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tinoit les émigrés à former une armée à donner au roi, lorsqu'il seroit remis en liberté. On lui avoit parlé avec humeur et prévention des princes français, auxquels on supposoit des intentions entièrement opposées à celles du roi, et notamment celle d'agir indépendans et de créer un régent (1). Enfin, après avoir discuté à fond les différentes demandes et propositions sur lesquelles Malletdu-Pan étoit chargé d'insister, les trois ministres en avoient unanimement reconnu la sagesse et la justice, en avoient demandé chacun une note ou résumé, et avoient donné les assurances les plus formelles que les vues du roi étant parfaitement concordantes avec celles des puissances, seroient exactement suivies.

Mes réponses à Mallet-du-Pan lui transmettoient les nouvelles instructions que le roi me chargeoit de lui donner relativement aux circonstances; et toutes mes lettres contenoient les recommandations les plus expresses à l'égard de tous les citoyens paisibles que sa majesté desiroit de voir, non-seulement épargnés, mais efficacement protégés, ainsi que leurs propriétés.

Cependant les jacobins s'occupoient sans re

(1) Mallet-du-Pan combattit fortement cette supposition, et observa qu'on ne devoit pas juger des intentions des princes, par les propos légers ou exaltés de quelquesunes des personnes qui les entouroient.

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lâche des moyens d'exciter une nouvelle insurrection et de la rendre plus décisive que celle du 20 juin. Leur plan fut enfin arrêté, et le jour de l'exécution fixé au 29 juillet. Le résultat devoit en être l'assassinat de la famille royale, ou moins la déchéance du roi et son emprisonnement. Trois cents hommes devoient d'abord se rendre à l'hôtel de la mairie, à l'occasion d'un prétendu complot formé contre la vie de Pétion, et sous prétexte de veiller à sa sûreté, mais dans l'unique objet de l'empêcher de se rendre au château, où les devoirs de sa place l'auroient appelé au moment de l'insurrection. Elle devoit se former et s'organiser dans les faubourgs pendant l'investissement de la mairie, pour se porter en force considérable au Carrouzel, avec tous les canons et canonniers des sections qu'on pourroit rassembler, sous prétexte de protéger le brave Pétion, et d'exterminer les conspirateurs, qu'on diroit être cachés dans le château. Je fus heureusement informé le 19 juillet, de la manière la plus positive, de tous les détails de ce projet. J'en rendis compte sur-le-champ au roi, en insistant très-fortement sur la nécessité de s'occuper, sans perdre un moment, de toutes les mesures de sûreté possibles. Je lui proposai entr'autres, celle de s'éloigner de Paris. Je lui annonçai que j'en conférerois dans la journée, avec MM. de Montmorin, Monciel et Malouet, et que nous lui sou

mettrions le plan qui nous paroîtroit présenter le moins de dangers; qu'en attendant, j'allois employer tous les moyens praticables, pour faire échouer le plan des jacobins, ou du moins pour en faire renvoyer l'exécution à un terme assez éloigné pour donner au roi le temps de faire tous les préparatifs qu'exigeoit son départ.

De tous les moyens de faire avorter ce plan execrable, celui qui me parut le plus sûr fut de le démasquer sur-le-champ, en en publiant tous les détails, dans un grand nombre de pamphlets, qui furent répandus avec profusion dans la capitale, et particulièrement dans les faubourgs, sous le titre d'Horrible complot formé contre Pétion. Nouvelle conspiration contre la représentation nationale; les faux sans-culottes démasqués, etc. Comme il falloit les vendre, pour écarter tout soupçon d'une distribution gratuite aux frais de la liste civile, et que la populace qui n'achetoit pas de pamphlets, lisoit toujours avidemment ceux qui étoient placardés, et principalement l'Ami des Citoyens, imprimé sur papier jaune, rédigé par Tallien, et la Sentinelle du Peuple, imprimée sur papier bleu, et rédigée par Louvet; j'imitai autant qu'il me fut possible le style violemment patriotique de ce dernier ; je fis imprimer dans le même format, avec le même papier et les mêmes caractères, le numéro 42 de la Sentinelle, et je je fis placarder dans la nuit, sur le numéro 41 que

que

Louyet avoit fait afficher la veille; de manière le lendemain matin il avoit été lu dans toute la ville, avant que les jacobins l'eussent apperçu et déchiré. J'avois prévu ce cas là; en conséquence, le premier tiers de l'édition de la fausse Sentinelle avoit été numéroté 42, le second 43, et le troisième 44; et Louvet n'eut fait plutôt afficher son numéro 42 sur les débris du mien que je le fis couvrir par mon numéro 43.

pas

J'avois recommandé au juge de paix Buob de faire accompagner mes afficheurs, à une certaine distance et sans les en prévenir, de quelques personnes sûres, chargées de les protéger en cas qu'ils fussent troublés dans leurs fonctions, et cette précaution ne fut pas inutile; car deux on trois d'entr'eux furent attaqués par des espions des jacobins. Il y eut des coups de bâtons donnés et rendus. Un des afficheurs eut trois dents cassées. L'affiche du n°. 44 éprouva des obstacles insurmontables; les jacobins se trouvèrent par-tout en force supérieure ; un de nos afficheurs fut arrêté et conduit devant un juge de paix ; mais comme il ne connoissoit pas la personne qui lui avoit remis ces affiches, on ne put tirer de lui aucun éclaircissement inquiétant; il déposa qu'une personne à lui inconnue, étoit venue lui proposer, de la part de Louvet, d'afficher trente exemplaires de la Sentinelle dans les rues et carrefours dont on lui avoit donné la note; que comme il savoit

VIII.

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que

la Sentinelle du Peuple étoit un journal trèspatriote, il s'en étoit chargé à raison de cinq sous par affiche, qui lui avoient été payés d'avance. Le juge de paix, après avoir lu la fausse Sentinelle et la véritable, déclara qu'il n'appercevoit aucune différence dans le style, ni dans les principes; qu'elles lui paroissoient l'une et l'autre également bonnes; qu'il seroit bien embarrassé de dire quelle étoit la plus patriotique des deux; que par consé-, quent l'afficheur étoit bien excusable de s'y être trompé, et devoit être mis en liberté.

Je n'affirmerai certainement pas que ces pamphlets seuls aient fait différer l'insurrection projetée pour le 29 juillet mais il n'est } pas douteux que la fausse Sentinelle n'y ait beaucoup con

tribué.

Le roi m'avoit marqué très-positivement dans sa réponse à la lettre par laquelle je lui proposois de sortir de Paris, qu'il ne vouloit pas s'en éloigner à plus de vingt lieues, parce que c'étoit la distance fixée par la constitution qu'il avoit juré d'observer, et qu'il ne vouloit pas violer son serment; ainsi dans le plan d'évasion que je devois adresser à sa majesté, il ne falloit pas moins consulter ses scrupules que sa sûreté. Après en avoir raisonné à fond avec MM. de Montmorin Monciel, Malouet et Clermont-Tonnerre, qui depuis quelques jours assistoient à nos comités, du consentement du roi, et dont le zèle et les

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