre au comité qui devoit se tenir chez elle le vendredi suivant, à six heures du soir, et de le prévenir qu'il y trouveroit entr'autres personnes, MM. de Montmorin, Bertrand et Malouet. Regnault de St.-Jean-d'Angely donna dans le panneau de la meilleure foi du

(1) Le Moniteur inséra, dans sa feuille du 15 mai, un long paragraphe, tendant à démontrer l'existence et les complots de ce comité.

monde; tous ses doutes sur l'existence du comité autrichien, furent dissipés; sa vanité lui fesoit trouver tout simple d'y être appelé; il jouissoit déjà de toute l'importance qu'alloit lui donner l'invitation de la princesse de Lamballe, qu'il supposoit n'agir que d'après les ordres du roi et de la reine, et il admiroit comment leurs majestés avoient pu deviner qu'il étoit réellement meilleur royaliste qu'il ne le paroissoit, et qu'il n'avoit cru l'être lui-même jusqu'alors. Plein de ces idées, il alla chez M. Malouet, avec lequel il n'avoit jamais eu aucune liaison, quoiqu'ils eussent été, l'un et l'autre membres de la première assemblée et lui témoigna combien il se félicitoit d'avoir désormais des occasions de se rencontrer avec lui «<- Où » donc, monsieur? lui répondit M. Malouet, très» étonné. – Au comité, chez madame de Lam» balle. - Je ne sais pas ce que vous voulez dire, » monsieur; car je ne connois point du tout » madame de Lamballe, et je ne suis d'aucun » comité. Je n'entends pas vous parler d'un » comité public, mais au contraire d'un comité » très-secret, et ce secret n'en est plus un pour » moi, puisque je suis appelé à ce comité, et que » la princesse m'a fait avertir par Richer-Sé»rizy, de m'y rendre vendredi prochain, à six » heures du soir; c'est chez elle qu'il se tient, et » Richer--Sérizy m'a dit que vous en étiez, » ainsi que MM. de Montmorin et Bertrand,

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» Encore une fois, monsieur, je ne comprends » rien à ce que vous me dites; je ne puis que vous » répéter que je n'ai jamais mis les pieds chez » madame la princesse de Lamballe, que je la » connois à peine de vue, et que je ne suis d'aucun » comité, ni chez elle, ni ailleurs. Mais le ›› message de Richer-Sérizy! — Je crois que, si » ce n'est pas une mauvaise plaisanterie qu'on » vous fait, c'est un piège qu'on vous tend, ou » quelque manoeuvre atroce qu'on prépare, et » dans laquelle vous vous trouveriez impliqué; » ainsi prenez-y garde. » Après avoir ainsi congédié Regnault de St.-Jean-d'Angely, M. Malouet vint chez moi, et me fit part de ce qui venoit de sepasser.

Ce fait méritoit d'autant plus d'attention que, depuis plusieurs jours, les journalistes et les motionnaires s'efforçoient d'agiter le peuple, par les déclamations les plus violentes contre les préten dus complots du comité autrichien. On annonçoit comme très-prochaine la publication de la véritable liste des membres de ce comité, et on invitoit d'avance les patriotes à en faire justice. Les agens de la police correctionnelle avoient arrêté, le dimanche précédent, deux scélérats qui fesoient cette motion dans les groupes du PalaisRoyal, et qui avoient été surpris fouillant et vuidant les poches de leurs auditeurs. En les visitant, on avoit trouvé sur leurs épaules la preuve qu'ils avoient été, l'un et l'autre, fouettés et marqués,

et dans leurs poches leur patente d'affiliation au club des jacobins, qu'ils avoient voulu employer comme leur sauve-garde.

Muni de tous ces renseignemens, j'allai en conférer avec M. de Montmorin, qu'ils n'intéres

soient pas moins que moi, et j'y appris, par la

lecture du journal des jacobins, que Carra avoit dénoncé, la veille, à la tribune de ce club, le comité autrichien, et que nous étions désignés, l'un et l'autre, dans cette dénonciation, comme les principaux membres de ce comité. Je pensois qu'il ne pouvoit pas se présenter d'occasion plus favorable de démasquer publiquement tous ces impudens détracteurs d'un comité qu'ils savoient bien n'avoir jamais existé, de dévoiler les motifs atroces qui avoient fait imaginer cette absurde et ridicule calomnie, et d'en obtenir justice, M. de Montmorin croyoit très-fermement, au contraire, que le parti le plus sage étoit de laisser tomber ces clameurs, et de les mépriser; et comme il vit que je n'étois rien moins que disposé à adopter cette opinion, il me recommanda très-instamment de ne pas hasarder la moindre démarche, dans une affaire aussi délicate, sans y avoir bien mûrement réfléchi. Mes réflexions ne furent pas longues, et leur résultat fut la résolution de rendre plainte au criminel contre Carra et ses fauteurs, adhérens ou complices; contre tous les journalistes qui avoient contribué à accréditer la

fable du comité autrichien, et notamment contre les rédacteurs de la Chronique de Paris et du Patriote Français (Condorcet et Brissot); mais avant de rendre cette plainte, j'en soumis le projet à l'examen du roi et de la reine, et j'envoyai un courier à Anet, où étoit alors madame la princesse de Lamballe, pour l'instruire de ce qui se passoit, et lui demander si elle connoissoit RicherSérizy, si elle l'avoit chargé ou fait charger d'inviter, desapart, Regnault de St.-Jean-d'Angely à se rendre à un comité, si elle avoit jamais assisté à quelque comité, et si elle avoit connoissance qu'aucun comité se fut jamais tenui chez elle, ou dans son appartement au château.

Le lendemain, le roi me renvoya mon projet de plainte, avec ces mots écrits à la marge, de la main de sa majesté : « J'ai lu à la reme le projet » de plainte; nous ne pouvons pas nous mé» prendre sur le motif qui suggère cette dé » marche, et nous en sommes bien vivement » touchés; mais nous craignons, l'un et l'autre, » qu'elle ne vous compromette. Prenez-y bien »garde. » Je reçus le même jour la réponse de madame la princesse de Lamballe, qui me confirma dans l'opinion où j'étois, qu'elle ne connoi soit ni Richer-Sérizy, ni Regnault de St.-Jeand'Angely, qu'elle n'avoit jamais assisté à aucun comité, et qu'il ne s'en étoit jamais tenu chez elle, ni dans son appartement au château. Je répondis,

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