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Cette manière de voir me semble peu probable, puisque l'Italie, l'Espagne, la Grèce, la Syrie produisent beaucoup d'insectes vésicants, dont quelques uns sont de la même espèce que ceux de l'Inde; il était parfaitement inutile de les tirer d'aussi loin.

S'il est assez curieux de voir qu'en France où l'on possède des mylabres vésicants que l'on pourrait se procurer à plus bas prix que la cantharide; s'il est assez étrange de voir qu'en Espagne, pays qui donne des cantharides à toute l'Europe, on n'emploie, dans certaines localités, rien que des mylabris comme insectes vésicants, on ne sait comment s'expliquer l'oubli dans lequel ils sont tombés dans la capitale de l'Inde anglaise. «Le mylabre de la chicorée, après avoir été d'un usage général dans la >> présidence du Bengale, n'est plus employé dans la pratique européenne >> pour des motifs que le conseil de santé de Madras ignore complétement. » Les vétérinaires natifs continuent pourtant à s'en servir.» (Geo. Pearse, secrétaire du conseil de santé : In Madras medical quarterly journal.) Pourtant nulle part au monde, plus que dans l'Inde, on n'a besoin d'insectes vésicants à action rapide, sûre; le mylabre, comme on le verra, est toujours sous la main, on peut compter sur ses propriétés, tandis qu'il n'en est malheureusement pas de même des cantharides tirées d'Europe, qui ont à mes yeux, comme agents épispastiques, moins de valeur que les mylabres; dont les propriétés sont affaiblies, parce que les dermestes les ont attaquées, ou, si, comme le veulent certains auteurs, ces animaux respectent leur principe actif, parco que, sous l'influence des températures excessives qui règnent dans l'Inde, la cantharidine se volatilise, ainsi que l'a démontré M. Robiquet.

C'est le général Hardwick qui le premier a signalé dans le Guzerat, le Béhar et l'Oude l'existence d'un insecte vésicant pouvant avec avantage remplacer la mouche d'Espagne. D'après Whitelaw Ainslie, cet insecte, nommé en hindoustani Felini, serait la meloe cichorii de Linné, le mylabris cichorii de Fabricius.

D'après le docteur Alex. Walker (Madras quarterly medical journal, t. III, p. 98), l'insecte appelé en hindoustani Felini serait le meloe erianthema que l'on trouve en grande quantité au Bengale, sur la rive droite de la Jumna, et sur les propriétés vésicantes duquel l'attention a été, pour la première fois, attirée en 1819 par le docteur Adam Burt, chirurgien en chef du Bengale, et plus tard par le docteur Fleming, dans un ouvrage sur les succédanés de l'Inde.

D'après le docteur Alex. Walker, le mylabris cichorii serait désigné en hindoustani par les noms de sun puk (aile dorée), et de sun mukkie (insecte doré). Pourtant le docteur Royle, dont les vastes connaissances sur la matière médicale de l'Inde ne sauraient être mises en doute par personne, dit que, dans l'Inde, le mylabris cichorii est nommé teli ou teli mukki (mouche à huile). Je pense que c'est à cause de cette exsudation huileuse qui sort des articulations de ses membres, exsudation que l'on observe sur plusieurs cantharidiens, et qui a valu à l'un d'eux le nom de meloe.

Whitelaw Ainslie ne semble pas avoir connu l'existence d'insectes vésicants dans l'Inde méridionale. Il n'en fait du moins aucune mention dans sa Materia indica; et le docteur Walker pense que les médecins indiens ignorent les propriétés vésicantes des mylabris cichorii.

