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1. La publicité de l'audience est l'une des conquêtes de la révolution de 1789 (4). C'est la garantie la plus solide offerte aux justiciables; c'est une recommandation faite aux juges de ne pas oublier qu'ils sont les ministres impartiaux de la loi. Ut quod ipsa potestate sit liberum, fama tamen et æstimatione sit conscriptum. (Bacon, aphor. 38.)

Si l'organisation des tribunaux français est un objet d'envie et d'admiration pour les gouvernements étrangers, c'est que cette distinction leur est acquise autant par la publicité de leurs audiences que par la sagesse de leurs décisions. Si ces décisions allaient s'entasser dans les registres des greffes sans avoir été révélées au public par les débats d'audience, je doute fort qu'elles eussent pu répandre sur le ministère des juges français autant de lustre et d'éclat.

En France, depuis 1789, la publicité des séances de la magistrature est la règle, et les jugements rendus à huis clos sont l'exception. Le huis clos ne peut être prononcé que lorsque cette mesure est commandée dans l'intérêt de la tranquillité et de la morale publiques.

Ce ne sont pas seulement les cours impériales, la cour de cassa

(1) Loi du 24 août 1790, tit. V, art. 14.

tion placée à leur tête, les tribunaux civils et de commerce, les tribunaux de paix, les cours d'assises et les tribunaux correctionnels et de simple police dont les débats sont aujourd'hui assujettis aux formalités de la publicité tous les tribunaux en général, tels que conseils de guerre, tribunaux maritimes, tiennent depuis longtemps leurs séances publiquement. Dans l'administration proprement dite, les séances des conseils de révision ont toujours siégé au grand jour de la justice, en présence du public et de toutes les parties intéressées. Depuis la révolution de 1830, les affaires contentieuses administratives, déférées au conseil d'État par la voie de l'appel, ont été examinées et jugées contradictoirement en audience publique. Il ne restait plus, en réalité, que les juges administratifs des mêmes affaires au premier degré de juridiction, qui fussent encore soumis aux règles surannées de l'ordonnance de 1667. C'était là une anomalie inexplicable, que vient heureusement de faire disparaître le mémorable décret du 30 décembre 1862.

Ce décret a été accueilli avec un profond sentiment de reconnaissance. Le sénat a exprimé en termes énergiques son adhésion. Il n'a été que l'écho de l'opinion publique lorsqu'il a dit, dans l'adresse présentée à l'Empereur pour la session de 1863 :

<< Dans une machine aussi vaste que l'administration fran>> çaise, il n'est pas impossible de trouver quelque irrégularité >> accidentelle dans le jeu de certains ressorts, mais l'ensemble » est excellent. D'ailleurs, nos lois sont ainsi faites, qu'en toute >> matière le recours est placé à côté de la plainte, et le redres» sement à côté du grief.

» C'est pour étendre le caractère équitable et libéral de l'ad>> ministration que, Votre Majesté a voulu que les instances >> portées devant les conseils de préfecture, en matières con>> tentieuses, fussent contradictoires et publiques. Fortifier dans » une institution le sentiment du droit, c'est y enraciner l'ha>> bitude de la justice, du devoir et de la modération (1). »

Le sentiment de la justice, du devoir et de la modération, c'est-àdire de l'impartialité, est depuis longtemps dans les habitudes des membres des conseils de préfecture; on le trouvera, chez chacun d'eux, uni à l'amour du travail qui leur fera supporter avec patience et sans

(1) Séance du sénat du 30 janvier 1863.

se plaindre les longues discussions que pourront exiger les affaires soumises à leur appréciation.

