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moindre, et vous ne doutez sûrement pas, monsieur » que l'explosion que produiroit à Paris la nouvelle d'une » défaite aussi complète, n'entraînât la ruine et peut» être le massacre des jacobins et de l'assemblée, ne fit » détester et abandonner la nouvelle constitution, et ne » rendit au roi toute son autorité : il n'y a dans ce plan qu'une » seule difficulté à laquelle il est facile de pourvoir. Vous » savez qu'il n'existe plus ni subordination, ni discipline quelconque dans l'armée; on ne peut s'assurer de l'obéis »sance des soldats, qu'en gagnant leur affection, c'est-à» dire, en les régalant de temps en temps, et en leur fesant » distribuer de l'eau-de-vie, du vin, etc. C'est ce que je » n'ai pas manqué de faire tant que j'en ai eu les moyens; » mais malheureusement ils sont épuisés, et il me seroit » absolument impossible de faire face à ce genre de dépense, » dans une circonstance aussi décisive, sans un secours » d'environ 200,000 livres, que je suis persuadé que » le roi serà très-disposé à m'accorder, si vous voulez » bien le lui proposer en lui fesant part de mon projet. »Je me garderai bien, monsieur, de lui en donner la » moindre connoissance, parce que je n'aurois pas de » moyen plus sûr de perdre entièrement sa confiance; » comment est-il possible que, connoissant le caractère » du roi, vous ayez pensé qu'un semblable projet pût lut » être agréable. Ce qui ne m'étonne pas moins, c'est que n'ayant point du tout l'honneur d'être connu de vous; » vous m'ayez choisi pour me faire une pareille confidence. Je me suis adressé à vous, monsieur, parce que vous » êtes de tous les anciens ministres, celui qui m'a paru être » le plus sincèrement attaché au roi, et celui que j'ai cru » le plus capable d'apprécier les services que je veux rendre »å sa majesté, et dont je ne doute pas que vous ne recon»noissiez toute l'importance, quand vous aurez eu le

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» temps d'y réfléchir. - Je n'en ai pas besoin, monsieur; » mes réflexions sur votre plan ne peuvent que me confir» mer dans mon opinion; je veux bien croire à la sincérité » de votre zèle, et à ce titre vous pouvez compter sur ina » discrétion; je vais tâcher d'oublier le projet que vous » m'avez communiqué; je vous conseille fort d'en faire » autant, et sur-tout de n'en faire part à personne, »

Le lendemain, je rendis compte de cette conversation au roi, qui approuva fort ma circonspection, et me mar qua qu'il connoissoit Miaczenski pour un très-mauvais su❤ jet, et qu'il ne doutoit pas que son objet ne fût au moins de 'escroquer 200,000 liv,

NOTE 2o. (bis.)

Sur le chevalier de Langle, et sur les amis des noirs

Le chevalier de Langle, gentilhomme breton, un peu fou et très-mavais sujet, dont j'avois beaucoup connu la famille en Bretagne, se présenta un jour chez moi, dans un état d'inanition et de misère effroyable; il sortoit des prisons de la Force, où il avoit été enfermé pendant six mois, par une méprise prétendue de la police correctionnelle, qu'il m'expliqua assez mal; il avoit à in'entretenir, me dit-il, d'une affaire très-importante. Après que je lui eus fait donner à manger, parce qu'il mouroit de faim, il ine parla de ses talens littéraires, et pour m'en donner une idée, il m'offrit un exemplaire de son voyage d'Espagne; il me lut ensuite la première feuille d'un journal qu'il se proposoit de publier, et qui étoit rédigé dans un assez bon sens, pour que je n'hésitasse pas à lui faire l'avance de 300 l

dont il avoit besoin pour les premiers frais d'impression... Il me raconta aussi que pendant les six mois qu'il avoit passés en prison, il avoit vu fabriquer, par un grand nombre de prisonniers, plusieurs millions de faux assignats, qu'ils vendoient chaque jour à très-vil prix, à quelles com ques personnes affidées qui venoient les voir; que missaires de la municipalité, qui fesoient la visite des prisons une fois par semaine, enlevoient bien exactement tous ceux qu'ils pouvoient découvrir; mais qu'il ne leur avoit jamais vu faire la moindre recherche, pour trouver et saisir les outils ou instrumens employés à cette fabrication.

