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blicain, constitutionnel et presque royaliste, ne s'est pas moins distingué dans la révolution par des talens militaires peu communs, que par nergie de son caractère; et s'il est si inexact dans ses récits sur les évènemens passés, il lui est arrivé quelquefois d'être bien plus près de la vérité dans ses conjectures sur l'avenir: on en peut juger par la lettre qu'il écrivit au marquis de la Rozière (1), le 16 septembre 1789. Je l'ai copiée moi-même sur l'original (2).

Le roi ayant accepté la démission de Dumouriez, en fit part à l'assemblée, qui en témoigna sa satisfaction par de nombreux applaudissemens.

M. de Chambonas, maréchal - de - camp, fut nommé au département des affaires étrangères; M. de Lajarre, à celui de la guerre; M. Terrier de Monciel, à celui de l'intérieur; et M. Beaulieu, à celui des contributions publiques. Dumouriez écrivit le lendemain à l'assemblée pour lui demander la permission d'aller reprendre son poste à l'armée du Nord, en qualité de lieutenantgénéral. Jai, disoit-il dans cette lettre, trentesix ans de services, tant militaires que diplo

(1) Le marquis de la Rozière, excellent officier-général, employé alors en Bretagne, en qualité de maréchal-decamp, aujourd'hui lieutenant-général et quartier-maîtregénéral au service de sa majesté très-fidelle.,

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(2) Pièces justificatives, no TT.

matiques, et vingt-deux blessures; j'envie le sort du vertueux Gouvion, et je m'estimerois très-heureux si un coup de canon pouvoit réunir toutes les opinions sur mon compte. L'assemblée lui accorda d'une voix unanime la permission qu'il demandoit.

La caisse de la liste civile se trouvoit, à cette époque, dans un état d'épuisement presqu'absolu, par les dépenses énormes que l'habillement et l'équipement de la nouvelle garde avoient entraînées, par le remboursement de quelques emprunts, par les secours que le roi avoit accordés à plusieurs gentilshommes que la révolution avoit ruinés, et par les différens services secrets payés chaque jour par M. de Laporte. Sa majesté m'ayant témoigné quelques inquiétudes sur cet objet, je m'occupai des moyens de lui de lui procurer des fonds, ce qui n'étoit pas chose aisée dans des circonstances aussi critiques, parce que le roi n'auroit pas pu emprunter par acte public, sans se compromettre très-gravement, et que les billets ou obligations sous seing-privé n'avoient pas moins d'inconvéniens par le danger des indiscrétions, qu'il est toujours prudent de prévoir. Heureusement je fus informé, par mon frère le chevalier, que l'ordre de Malte avoit encore dans sa caisse, à Paris, les 800,000 liv. qu'il devoit payer pour sa contribution patriotique, et dont, aux termes de sa déclaration, le versement ne devoit être

fait au trésor public, que lorsque l'assemblée auroit formellement reconnu et consacré l'inviolabilité des propriétés de l'ordre. Or, comme l'assemblée constituante avoit décrété que les propriétés de l'ordre de Malte fesoient partie des biens nationaux, sous la réserve d'une indemnité en faveur des titulaires des commanderies, la contribution patriotique de l'ordre ne pouvoit plus être payable qu'autant que ce décret seroit revoqué et annullé par un décret contraire, ou à la contre-révolution. La première de ces chances n'étoit pas probable; la seconde l'étoit davantage dans ce moment, et le rétablissement de l'autorité royale en étant la conséquence nécessaire, les emprunts faits par le roi dans sa détresse, seroient devenus une dette sacrée de l'état, et les billets sous seing-privé de sa majesté, un titre aussi utile qu'honorable en faveur des prêteurs.

Cette considération me parut être de nature à déterminer l'ordre de Malte à prêter à sa majesté une partie de la somme qu'il avoit en dépôt pour le paiement de sa contribution patriotique. Je chargeai mon frère d'en faire la proposition au commandeur d'Estournel, procureur-général de l'ordre, et de lui demander 500,000 francs, à titre de prêt, pour le roi, sur ma simple reconnoissance. Le commandeur d'Estournel accueillit avec empressement ma proposition, et elle n'éprouva pas plus de difficultéde la part du baillif

de Virieu, dont le consentement étoit aussi nécessaire, parce qu'il étoit alors ambassadeur de l'ordre de Malte en France. Ainsi, après une négociation terminée en moins de deux jours, je fus en état d'envoyer au roi, dans le moment où il s'y attendoit le moins, une somme de 500,000 liv., qu'il reçut avec le plus grand plaisir. Sa majesté m'en donna une reconnoissance faite en mon nom, au bas de laquelle j'écrivis que la somme qui s'y trouvoit mentionnée m'avoit été prêtée par l'ordre de Malte, ainsi que j'en étois convenu avec le commandeur d'Estournel, et cette reconnoissance est restée entre mes mains jusqu'au 10 août suivant, époque à laquelle je l'ai remise à ce digne et loyal chevalier.

CHAPITRE X X I.

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Plan de MM. de Lally-Tolendal et Lafayette pour sauver le roi. Lettre de M. de Lafayette à l'assemblée; autre lettre au roi. Sa majesté refuse de sanctionner le décret concernant la déportation des prêtres non-assermentés, et celui qui ordonnoit la formation d'un camp de vingt mille hommes aux environs de Paris. — Lettre remarquable que M. de Lessart m'écrit des prisons d'Orléans. Une première bande de Marseillais arrive à Paris et se présente à la barre; harangue séditieuse de leur orateur. Violente fermentation dans les faubourgs

de la capitale.

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Conduite de la municipalité, du département et de l'assemblée.

M. de Lafayette a joué un rôle trop remarquable au commencement de cette révolution, dont il a été incontestablement un des premiers instigateurs, pour que sa conduite, dans ses dernières époques, puisse être passée sous silence. Ce général constitutionnel, égaré par les idées exaltées de liberté qu'il avoit rapportées d'Amérique, vouloit être le Washington français, et parce qu'il singeoit passablement les manières et la tournure du héros de Philadelphie, ses amis crurent qu'il en avoit aussi les talens; mais il n'a que trop prouvé qu'au moral comme au physique, il ne pouvoit en être que la caricature.

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