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en conséquence, qu'aussitôt que M. Malouet auroit reçu quelques lettres de cette correspondance, il viendroit me les communiquer; j'en envoyois un extrait au roi, ainsi que de celles qui m'étoient adressées directement.

Cependant les manoeuvres, les conciliabules des factieux, l'agitation de la capitale, les décla mations et les menaces dont retentissoient les tribunes des clubs et de l'assemblée elle-même, an nonçoient une crise prochaine, et avertissoient tous les honnêtes gens de redoubler de vigilance et de précautions; car autant le but criminel de tous les mouvemens révolutionnaires étoit connu, autant le terme auquel chacun d'eux devoit s'ar rêter étoit incertain et incalculable pour ceux même qui les excitoient et qui n'avoient d'autre plan que celui de les pousser toujours aussi loin que les circonstances le permettoient. Les mesures définitives à prendre contre les prêtres qui avoient refusé le serment, étoient, depuis quelques jours, l'objet des débats de l'assemblée, et on devoit s'at tendre que les plus vexatoires, toujours soutenues par les applaudissemens des tribunes, seroient adoptées à une grande majorité. Dans les révolutions dont la populace est le principal instrument, le soin le plus important des factieux qui l'emploient, est de conserver sa confiance, et le moyen le plus sûr à cet égard, est de n'avoir recours à son appui que pour des mesures ou des

actes de violence, parce que ce sont ceux auxquels elle est le plus naturellement portée, par la stupide brutalité de ses passions. Les jacobins connoissoient parfaitement cette tactique et ne s'en écartoient jamais; ils n'étoient pas moins habiles à alarmer, à agiter la multitude par de fausses nouvelles ou par des conspirations imagi naires, lorsqu'ils avoient besoin d'un mouvement populaire pour faire passer quelque décret. Celui qui devoit prononcer la déportation hors du royaume, de tout ecclésiastique non-assermenté, sur la simple demande de vingt citoyens actifs appuyée de l'avis du district, étoit une mesure révolutionnaire trop décisive, pour que tous les moyens qui pouvoient concourir à son succès ne fussent pas mis en usage. Ainsi, lorsque l'assemblée eut fixé le jour où la discussion devoit s'ouvrir sur ce décret atroce, les orateurs des groupes du Palais-Royal et des faubourgs, et des affiches ou des placards imprimés et manuscrits annoncerent l'arrivée d'un grand nombre d'étrangers, la plupart très-suspects. La scène des poignards alloit, disoit-on, se renouveler. On parloit hautement de projets de contre-revolution, de rassemblemens nocturnes au château, et de mouvemens extraordinaires, au milieu desquels on devoit commettre, entr'autres attentats, celui d'enle ver le roi et sa famille.

Le maire Pétion accrédita ces impostures au

tant qu'il étoit en son pouvoir, non-seulement en feignant d'y ajouter foi, mais en les fesant servir de prétexte aux réquisitions qu'il adressa, le 22 mai, au commandant de la garde nationale, par la lettre suivante :

<< Plusieurs personnes, monsieur le comman»dant-général, me font part d'inquiétudes sur le » départ du roi pour cette nuit. On parle aussi, » pour cette nuit, de mouvemens et d'émeutes; » on accompagne le tout de probabilités et d'in» dices. Je vous prie, en conséquence, de ne » pas perdre un instant, et de prendre toutes » les mesures d'observation et de prudence, de » multiplier les patrouilles dans les environs du » château, et de les rendre nombreuses. »

Le mouvement extraordinaire qu'occasionna dans le château l'exécution des ordres que le commandant avoit donnés en conséquence de cette lettre, qu'il avoit reçue à dix heures du soir, ayant été remarqué par le roi, il fit appeler cet officier, et lui demanda quel étoit le motif de ces dispositions nocturnes pour le renforcement de la garde du château et des patrouilles des environs, non seulement sans que sa majesté en eût donné l'ordre, mais sans qu'elle en eût la moindre connoissance. Le commandant ne pouvant expliquer et justifier sa conduite que par la lettre de Pétion, n'hésita pas à la communiquer au roi, qui la lut avec autant d'indignation que de sur

prise. Etoit-il concevable en effet que, sur des propos vagues, absurdes, et dont la fausseté pouvoit être si promptement vérifiée, le chef de la municipalité et de la police, au lieu d'aller luimême au château, où il auroit vu qu'il n'y avoit ni rassemblement ni mouvement, quelconque, eût cru innocemment, et de bonne foi que les devoirs de sa place l'obligeoient à requérir, au milieu de la nuit, des mesures assez alarmantes,. pour répandre le trouble et l'effroi dans la capitale, et déterminer les mouvemens populaires qu'il paroissoit vouloir prévenir ?....

Je fus instruit de ces détails par la lettre que je reçus duroi le lendemain, àneuf heures du matin. J'allai sur-le-champ en faire part à M. de Montmorin, pour pouvoir marquer, le plutôt possible à sa majesté, conformément à ses ordres, quelle étoit l'opinion de ce ministre et la mienne, sur le parti qu'il convenoit de prendre dans cette circonstance. Nous pensâmes, l'un et l'autre, que ce que le roi avoit de mieux à faire étoit de dénoncer à la municipalité, par une lettre très-énergique, la conduite aussi irrégulière qu'indé cente de Pétion, et d'adresser une copie de cette lettre au directoire du département, qui, étant composé de gens sages et bien intentionnés, s'empresseroit probablement de la rendre publique.

Le roi adopta entièrement cet avis, et écrivit

le même jour (23 mai ) à la municipalité une lettre conçue en ces termes :

« J'ai vu, messieurs, une lettre que M. le » maire a écrite hier au commandant de la garde » nationale, et par laquelle il le prévient d'in» quiétudes sur mon départ pendant la nuit, fon» dées, dit-il, sur des probabilités et des indices. » Il mêle cette nouvelle avec des bruits de mou» vemens et d'émeute, et il ordonne de multi» plier les patrouilles, et de les rendre plus nom» breuses. Pourquoi M. le maire, sur de pareils » bruits, donne-t-il des ordres à M. le comman»dant-général, et ne m'en fait-il rien dire, lui, » qui par la constitution doit faire exécuter sous » mes ordres les lois pour le maintien de la tran» quillité publique? A-t-il oublié la lettre que » j'ai écrite à la municipalité au mois de février? » Vous reconnoîtrez aisément, messieurs, que » ce bruit, dans les circonstances présentes, est » une nouvelle et horrible calomnie à l'aide de » laquelle on espère soulever le peuple, et l'éga »rer sur la cause des mouvemens actuels. Je » suis informé de toutes les manoeuvres qu'on » emploie, et de celles qu'on prépare pour » échauffer les eprits, et pour m'obliger à m'é» loigner de la capitale; mais on le tentera vai»nement. Lorsque la France a des ennemis à » combattre au-dedans et au-dehors, c'est dans » la capitale que ma place est marquée; c'est là

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