Convaincu que c'étoit principalement avec de faux assignats que les jacobins fournissoient aux dépenses énormes qu'entraînoit l'exécution de leurs complots, je conseillai au chevalier de Langle, comme un acte de patriotisme qui › devoit lui valoir beaucoup d'argent, de rendre publics, par une pétition adressée à l'assemblée, les faits dont il venoit de me faire part, et de demander la récompense promise par plusieurs décrets, aux dénonciateurs de faux assignats; les exemples que je lui citai des gratifications considérables accordées en pareil cas ne lui laissèrent aucun doute `sur le succès de cette démarche qu'il fit le lendemain ; mais le comité auquel sa pétition fut renvoyée, craignant sans doute qu'elle ne produisit l'effet que j'en espérois, ne voulut pas en faire le rapport, et empêcha pendant quinze jours de suite que le chevalier de Langle qui se présenta très- assidument à la barre de l'assemblée, n'obtînt la parole; je lui conseillai alors de la faire imprimer, de l'adresser à tous les membres de l'assemblée, et de la répandre dans le public sous le titre de grand complot contre la nation; il hésita d'autant moins à suivre ce conseil, que j'y joignis un assignat de 200 livres, à titre d'avance pour les frais d'impression. Cette somme,

ainsi que celle de 300 livres que je lui avois déjà prêtée, étoit hypothéquée sur la gratification qu'il devoit obtenir, et sur laquelle il m'a toujours dit que le comité n'avoit pas statué définitivement.

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I

Je n'ai jamais connu de marcheur plus infatigable que ce chevalier de Langle; tous les matins, aussitôt que sa feuille étoit rédigée, il parcouroit la ville, les faubourgs, les promenades, les cafés et les clubs, et il m'instruisoit toujours le premier de tout ce qui se passoit d'intéressant; les rapports que je recevois le lendemain des espions employés par Buob et par Gilles, me mettoient à portée de vérifier les siens, et ils se trouvoient ordinairement assez exacts. Un jour, en me parlant des troubles de Saint-Domingue, il entra dans des détails dont je ne l'aurois jamais soupçonné d'avoir la moindre connoissance; je lui en témoignai mon étonnement; il me dit qu'il étoit plus à portée que personne d'être parfaitement instruit de ce qui concernoit cette>< colonie, parce qu'il étoit intimement lié avec la maîtresse du mulâtre Raymond, qui étoit à Paris l'agent des gens de couleur de Saint-Doiningue; que ce mulâtre qui ne la payoit pas autant qu'elle croyoit valoir, avoit la plus grande confiance en elle, et lui laissoit lire tous ses pa-' piers; qu'elle connoissoit sa correspondance avec SaintDomingue; que c'étoit par elle que lui, de Langle, avoit appris tout ce qu'il en savoit..

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Cette découverte étoit d'autant plus intéressante, qu'on savoit, à n'en pouvoir douter, mais sans en avoir de preuves légales, que les troubles des colonies avoient été excités et étoient entretenus par les manoeuvres d'une faction connue sous le nom d'Amis des noirs, et dirigée principaleinent par Brissot et Condorcet: on savoit aussi qu'une contribution considérable avoit été levée sur

les gens de couleur les plus riches de Saint-Domingue, et envoyée à Paris; mais on n'avoit que des conjectures sur l'emploi qui avoit été fait de cette somme. La correspondance de Raymond pouvoit fournir sur cet objet des renseignemens très-détaillés, et des armes trèspuissantes contre les ennemis les plus dangereux qu'avoit le roi dans l'assemblée et aux jacobins. Cette considération suffisoit sans doute pour me faire desirer ardemment d'avoir à ma disposition des pièces aussi précieuses, à1 quelque prix et par quelque moyen que ce fût. Néan-* moins, avant de laisser appercevoir ce desir au chevalier de Langle, je voulois savoir plus positivement en quoi consistoit cette correspondance; je le chargeai donc seulement de tâcher d'engager adroitement la maîtresse du mulâtre à examiner de nouveau ces pièces aussitôt} qu'elle en trouveroit l'occasion, et sur-tout à lire les plus anciennes en date, avec assez d'attention pour être en état de l'instruire de ce qu'elles contenoient de remarquable.

Cette commission fut remplie peu de jours après avect toute l'intelligence que je pouvois desirer. Le chevalier! de Langle me lut une note qu'il avoit écrite sous la dic tée de la maîtresse de Raymond, et dont il résultoit, 1o. que la première liasse des pièces de la correspondance de ce mulâtre, contenoit des minutes d'instruc tions, et des plans envoyés en 1790 et 1791 à SaintDomingue, sur la manière dont il falloit s'y prendre pour exciter, conduire et soutenir l'insurrection des nègres; des exemplaires imprimés de pamphlets à répandre dans la colonie, et des modèles d'avis à distribuer; 2°. que liasse suivante contenoit la minute d'un plan et d'un rôle de contributions à lever sur les gens de couleur de SaintDomingue, et que la somme totale de ce rôle montoit à plus de 7 millions; qu'à ces pièces étoit joint un mé

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