C'est une erreur. Beaucoup d'Indiens, il est vrai, ne connaissent pas

les vertus thérapeutiques de cet insecte et le désignent sous le nom générique de vandhou, qui s'applique à tous les coléoptères. Mais ses propriétés vésicantes ont été utilisées par les médecins natifs dès la plus haute antiquité. Cet insecte, dont le nom se trouve dans l'Amara Cosa, est appelé en sanscrit ponshpandam. En tamoul, son nom est ponvondhou et a la même signification qu'en sanscrit. Voici la description qu'en donne un ouvrage qui remonte à une très haute antiquité et qui a été traduit par le brahme interprète du gouvernement: Tout le corps est noir; sur le dos il y a trois raies transversales rouges; dès qu'on le prend, il sort de la bouche, des pattes et de l'anus un venin jaune qui produit la vésication sur les points qu'il touche (1).

Les vaytiars l'emploient de deux manières, 1° à l'état frais; ils l'écrasent et en font une sorte de pâte qu'ils frottent sur le point où ils veulent produire la vésication. Ce procédé détermine une grande quantité de petites phlyctènes, ainsi que je l'ai vu chez un homme atteint d'arthralgie sur qui, à ma demande, le médecin Tamby pratiqua cette opération, qui amena un très remarquable soulagement. Les médecins indiens cachent avec soin ce procédé de vésication aux yeux du malade et des assistants; 2° après avoir fait sécher et réduit en poudre les mylabris, ils en font, avec de la pâte de riz, des cylindres très durs. J'ai vu un de ces cylindres dans les mains de Tamby (modeliar). Il avait 8 centimètres de long sur 2 de large. On distinguait parfaitement les débris d'élytres qui s'y trouvaient. Quand les vaytiars veulent se servir de cette préparation. ils l'humootout avec de l'eau de riz et la frottent sur un petit porphyre qu'ils portent toujours avec eux. Ils recueillent le liquide et l'appliquent sur la peau, particulièrement dans les cas de maladie de cet organe et souvent avec de grands succès.

Ce ne fut qu'en 1840 que les médecins européens de la présidence de Madras commencèrent à l'employer. Le premier rapport fait à ce sujet fut adressé par le docteur Alex. Walker, aide-major au 6a régiment d'infanterie native, alors au camp de Bolarum sur le territoire du Nizam. au plus ancien chirurgien de la division de Hyderabad. Il fut insére i ansle sième volume de l'intéressant journal des docteurs Lorrimer et Rogers.

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Ce rapport démontre non seulement que le mylabris cichorii est un insecte épispastique précieux, mais on y voit encore de quelle importance il est pour la compagnie de le substituer à la mouche espagnole. On y lit en effet : « Dans le rapport de la commission des drogues, la cantharide tient le » second rang sur la liste des médicaments coûteux que l'on retire d'Eu» rope. Le quinquina seul est plus cher. La cantharide, dans la présidence » de Madras, coûte entre un septième et un huitième de la dépense totale faite » pour l'approvisionnement des médicaments européens. Dans la présidence » de Bombay, le quinquina et la salsepareille seuls occasionnent plus de dépense. »

Les travaux de M. Walker, les expériences de M. Thomas Key, alors garde-magasin des médicaments au camp de Bolarum, consignées dans son rapport au chirurgien en chef de l'armée du Nizam, celles du docteur Mortimer faites à l'hôpital général de Madras par ordre du docteur Wylie, chirurgien en chef, et insérées dans le journal de médecine publié à Madras,

(1) Le papier sur lequel on met les mylabris dans l'étuve est tout maculé de taches d'huile.

par MM. Lorrimer et Rogers, ont fait connaître les propriétés actives des mylabres et contribué à en répandre l'usage.

Au moment où le journal du docteur Lorrimer m'apprenait l'existence dans l'Inde d'un insecte vésicant, susceptible de remplacer avec avantage les cantharides, je lisais dans un des numéros d'août 1851 de la Gazelle du Fort-Saint-George la copie d'un des procès-verbaux de la commission nommée pour examiner et recevoir les produits dignes de figurer à la grande exposition de Londres. Il s'y trouvait la note suivante de M. le professeur Key:

Échantillons de la mouche vésicante de l'Inde; mylabris cichorii; pulv. myl. cichorii.

