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" plus coupable des traîtres; car il résulteroit de » son mémoire, qu'il a provoqué la déclaration » de guerre, dans un moment où le mauvais » état de nos armées et de nos places frontières » ne permettoit pas à la nation de la soutenir. Il » doit donc être puni comme calomniateur, ou » comme traître à la patrie.» Après quelques autres déclamations du même genre, l'assemblée

leva la séance sans avoir rien statué sur le mémoire du ministre, ni sur les motions faites contre lui.

C'est ainsi que trop de précipitation rendit bien plus nuisible qu'utile une démarche qui auroit inévitablement produit un effet très-avantageux si elle eût été faite à propos, et mieux combinée. Dumouriez n'auroit pas dû se présenter à l'assemblée, dans une circonstance où il ne pouvoit qu'en être mal accueilli, et il n'étoit pas moins imprudent d'attaquer Servan dans un moment où il étoit si puissamment protégé par le mécontentement qu'avoit excité sa disgrace, et par l'enthousiasme extravagant dont elle l'avoit rendu l'objet. Il eût été bien plus sage d'attendre que le décret qui le proclamoit digne de l'estime et des regrets de la nation eût été envoyé dans tous les départemens. C'étoit là véritablement l'instant qu'il eût fallu choisir pour manifester à l'assemblée, non par de simples assertions qu'on pouvoit toujours soupçonner d'être légèrement hasardées, mais par une dénonciation en forme, que non-sculement

VIII.

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elle avoit fait aux ministres disgraciés plus d'honneur qu'ils ne méritoient, mais qu'elle devoit décréter d'accusation Servan et Clavières; et elle n'auroit pu s'en dispenser, si les marchés frauduleux, contractés dans le département de la guerre, et les friponneries sans nombre commises dans le département des finances, eussent été constatés par des preuves authentiques, toujours faciles à obtenir contre des ministres prévaricateurs, lorsqu'ils ne sont plus en place (1). Quant à Roland, instrument stupide de la créa ture aussi intrigante que spirituelle qu'il avoit pour femme, sa nullité personnelle, sa grossière rusticité et la lettre insolente qu'il avoit adressée au roi auroient suffi, aux yeux de tous les gens raisonnables, pour justifier sa majesté d'avoir chassé de son conseil ce ci-devant petit inspecteur des manufactures, dont madame Roland

(1) Sans nous permettre de contredire ici le récit de M. de Bertrand, nous ne croyons pas cependant qu'on puisse confondre M. Servan avec Clavières et Roland; l'un, fripon déhonté, et l'autre, fanatique stupide. M. Servan n'a point profité de la révolution pour augmenter sa fortune. Il eut le très-grand tort de proposer une mesure désastreuse; mais il tomba, en cette occasion, dans un piège qui lui fut tendu par Brissot et le parti de la Gironde, qui feignoient alors de se réunir au roi, et promettoient de le sauver, s'il se mettoit entre leurs mains.

(Note de l'éditeur.)

avoit fait un patriote, et dont les jacobins avoient fait un ministre.

Le décret rendu en faveur des trois ministres renvoyés, devint le signal d'une foule d'adresses de clubs, de sections, de municipalités, etc., etc., dont les rédacteurs cherchoient à se surpasser par leur insolence envers le roi. On se permit même dans quelques-unes, d'inviter sa majesté à abdiquer la couronne; d'autres joignoient à cette invitation l'avis de ne point laisser influencer son conseil par des personnes d'un sexe que la constitution avoit sagement écarté du gouvernement et qui devoit se borner aux soins domestiques et à donner l'exemple des bonnes mœurs. On l'exhortoit aussi à se tenir en garde contre le modérantisme et contre les prétres, et l'assemblée ne rougissoit pas de prodiguer ses applaudissemens à toutes ces indignités!

Cet accroissement d'audace étoit trop rapide pour ne pas inspirer les plus vives alarmés aux personnes sincèrement dévouées au roi. Combien ne pourrois-je pas en citer, qui n'ayant aucune liaison avec moi avant cette époque, et se confiant à mon zèle et à ma fidélité, venoient me témoigner leurs inquiétudes, leurs dispositions à défendre la famille royale, au péril de leurs jours si l'occasion s'en présentoit! etc., etc. La curiosité de savoir si j'étois encore chargé de quelques détails relativement au service du roi, et si j'a

vois quelques fonds à ma disposition, m'attiroit aussi des propositions tantôt très-suspectes, tantôt très-intéressées (1). J'avois heureusement pris l'habitude de les regarder toutes comme autant de pièges qu'on me tendoit, et je n'accueillois jamais que celles qui pouvoient conduire à un résultat avantageux sans la moindre possibilité que le roi fût compromis, quelle qu'en fût

l'issue.

rega

Trois jours après le renvoi de Roland, Servan et Clavières, Dumouriez s'appercevant que leurs partisans lui avoient aliéné la majorité de l'assemblée, les jacobins et la classe nombreuse de scélérats et d'intrigans soldés, placés, ou ayant promesse de l'être par ces trois ministres, il crut devoir tout sacrifier à l'intérêt pressant de gner la popularité qu'il avoit perdue, ou au moins de conserver le peu qui lui en restoit. Il ne pouvoit pas se se dissimuler que le roi ne consentiroit jamais à sanctionner les deux décrets dont j'ai parlé, et celui qui ordonnoit la déportation des prêtres; il n'avoit pas. oublié que loin de combattre la répugnance de sa majesté, il l'avoit appuyée au conseil, et provoqué le renvoi des ministres qui vouloient la sanction de ces décrets; il eut néanmoins la lâcheté d'aller proposer majesté de sanctionner ces mêmes décrets, ou de

(1) Voyez la note 2o. et la note 2o. bis.

à sa

recevoir sa démission, prétendant que d'après le mauvais effet qu'avoit produit le renvoi des trois ministres, ses services seroient plutôt nuisibles qu'utiles, si le roi persistoit à refuser la sanction. Sa majesté essaya inutilement de lui faire entendre raison sur l'inconséquence et les dangers de l'alternative qu'il proposoit; il y persista, et sa démission fut acceptée. « Concevez - vous » (m'écrivit le roi, en m'apprenant cette nouvelle » à laquelle j'étois bien loin de m'attendre) que » cet homme qui m'a fait renvoyer les ministres » qui vouloient me forcer à la sanction, veuille » m'y forcer lui-même deux jours après, et me » quitte parce que je le refuse? »

Cette observation étoit certainement fort juste; mais ce qu'il y a de plus inconcevable, c'est que malgré la notoriété publique de toutes ces circonstances, Dumouriez ait eu l'impudence et la mal-adresse d'avancer dans ses Mémoires que, lors du renvoi des trois ministres, le roi lui avoit formellement promis de sanctionner les deux décrets, et qu'il n'avoit donné sa démission que parce que, deux jours après, le roi avoit changé d'avis, et ne vouloit plus tenir sa promesse. Dumouriez a-t-il pu se flatter que son témoignage seul suffiroit pour faire croire que Louis XVI ait été capable de manquer à sa parole? Au reste, cet homme extraordinaire qu'on a vu tour-à-tour jacobin enragé, ministre du roi, général répu

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