Page images
PDF
EPUB

> posez; elles sont nécessaires, » Cette réponse me rappela les signes d'humeur ou de rancune que j'avois remarqués dans quelques circons tances sur le visage du roi, lorsque le nom du baron de Breteuil étoit prononcé devant lui; il lui échappa même un jour de nous dire, à M. de Lessart et à moi, d'un ton brusque, et à demivoix : « C'est lui qui nous a fait faire ce maudit » voyage de Varennes. » J'ai demandé depuis au marquis de Bouillé l'explication de cette phrase qui ne se concilioit pas trop avec la lettre qu'il avoit écrite à l'assemblée, après le retour du roi, il m'a répondu que cette lettre n'avoit eu d'autre objet que d'opérer une diversion avantageuse à leurs majestés, en appelant sur lui seul tout le blâme et l'animadversion violente excités par leur départ.

Les précautions que le roi m'avoit recommandées, relativement à la mission de Mallet-du-Pan, avoient pour objet les lettres et les instructions dont il devoit être chargé. Il pouvoit être arrêté, ses papiers pouvoient être saisis; il étoit donc bien essentiel qu'on n'y trouvât pas un seul mot qui pût compromettre le secret du roi. Ce danger étoit facile à éviter dans la lettre qui devoit accré diter Mallet-du-Pan auprès du maréchal de Castries, et je la rédigeai de manière que le comité de surveillance le plus soupçonneux n'auroit pas pu deviner qu'elle eût le moindre rapport au roi, ni

qu'elle fût destinée à quelqu'autre personne qu'à Mallet-du-Pan lui-même, à qui je l'adressai sous enveloppe.

Cette lettre, écrite de ma main, et signée de moi, ne pouvoit être que très-vague et très-insignifiante, d'autant plus que je connoissois trèspeu M. le maréchal de Castries, et que je ne lui avois jamais écrit ; elle étoit conçue à-peu-près

dans ces termes :

«Le porteur de cette lettre, monsieur, a la » confiance, et connoît les intentions d'une fa» mille à laquelle vous êtes très-dévoué, et qui » compte entièrement sur votre attachement. Je » me suis chargé de vous l'adresser et de vous le » recommander. Il part uniquement pour rendre » service à cette famille intéressante, et ne » doute pas que lorsqu'il vous aura fait con» noître l'objet de son voyage, vous ne vous > empressiez d'appuyer et d'accréditer ses dé» marches par tous les moyens qui pourront » dépendre de vous. »

1

Ce n'étoit qu'en arrivant à Cologne, que Mallet

du-Pan devoit mettre à cette lettre une nouvelle enveloppe, à l'adresse du maréchal de Castries.

Les instructions relatives à cette mission, étoient et devoient être trop claires et trop précises, pour être susceptibles du même déguisement. Il fallut donc avoir recours à d'autres moyens; et il fut décidé que Mallet-du-Pan, qui les avoit rédi

gées d'après les bases arrêtées par le roi, ne les emporteroit point avec lui, mais qu'il lui en seroit envoyé une copie en chiffres à Genève sous le couvert d'un de ses amis. J'avois imaginé, pour cet effet, un chiffre impossible à deviner quand on n'en avoit pas la clef. Il exigeoit un dictionnaire, et j'avois choisi celui des rimes, parce que chaque ligne y étant composée d'un ye seul mot, le travail de chiffrer et de déchiffrer étoit moins pénible, et que d'ailleurs les syllabes qui sont au haut de chaque page, donnoient la facilité de chiffrer le même mot de plusieurs manières différentes, pour dérouter, plus sûrement tous les déchiffrans des comités.

[ocr errors]

Ces instructions étoient composées de sept articles, dont voici la teneur (1)

[ocr errors]

« 1o. Le roi joint ses prières à ses exhorta» tions, pour engager les princes et les Français » émigrés à ne point faire perdre à la guerre » actuelle, par un concours hostile et offensif de » leur part, le caractère de guerre étrangère » faite de puissance à puissance;

2o. Il leur recommande expressément de

(1) Depuis la publication de la traduction anglaise de mes Mémoires particuliers, je suis parvenu à recouvrer ma correspondance originale avec Mallet-du-Pan; et c'est d'après les pièces qui la composent, que j'ai rédigé cet article.

» s'en remettre à lui et aux cours intervenantes

» de la discussion et de la sûreté de leurs inté»rêts, lorsque le moment d'en traiter sera venu;

» 3o. Il faut qu'ils paroissent seulement par » ties et non arbitres dans le différend, cet arbi» trage devant être réservé à S. M., lorsque la » hiberté hui sera rendue, et aux puissances qui >>l'exigeront; mejo

» 4o. Toute autre conduite produiroit une guerre » civile dans l'intérieur, mettroit en danger les » jours du roi et de sa famille, renverseroit ke > trône, feroit égorger les royalistes, rallieroit » aux jacobins tous les révolutionnaires qui s'en » sont détachés, et qui s'en détachent chaque » jour, ranimeroit une exaltation qui tend à s'é»teindre, et rendroit plus opiniâtre une résis»tance qui fléchira devant les premiers succès, » lorsque le sort de la révolution ne paroîtra pas > exclusivement remis à ceux contre qui elle a » été dirigée, et qui en ont été les victimes ;

» 5°. Représenter aux cours de Vienne et de » ~Berlin, l'utilité d'un manifeste qui leur seroit » commun avec les autres états qui ont formé le » concert. L'importance de rédiger ce manifeste, » de manière à séparer les jacobins du reste de la » nation, à rassurer tous ceux qui sont suscep»tibles de revenir de leur égarement, ou qui » sans vouloir la constitution actuelle, desirent » la suppression des abus, et le règne de la

» liberté modérée sous un monarque, à l'autorité » duquel la loi mette des limites;

» 6°. Faire entrer dans cette rédaction la vérité » fondamentale, qu'on fait la guerre à une fac» tion anti-sociale, et non pas à la nation fran»çaise; que l'on prend la défense des gouverne» mens légitimes et des peuples contre une anar»chie furiense, qui brise parmi les hommes tous » les liens de la sociabilité, toutes les conventions » à l'abri desquelles reposent la liberté, la paix, » la sûreté publique au-dedans et au-dehors; ras» surer contre toute crainte de démembrement, » ne point imposer de lois, mais déclarer énergi» quement à l'assemblée, aux corps administra» tifs, aux municipalités, aux ministres, qu'on » les rendra personnellement et individuellement » responsables, dans leurs corps et biens, de tous > attentats commis contre la personne sacrée du » roi, contre celle de la reine et de leur famille, » contre les personnes ou les propriétés de tous » citoyens quelconques;

» 7o. Exprimer le vœu du roi, qu'en entrant » dans le royaume, les puissances déclarent » qu'elles sont prêtes à donner la paix, mais » qu'elles ne traiteront, ni ne peuvent traiter » qu'avec le roi; qu'en conséquence elles re» quèrent que la plus entière liberté lui soit ren» due, et qu'ensuite on assemble un congrès, » où les divers intérêts seront discutés sur les

« PreviousContinue »