<< Cet insecte vésicant se trouve à certaines épo>> ques de l'année dans tout le Dekan sur le plateau » du Mysore et dans le Guzerat. Il se récolte de la » même manière que les cantharides. On en trouve

des quantités considérables. Les propriétés de ces » mylabres sont égales à celles de la cantharide d'Es>pagne et dans les approvisionnements médicaux de » la présidence de Madras, il a remplacé cet insecte >> si coûteux. Dans mon opinion, le mylabre pourrait » être exporté en Europe avec avantage. »

La connaissance de ces documents m'imposait naturellement l'obligation de faire les recherches nécessaires pour mettre non seulement le gouvernoment à même de réaliser des économies; mais aussi pour obtenir un médicament actif, sûr et ne pouvant se détériorer par le temps, comme les cantharides que nous recevons de France.

Le 17 août 1851, je fis parvenir à M. Lépine, chef du service pharmaceutique, une certaine quantité de mylabris semblables à l'espèce employée par le docteur Walker, car bien que la gravure donnée par le journal médical de Madras pour représenter le mylabre de la chicorée fût grossièrement exécutée, il était facile de reconnaître l'identité des insectes.

En réponse à la lettre qui accompagnait cet envoi et où je désignais ces insectes comme des mylabris cichorii, M. Lépine me fit connaître qu'il pensait que ce n'était pas là le mylabris cichorii, mais bien le mylabris sidæ, parce que, d'après M. Porcheron, dans le premier, les poils qui recouvrent les élytres sont noirs sur les parties noires et jaunes sur les parties jaunes, et que, dans le mylabris sidæ, au contraire, tous les poils sont noirs. Le mylabris cichorii vrai, continuait-il, ne se trouve qu'en Chine. L'espèce qui a été confondue avec le mylabris cichorii par beaucoup d'auteurs, a reçu le nom de mylabris mutans; on la trouve en Grèce, dans l'Asie-Mineure, le midi de l'Europe et quelquefois en France dans les endroits secs. Le mylabris sidæ de Fabricius se trouve en Chine, à Java, Bombay et dans toute l'Inde.

Les moyens de vérifier si l'insecte en question est le mylabris side ou le mylabris cichorii me manquent; mais je suis, pour ma part, d'autant plus porté à penser que ce n'est pas le mylabris sidæ, que M. Frédéric Le Clerc, dans un travail plein d'intérêt sur les épispastiques, inséré dans le Journal des connaissances médico-chirurgicales pour septembre 1835, p. 87, dit positivement, contrairement à l'opinion de M. Guérin, que cet insecte ne renferme pas de cantharidine. Or, le mylabris dont il est ici question possède des qualités vésicantes très énergiques.

D'un autre côté, le professeur Royle, auteur d'un grand nombre d'articles sur les agents thérapeutiques fournis par l'Inde, dit que le mylubris qui se trouve en Syrie et selon toutes les apparences dans tout l'Orient est le mylabris cichorii, tandis que c'est le mylabris fusileni qui se trouve dans le sud de l'Europe. La figure qu'il donne d'ailleurs du mylabris cichorii est en tout pareille à celle de l'insecte que j'ai employé.

La description que M. Walker attribue à l'insecte vésicant qu'il appelle mylabris cichorii, est celle donnée par Latreille dans le cinquième volume du Règne animal de Cuvier, p. 63.

La voici:

« Le mylabre de la chicorée (M. cichorii, Lin.) d'Olivier (col. 414, 47, » I a, b, c, d, e) est long de six à sept lignes, noir, velu, avec une tache » jaunâtre presque ronde à la base de chaque élytre, et deux bandes de la » même couleur, transverses et dentées, l'une près du milieu, l'autre avant » le bout; les antennes sont constamment et entièrement noires. >>

Il faut avec M. Alex. Walker faire à cette description les corrections suivantes pour qu'elle concorde avec celle de notre mylabre:

1o Le mylabre indien a souvent plus de 3 centimètres ;

2o La tache située près de la base des élytres est double, c'est-à-dire que la tache jaunâtre presque ronde, dont parle Latreille, est divisée en deux taches distinctes arrondies par une petite saillie acuminée dont le sommet est dirigé vers le corselet de l'animal;

3o Le mylabre indien est plutôt cotonneux que vetu.

