Page images
PDF
EPUB

» bases déjà arrêtées, où les émigré sont admis » comme parties plaignantes, et où le plan gé» néral de réclamation sera négocié sous les aus»pices et sous la garantie des puissances. >>

Un double de ces instructions, paraphé par le roi d'un trait de plume particulier, connu du maréchal de Castries, devoit lui être transmis par mon frère le chevalier, qui, suivant les intentions du roi, devoit partir le premier, avec un passeport pour l'Angleterre, et prendre à Douvres le paquebot d'Ostende, pour aller annoncer et attester au maréchal la mission importante confiée à Mallet-du-Pan, afin qu'elle ne fût pas confondue avec celle dont plusieurs individus arrivant de France, avoient prétendu être chargés, quoique le roi ni la reine n'en eussent pas la moindre connoissance. Malheureusement mon frère tomba malade deux jours avant celui qui étoit fixé pour son départ, et lorsque sa santé fut rétablie, son voyage étoit devenu inutile.

Le roi donna de plus amples développemens à quelques articles de ces instructions, dans les lettres qu'il m'écrivit, et qu'il m'ordonna de communiquer à Mallet-du-Pan. Elles contenoient la recommandation spéciale d'insister fortement de

la part de S. M. auprès des puissances coalisées pour en obtenir que les émigrés ne fussent jamais employés en première ligne, mais seulement à la suite des armées, et à garder les places dont on

s'empareroit. On a attribué cette recommanda tion aux inquiétudes qu'on supposcit avoir été données au roi, sur les prétentions extrava. gantes qu'élèveroient les princes et les émigrés, si sa majesté étoit réduite à l'humiliation de devoir à leur dévouement le rétablissement de son autorité. Mais quoique j'aie de fortes raisons pour, croire qu'on a essayé d'inspirer des préventions odieuses au roi, et sur-tout à la reine, je dois déclarer içi que dans cette occasion je n'en ai pas apperçu la moindre trace dans la correspondance de leurs majestés ; je n'y ai vu, au contraire, que la plus tendre amitié pour les princes, l'intérêt le phis sincère et le plus touchant pour la noş blesse française, et par-dessus tout une horreur extrême pour toute idée de guerre civile. Le roi n'avoit pas de desir plus ardent que celui de voir rentrer les émigrés en France, sans qu'on eût à leur reprocher d'avoir fait couler une seule goutte de sang français.

Mallet-du-Pan partit pour Genève le 17 mai, et deux jours après y être arrivé, il adressa au maréchal de Castries la lettre suivante:

Genève, le 24 mai 1792.

«Monsieur le maréchal, arrivé ici avant-hier, » je me prépare à en partir dès les premiers jours » de la semaine prochaine, pour me rendre en » diligence auprès de vous, et pour vous consul

»ter sur l'exécution d'une mission particulière » et secrète, pour laquelle j'ai reçu des instruc» tions du roi. En desirant que j'eusse l'honneur » d'en conférer avec vous, S, M. n'a fait que pré» venir mes propres vocux et mes intentions. Les » mesures de prudence que commandent la situa≫tion actuelle du royaume, et l'horrible tyran» nie sous laquelle il gémit, m'ont séparé d'une » personne, qui probablement me précédera à » Cologne, et qui est chargée, monsieur le maré» chal, de vous présenter, mes titres d'autorisa» tion. J'étois personnellement trop observé et » trop menacé, pour courir le risque de traverser » cent lieues en France, aves aucun papier de » quelque conséquence. Je desire, monsieur le » maréchal, beaucoup plus que je ne l'espère, » de remplir efficacement les vues éclairées de » S. M. Vos conseils, votre concours suppléeront » à la foiblesse de mes lumières; mais nul ne » pouvoit porter plus que moi dans cette affaire, » un zèle dégagé de tout esprit de parti, de sys» tème et d'intérêt; nul n'est plus convaincu de » la justesse des idées de S. M., qui ayant des » agens dans tous les départemens, et recevant » journellement les informations les plus sûres » et les plus multipliées, connoît, avec certi»tude, les dispositions publiques, et ce qu'il » faut en craindre ou en espérer, suivant la nature des formes et des moyens par lesquels on

» secondera la force extérieure. Le salut de la » monarchie, celui du roi, de sa famille, la sû» reté des personnes et des propriétés, la stabi» lité de l'ordre à venir, qui doit succéder au » bouleversement actuel, la nécessité d'abréger » la crise et d'affoiblir les résistances, tout con» court à solliciter l'attention et la condescen» dance des vrais royalistes pour les voeux de sa » majesté. Elle redoute avec raison que la guerre » étrangère n'entraîne une guerre civile dans » l'intérieur, ou plutôt une jacquerie; c'est-là » l'objet de sa plus pénible sollicitude. Elle desire » ardemment qu'afin de prévenir des horreurs » incalculables, dont on rejette peut-être trop lé» gèrement la possibilité, les émigrés ne prennent » aucune part active et offensive dans les hosti» lités; qu'ils consultent l'intérêt du roi, de l'état, » de leurs propriétés, de tous les royalistes de » l'intérieur, plutôt que de trop légitimes res» sentimens, afin qu'après avoir désarmé le crime » par des victoires, et dissous une ligue fréné»tique d'usurpateurs sortis du néant, et les ré» duisant à l'impuissance de résister, on puisse, » par une révolution si salutaire, préparer les » voies à un traité de paix, dans lequel les puis»sances étrangères et le roi seront arbitres des » destinées de la nation et de nos lois.

» Voilà en substance, monsieur le maréchal » les intentions et les desirs de S. M.; vous en

» êtes instruit depuis long-temps, je ne fais ici » que vous les rappeler. Les conjonctures ne per» mettent plus à la sagesse d'en négliger l'examen » le plus sérieux. Si j'osois citer ma propre ex» périence et ce que je crois connoître de la si»tuation des choses et des personnes, je ne se» rois embarrassé que du choix des preuves qui » motivent les représentations de S. M. Tout sera » facile, dans le présent et dans l'avenir, si on » s'attache au plan de conduite qu'elle recom» mande, et tout se compliquera de périls, d'in» certitudes et de difficultés, si l'on s'en écarte,

» C'est à vous seul, monsieur le maréchal, que » que je fais cette communication préalable; elle » vous sera probablement transmise avant mon » arrivée, par mon compagnon de voyage, qui » ayant traversé la Manche, doit se rendre d'An» gleterre à Ostende, et delà dans la ville que

» vous habitez.

» Recevez l'assurance des sentimens respec» tueux avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc. »

Le roi approuva que M. Malouet, qui m'avoit fait connoître Mallet-du-Pan, et avec qui tous les détails relatifs à cette mission avoient été discutés, correspondît de temps en temps sur son exé cution avec Mallet-du-Pan, pour éviter les recherches et les soupçons auxquels plusieurs lettres de suite, adressées d'Allemagne à la même personne, auroient pu donner lieu. Il fut convenu,

« PreviousContinue »