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à l'avis plein de bonté que le roi me donnoit « qu'aucun danger personnel ne me feroit jamais » différer d'une minute une démarche que je » croyois devoir produire un effet avantageux » pour sa majesté. » En conséquence, je vis le juge de paix Buob, qui me conseilla de porter cette affaire devant le tribunal de police correctionnelle qui existoit alors, et de faire répondre ma plainte par le juge de paix Larivière, qui étoit un des membres les plus instruits et les mieux intentionnés de ce tribunal.

Je ne balançai pas un moment à prendre ce parti; ma plainte fut répondue par Larivière, d'une ordonnance d'information. Le lendemain elle fut publiée dans les journaux, imprimée et répandue dans la capitale au nombre de six mille exemplaires (1). Cette démarche fit une sensation incroyable; et, à l'exception des jacobins, qui enrageoient de se voir ainsi démasqués, ridiculisés et avilis, tous les autres partis en furent satisfaits; mais les royalistes sur-tout, et particulièrement ceux qui avoient continué de faire leur cour a leurs majestés avec la même assiduité, et qui, à ce titre, avoient tous lieu de craindre de voir leurs noms inscrits dans la liste du comité autrichien, virent avec autant de plaisir que de reconnoissance l'attaque vigoureuse dirigée contre cette

(1) Pièces justificatives, no. Ier.

imposture. Aussi, le dimanche suivant, lorsque je parus au lever du roi, j'y fus entouré, prôné, remercié et caressé par tous ceux qui s'y trou voient.

Le juge de paix Larivière procéda à l'infor mation. Après avoir entendu le témoignage de madame la princesse de Lamballe, de MM. Malouet et Regnault de St.-Jean-d'Angely,et avoir fait chercher inutilement Richer-Sérizy (1), il décerna contre Carra un décret d'ajournement personnel. Il se présenta pour subir son interrogatoire, et déclara qu'il avoit été autorisé par Merlin, Bazire et Chabot, membres du comité de surveillance, à avancer contre MM. de Montmorin et Bertrand le fait qui donnoit lieu à la plainte.

M. de Montmorin, voyant le bon effet que produisoit ma plainte, en rendit une en son nom, et peu de jours après nous en rendîmes conjointement une nouvelle, sur la déclaration faite par Carra, dans son interrogatoire, que Merlin, Bazire

(1) Richer-Sérisy qui vint mne voir un mois après que cette affaire eût été abandonnée, m'assura que l'invitation qu'il avoit donnée à Regnault de St.-Jean-d'Angely, de la part de madame la princesse de Lamballe, étoit une mauvaise plaisanterie qu'il avoit voulu lui faire, une simple mistification à laquelle les jacobins n'avoient aucune part. Cela étoit possible; mais le contraire étoit assez vraisemblable pour qu'on pût y croire, surtout quand on n'étoit pas dans la confidence de cette mistification.

et Chabot, membres de l'assemblée et du comité de surveillance, étoient de véritables instigateurs de la dénonciation faite contre nous aux jacobins.

Ce n'étoit pas seulement dans les clubs, dans les journaux, ou dans les groupes du PalaisRoyal et des Tuileries que les prétendus complots du comité autrichien étoient dénoncés ; ces impostures atroces étoient aussi répétées avec emphase dans l'assemblée. « Les ennemis du nou» veau régime, disoit l'énergumène Isnard, » (séance du 15 mai), ulcérés par leurs défaites, » bercés par l'espérance, enhardis par l'impunité, > travaillent tous, depuis long-temps, à la contre» révolution; et c'est de tant d'efforts, variés ou » réunis, que résulte l'état où nous nous trou» vons. Je crois que l'appui caché de ce parti » malveillant, fut et doit être la cour....... J'en»tends par ce mot redoutable, non-sculement » Louis XVI, mais sa famille, sa femme, son » conseil secret, et toute la race courtisanne et » nobiliaire, parce que c'est cet ensemble de gens » qui profite de la royauté autant que le roi lui» même; or, cette cour le séduit et l'égare. On » lui dit que son intérêt exige qu'il ménage tous » les partis, qu'il favorise secrètement l'aristocra»tie, parce que si elle triomphe, il redeviendra » tout-puissant, et qu'il doit agir pour le peuple » en apparence, afin que s'il est vainqueur, il lui » reste la couronne constitutionnelle. Le roi 2

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» ainsi trompé, applique quelques veto funestes, » protège l'aristocratie, et laisse agir un comité » secret, qui, sans le consulter, travaille sans » relâche au succès du plan de contre-révolution » profondément combiné..... Delà la guerre que » nous allons peut-être avoir contre le roi de » Prusse et contre les autres puissances de l'Eu»rope, le rassemblement des émigrés et le recru» tement qui se fait en France pour leur armée, » la désertion de nos officiers, l'insubordination » et la défection d'un certain nombre de nos sol» dats; delà ce qui s'est passé à Mons et à Tour»nai, les assassinats commis, etc., etc., etc. »

Après avoir ainsi développé les maux et les dangers de la patrie, il proposa, comme le seul remède qui pût la sauver, un projet d'interpellation nationale à faire au roi par le corps législatif. Cet écrit, dont chaque ligne contenoit une insulte plus ou moins grossière pour le roi, est digne, à tous égards, de figurer parmi les monstrueuses productions du délire de la démagogie la plus forcenée. Je ne souillerai pas ma plume à le rapporter, même par extrait; je me contenterai de dire que l'assemblée, qui en avoit impudemment applaudi les premières phrases, ne voulant pas, ou n'osant pas en entendre la lecture jusqu'au bout, ajourna cette infâme motion, força l'orateur, par des murmures redoublés, à descendre de la tribune, et passa à l'ordre du jour.

Cependant le juge de paix (Larivière) continuoit avec zèle la procédure criminelle commencée sur la plainte de M. de Montmorin et sur la mienne. Les députés Merlin, Bazire et Chabot, entendus en témoignage, avoient déposé que l'assertion faite par Carra, relativement au comité autrichien, étoit exacte, et confirmée par une foule de notes et renseignemens, dont le comité de surveillance étoit en possession. Le juge n'ayant pas le droit d'exiger des témoins des déclarations ou des explications plus amples que celles qu'il leur plaisoit de donner, et ne voyant dans les dépositions des trois députés que des indications vagues de preuves prétendues existantes au comité de surveillance, ne savoit trop comment statuer sur notre plainte, et ne me dissimula pas son embarras, Je lui représentai avec force que cette affaire étoit trop majeure, pour qu'il pût en abandonner la poursuite, sans se compromettre trop gravement; qu'on lui reprocheroit avec raison d'avoir négligé des indications, qui, quoique vagues sur la nature des preuves, étoient aussi positives qu'elles pouvoient l'être sur leur existence; et que le seul parti qu'il eût à prendre, étoit de se faire autoriser, par le bureau central des juges de paix, à aller rendre compte à l'assemblée, de l'état de la procé dure, et à lui demander un décret qui ordonnât au comité de surveillance de remettre, dans le plus prompt délai, au tribunal de la police, tous

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