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-vive, dirigée contre son avant-garde, dans la matinée du 11 juin. Le succès avoit malheureusement été acheté par la perte de plusieurs officiers distingués, du nombre desquels étoit M. de Gouvion, ami particulier et ancien compagnon d'armes de M. de Lafayette, à qui ses connoissances militaires, ses conseils et ses services avoient toujours été très-utiles. Aussi ce général déploroit-il amèrement sa mort, « Un coup de » canon, disoit-il, a terminé une vie aussi ver» tueuse. Il est pleuré par ses soldats, par toute » l'armée et par tous ceux qui sentent le prix » d'un civisme pur, d'une loyauté inaltérable, » et de la réunion du courage aux talens. Je ne » parle pas de mes chagrins personnels, mes » amis me plaindront. »

L'assemblée parut partager ces sentimens, et les consigna dans son procès-verbal. Elle chargea même son président de faire connoître à la famille de M. de Gouvion les justes regrets qu'elle donnoit à sa mémoire (1).

(1) Ces regrets étoient d'autant plus légitimes, que c'étoit principalement à l'assemblée qu'on devoit reprocher la mort de M. de Gouvion. On se rappelle, en effet, qu'il étoit du nombre de ses membres, et qu'il résigna ses fonctions de député pour aller joindre l'armée, à l'occasion des honneurs qui, malgré ses représentations, avoient été décrétés en faveur des soldats de Châteauvieux, qui, dans l'affaire de Nanci, avoient massacré son frère..

Dumouriez lut ensuite un très-long mémoire sur le département de la guerre. Il Il avanca et s'attacha à prouver que les principales parties de cette administration étoient dans l'état le plus inquiétant ; que tous les généraux se plaignoient avec raison de la foiblesse et du délabrement de leurs armées ; que par-tout il manquoit des armes, des habits, des munitions, des chevaux ; que le non complet des quatre armées, pour les seules troupes de ligne, s'élevoit à plus de quarante mille hommes, et à huit ou dix mille chevaux; que la plupart des places étoient aussi démantelées qu'en état de paix ; que dans la plupart il n'y avoit ni vivres, ni munitions suffisantes; que plusieurs commandans et officiers des différentes armées étoient suspects, ou ennemis; que plusieurs municipalités des frontières, et une partie des commissaires des guerres, des commis et gardemagasins, étoient ou vendus, ou suspects. Il dénonça aussi la mauvaise organisation des bureaux de la guerre, le désordre qui y régnoit dans les détails, la lenteur des expéditions, etc., etc., etc. Il dévoila aussi plusieurs marchés frauduleux, et notamment celui des chevaux de peloton. Il parcourut ensuite les différentes opérations et mesures militaires adoptées par l'assemblée sur la proposition des ministres qui l'avoient précédé, et particulièrement de M. Servan. Il loua beaucoup son zèle et ses vues patriotiques; mais il

accusa d'insuffisance ses moyens d'exécution. Il fit la récapitulation de toutes les levées d'hommes proposées ou décrétées coup sur coup; elles montoient à deux cent quarante-cinq mille deux cent quatre-vingts hommes, y compris les vingt mille qui devoient former un camp aux environs de Paris. Il démontra l'impossibilité d'effectuer des levées aussi immenses aussi rapidement qu'on l'avoit annoncé; il insista sur la nécessité d'en appliquer les premiers produits au recrutement de l'armée, qui n'exigeoit pas moins de cinquante mille hommes, et au complétement des cent quatre-vingts bataillons de volontaires nationaux, auxquels il manquoit quarante mille six cents hommes. Il représenta aussi que cette levée prodigieuse ne seroit pas effectuée de toute l'année, puisque la première levée de volontaires nationaux avoit duré plus de six mois, quoique beaucoup moins considérable. « La levée de la nation toute » entière, dit-il, présente une grande idée très» énergique, mais elle manque de précision; et » elle est inexécutable, parce qu'il n'y a ni assez » d'armes, ni assez de provisions de bouche, ni » assez de munitions. C'est par un pareil moyen » que l'imprudent Vander-Noot a détruit, dans

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quinze jours, toutes les ressources des Belges » contre une poignée d'Autrichiens. Il poussa » même cri de guerre; quatre-vingt mille hommes → au moins se rassemblèrent à sa voix avec promp

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» titude, et furent dissipés encore plus prompte » ment par douze ou quinze mille Autrichiens.... » A-t-on commencé par assigner des fonds pour chaque objet?....... M. Servan s'est contenté de » faire rendre plusieurs décrets, et s'en est rapporté, pour l'exécution, aux soins des départe » mens, districts et municipalités, qui ne peuvent » rien entendre à la partie militaire; ainsi, loin » de diminuer par là la responsabilité, il l'a sur, » chargée de toutes les lenteurs que les corps » administratifs mettront dans ces différentes » levées. » Il présenta le tableau de ce qui auroit dû être fait et de ce qui restoit à faire par ministre de la guerre, et termina, son mémoire, ou rapport, par quelques observations sur la discipline, sur la responsabilité des ministres, et sur l'importance dont il étoit que le corps législatif maintînt l'intégrité des pouvoirs constitués, veillât sur l'exécution des lois, et soutînt l'autorité du pouvoir exécutif. « Il est temps, dit-il en finissant, » que toutes les factions se taisent devant le dan» ger de la patrie. Ne ressemblons point aux » matelots qui s'enivrent dans le plus fort de la » tempête, et qui laissent submerger le vaisseau. » Réunissons-nous autour de l'arbre de la liberté; » sur-tout n'ébranlons pas la constitution; cette » charte sacrée doit nous rallier tous. Dès que » les soupçons qui trop souvent ont obscurci les » lumières de ce sénat auguste disparoîtront; dès

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» que par un concours salutaire des deux pouvoirs ils se réuniront sincèrement pour opérer » le bien, l'espoir du peuple français sera entière»ment relevé, et alors la France pourra résister » à tous les ennemis qui l'attaqueront, et les » vaincre ; mais nous subirons tous les malheurs » possibles; et nous les aurons mérités, si, dès » ce moment, il n'y a pas en France une législa»ture ferme et un gouvernement actif (1). »

De violens murmures interrompirent plusieurs fois la lecture de ce mémoire ; ils accusèrent Dumouriez, non-seulement d'inexactitude mais de calomnie. On concevoit à peine que n'ayant le porte-feuille du département de la guerre que depuis quelques heures, il eût pu rédiger et dicter un mémoire aussi détaillé, et il paroissoit encore moins possible qu'il eût eu le temps de vérifier tous les faits qu'il avoit avancés. Il parut dédaigner ces suppositions injurieuses, et n'y répondit qu'en signant son mémoire qu'il déposa assez fièrement sur le bureau en se retirant. Aussitôt qu'il fut hors de la salle, sa conduite fut hautement et très-amèrement blâmée par les factieux amis de Servan, qu'il avoit vivement irrités. « Si le » nouveau ministre de la guerre, disoient - ils, » n'est pas le plus vil des imposteurs, c'est le

(1) Ce mémoire est rapporté dans le Moniteur du 16 juin 1792, page 699, colonne première et suivantes.

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