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'de préambule à un décret aussi révoltant. Il fut rendu le 30 mai, à trois heures du matin, après plus de quinze heures de débats, dont la violence fut proportionnée à l'importance extrême qu'attachoient les jacobins à faire passer ce décret (1). Ils visoient ouvertement, depuis quelque temps, au renversement absolu du trône; et la déchéance du roi, son abdication forcée, ou au besoin son assassinat, étoient les moyens qui devoient consommer cette catastrophe. Dans le nombre des mesures qui pouvoient en écarter les obstacles, ou en avancer l'époque, il n'y en avoit pas de plus pressante que celle d'enlever au roi la garde fidelle et courageuse, dont la résistance épouvantoit d'avance ces lâches conspirateurs, quoi

(1) Deux membres du côté droit, MM. Calvet et Froudières, furent condamnés à trois jours de prison, pour avoir exprimé trop vivement, dans ces débats, leur indignation sur les manoeuvres des factieux. Ce fut dans cette même séance que Chabot, menacé confidentiellement de cent coups de bâton par M. de Jaucourt, s'en plaignit à l'assemblée, et se récria beaucoup sur la lâcheté qu'il y avoit à un colonel de faire une pareille proposition à un capucin. M. de Jaucourt, que les jacobins vouloient faire condamner aussi à trois jours de prison, fit tomber cette motion, en observant très-gaiement que comme il avoit parlé très-bas, il étoit possible qu'il eût été mal compris par l'ex-capucin Chabot, qui, dans tous les cas, seroit repréhensible de répéter publiquement ce qui lui avoit été dit dans l'intimité de la confiance.

qu'ils eussent à lui opposer plusieurs milliers de brigands armés, dont un grand nombre étoit habituellement à leur solde.

Buob étoit parvenu à me procurer sur ce fait les renseignemens les plus positifs et les plus détaillés : il en résultoit que ces scélérats, payés d'abord à raison de 5 livres par jour, avoient été successivement réduits à 40 sous, à mesure que leur nombre avoit augmenté. Les déserteurs, les soldats insurgés, ou chassés de leur régiment, étoient admis, de préférence à tous autres. Ils étoient, au nombre de sept cent cinquante, dans les premiers jours du mois de mars, d'après un décompte de leur dernier paiement, dont Buob m'avoit procuré un extrait, ils étoient commandés par chevalier de St.-Louis, dont on leur fesoit jurer, à leur réception, d'exécuter les ordres, et ce commandant les recevoit lui-même du comité secret des jacobins. Ces scélérats étoient répartis également dans les tribunes de l'assemblée et des clubs, dans les assemblées des sections, ou dans les groupes du Palais-Royal; mais leur service principal consistoit à exciter ou à appuyer les insurrections populaires.

Le moyen le plus sûr de rendre cette force plus formidable et plus puissante contre le château, dont l'attaque étoit déjà projetée, étoit, sans doute, de se débarrasser de la garde du roi, chargée de le défendre; et il n'est que trop vrai

semblable que ce fut là le principal motif qui détermina l'assemblée à en prononcer le licenciement. Il ne tint à rien que dans cette même séance tous les officiers de la garde ne fussent décrétés d'accusation; mais cette fois, l'emportement et l'atrocité de l'assemblée le cédèrent à la crainte qu'elle eut de mettre en insurrection contre elle tout le corps des gardes du roi. Cette considération fit restreindre le décret d'accusation au brave et malheureux duc de Brissac, qui fut conduit le lendemain dans les prisons d'Orléans, d'où il n'est sorti que pour être massacré à Versailles, avec tous les prisonniers de la hautecour nationale. Ce digne et fidèle serviteur du roi auroit pu très-aisément se soustraire à l'exécution du décret d'accusation, qui étant rendu å trois heures après-minuit, ne pouvoit être expédié et notifié que le lendemain. Il auroit pu, jusqu'à sept heures du matin, sortir de Paris sans le moindre obstacle, parce que la formalité des passe-ports pour l'intérieur n'étoit pas encore établie. On avoit fait mettre des chevaux à sa chaise de poste; ses parens, ses amis le pressoient, le supplioient d'y monter; mais la répugnance, naturelle aux Brissac pour toute idée de fuite, et sur-tout la crainte de compromettre le roi, le rendirent inflexible. Il fit avertir lui-même le directoire du département qu'il étoit prêt à se rendre à Orléans.

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Le roi, qui ne se dissimuloit pas le véritable motif de ce décret, en fut vivement affecté. Il fit appeler le lendemain matin, de très-bonne heure, tous les ministres, et leur fit part de la lettre qu'il se proposoit d'écrire à l'assemblée, pour lui annoncer son refus de sanctionner ce décret; mais ils refusèrent tous de contresigner cette lettre, et par conséquent mirent le roi dans l'impossibilité de l'envoyer. Il leur proposa alors de donner à cette lettre la forme d'un discours qu'il iroit prononcer lui-même à l'assemblée; mais ils refu sèrent également de l'y accompagner: ils poussèrent même la lâcheté jusqu'à effrayer à un tel point le roi et la reine sur la prétendue animosité du peuple contre la garde, sur le danger inévi→ table auquel S. M. l'exposeroit, et s'exposeroit elle-même si la sanction étoit différée d'un jour, que le roi, sans se donner le temps d'y réfléchir, consentit à sanctionner sur-le-champ ce décret, et à l'envoyer à l'assemblée.

Une heure après avoir signé cette sanction fatale, le roi reçut la lettre que je lui écrivois sur cette affaire importante. J'insistois fortement sur la nécessité pressante de ramener énergiquement l'assemblée à l'exécution de la constitution, qui en ordonnant le roi auroit une garde de que dix-huit cents hommes, n'avoit donné au corps législatif aucune inspection ni autoritéquelconque sur cette garde; que c'étoit au roi seul que de

voient être adressées ou renvoyées toutes les plaintes portées contre la garde en général; que l'assemblée pouvoit bien recevoir les dénonciations particulières contre quelques officiers ou soldats de cette garde, et les décréter d'accusation, s'il y avoit lieu, mais que là se bornoit son ministère.

Avant d'avoir reçu la réponse du roi, j'appris, avec autant de douleur que de surprise, que le décret étoit déjà sanctionné, et que le duc de Brissac étoit parti pour Orléans, après avoir résisté pendant toute la nuit aux sollicitations de ses parens et de ses amis, et aux moyens qu'ils lui offroient pour assurer sa fuite. Je reçus dans la soirée seulement la réponse du roi, écrite de sa main, à la marge de ma lettre. Telle étoit la forme ordinaire de ma correspondance avec S. M.; je lui renvoyois toujours, avec la lettre du lendemain, celle à laquelle il avoit répondu la veille; de manière que mes lettres et ses réponses, dont je me contentois de prendre note, ne restoient jamais vingt-quatre heures entre mes mains. J'avois proposé cet arrangement à sa majesté, pour lui ôter toute inquiétude. Mes lettres étoient remises ordinairement au roi ou à la reine par M. de M......, capitaine de la garde du roi, dont leurs majestés connoissoient le dévouement, ou par un ancien commissaire de la marine à Brest,

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