2. Depuis 1789, et notamment après la révolution de 1830, et après celle du 24 février 1848, on avait souvent parlé d'appliquer aux conseils de préfecture le bienfait de la publicité des audiences et du débat oral par les parties ou leurs avocats. Cette mesure avait été adoptée pour la discussion des affaires devant la section du contentieux du conseil d'État. Mais on était loin d'être d'accord sur les effets de ce principe, admis pour le second degré de juridiction, et qui a été désiré encore longtemps pour le jugement des mêmes contestations devant le premier degré de juridiction, c'est-à-dire devant les conseils de préfecture. Pour les uns, la règle nouvelle à appliquer était facile et possible; d'autres soutenaient qu'elle était inadmissible pour certaines natures d'affaires. Le huis clos de l'audience devait être maintenu au moins pour ces affaires. La question en était là, lorsque spontanément, sur le rapport de son ministre de l'intérieur, M. de Persigny, le chef de l'État rendit le décret du 30 décembre 1862, qui fut publié le lendemain, 1er janvier 1863, par le Moniteur. Cette réforme fut accueillie avec faveur par les populations, auxquelles elle montrait une fois de plus le profond respect de l'Empereur pour les grands principes qui font le fondement de notre droit public et la base de la Constitution de l'Empire.

Ce décret est ainsi conçu :

Art. 1er. A l'avenir, les audiences des conseils de préfecture statuant sur les affaires contentieuses seront publiques.

Art. 2. Après le rapport qui sera fait sur chaque affaire par un des conseillers, les parties pourront présenter leurs observations soit en personne, soit par mandataire.

La décision motivée sera prononcée en audience, après délibéré, hors la présence des parties.

Art. 3. Le secrétaire général de la préfecture remplira les fonctions de commissaire du gouvernement.

Il donnera ses conclusions dans les affaires contentieuses. Les auditeurs au conseil d'Etat attachés à une préfecture pourront y être chargés des fonctions du ministère public.

Art. 4. En cas d'insuffisance du nombre des membres nécessaires pour délibérer, il y sera pourvu conformément à l'arrêté du 19 fructidor an IX et du décret du 16 juin 1808.

Art. 5. Il y aura auprès de chaque conseil un secrétairegreffier nommé par le préfet et choisi parmi les employés de la préfecture.

Art. 6. Les comptes des receveurs des communes et des établissements de bienfaisance ne seront pas jugés en séance publique.

C'était l'opinion la plus large qui l'emportait. Le décret du 30 décembre ne contient qu'une exception au principe de la publicité des audiences. Les comptes seuls des receveurs des communes et des établissements de bienfaisance ne seront pas jugés en séance publique. Pour apprécier à sa juste valeur l'importance de la réforme prononcée par le chef de l'État, et en comprendre toute l'étendue et la portée, nous croyons devoir reproduire dans son entier le rapport de M. le Ministre de l'intérieur.

Le Ministre s'exprimait ainsi :

« Sire,

L'Empereur Napoléon 1er disait dans une discussion au conseil d'Etat :

Il y a un grand vice dans le jugement des affaires contentieuses, c'est » qu'elles sont jugées sans entendre les parties. »

» L'ordonnance du 2 février 1831 a modifié la procédure suivie devant le conseil d'Etat, mais elle n'a pas été rendue applicable aux conseils de préfecture.

» Ces conseils statuent chaque année sur plus de 200,000 affaires, qui concernent notamment les travaux publics, la grande voirie, les chemins vicinaux, les contributions, les élections, les cours d'eau, les mines, les établissements insalubres et la comptabilité communale. Sur ces matières, ils forment le premier degré de la juridiction administrative; mais les justiciables regrettent de ne pas trouver auprès d'eux toutes les garanties que leur assurent au conseil d'Etat, depuis trente ans, la création d'un commissaire du gouvernement, la présence des parties et la publicité des audiences.

>> Le moment me paraît venu, Sire, de mettre un terme à cette situation exceptionnelle, qui n'est en rapport ni avec les principes qui président à notre organisation judiciaire, ni avec les idées et les exigences de notre temps. J'apprécie l'importance des services rendus par les conseils de préfecture, la haute impartialité de leurs jugements, le savoir et le zèle des magistrats qui s'honorent d'y prolonger leur carrière; mais il est impossible de méconnaître l'avantage des débats publics et contradictoires. La justice aime à s'appuyer sur l'opinion, et son autorité gagne à se trouver

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