Pourtant, la figure dessinée dans le tome XXXIV du Dictionnaire d'histoire naturelle (1825), indique un animal velu; celle que donne Royle, deux fois plus grande que celle de l'atlas de ce Dictionnaire, représente un insecte en tout semblable au mylabre épispastique de l'Inde, mais porteur de poils en apparence rudes et assez nombreux. Est-ce une erreur de dessin? une espèce nouvelle à ajouter au genre mylabris qui en renferme peut-être trop déjà (150)? Ou faut-il dire, avec M. Alex. Walker, que ce coléoptère est soumis dans l'Inde aux lois naturelles qui font que le poil et la laine des quadrupèdes qui vivent entre les tropiques sont plus courts et moins fournis que le poil et la laine de ces mêmes animaux vivant dans les zones plus tempérées?

Il convient aussi de faire observer que les taches des élytres ne sont jaunes qu'après la mort, et que, pendant la vie, elles sont d'un rouge très vif.

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Je n'ai pas pu obtenir des Indiens, qui ont récolté les mylabres fournis à la pharmacie, des renseignements suffisants pour connaître sur quelles plantes on les trouvait aux environs de Pondichéry. Mais M. Alex. Walker nous apprend que dans tout le Dekam (des bords de la Krichena et de la Herbudda au cap Comorin), ils dévorent beaucoup de fleurs, notamment celles des chicoracées, du tribulus terrestris, du cléome chelidonée, grand nombre de malvacées. Il les a vus aussi sur des plantes de la famille des cucurbitacées. Mais les végétaux dont ils aiment à se nourrir, sont le maïs non encore mûr dont ils détruisent beaucoup de pieds et surtout la rose de Chine (hibiscus sinensis). Pour ma part, j'en ai trouvé à terre sur le coteau de Perimbé, et ils n'y paraissaient pas avoir plus d'affection pour une plante que pour une autre.

Le 23 août 1851, j'appliquai à huit heures et demie du matin, sur le

bras d'un paralytique, un vésicatoire de poudre de mylabris; à quatre heures du soir, quand j'enlevai l'appareil, la vésication était complète.

J'ai, à la maison de santé, fait d'autres expériences qui m'ont démontré que ce médicament jouissait de propriétés, sinon supérieures, du moins égales à celles des cantharides.

En ville, les trois expériences suivantes m'ont prouvé que la poudre de mylabre avait des propriétés épispastiques supérieures à celles des cantha rides dans l'Inde.

Chez une dame atteinte de sciatique, à qui quelque temps auparavant j'avais appliqué sur le mollet un vésicatoire de cantharides qui avait mis dix-huit heures à produire une vésication parfaite, j'ai vu la poudre de mylabris déterminer le même effet au bout de sept heures. Une religieuse à qui j'avais déjà appliqué huit vésicatoires volants, a reconnu au neuvième, dont je lui avais caché la composition, une telle activité, qu'elle n'hésita pas à m'assurer que je n'avais pas prescrit un vésicatoire aux cantharides. Celui-ci, me dit-elle, a commencé à se faire sentir au bout d'une heure après son application. Un dixième vésicatoire produisit des effets analogues et put être enlevé comme le précédent à la chute du jour; tandis que les anciens vésicatoires, bien que, appliqués à la même heure, ne pouvaient être pansés que fort avant dans la nuit.

Depuis que j'ai écrit ces lignes (16 septembre 1851), un an s'est écoulé, et je n'ai employé que le mylabre comme insecte vésicant et toujours avec le même succes.

J'ai reçu une lettre de M. le docteur Poupeau que j'avais prié de faire des expériences sur le mylabris. Il y constate ses énergiques propriétés vésicantes.

J'ai aussi essayé la teinture de mylabris à l'intérieur dans les cas suivants, et j'ai pu me convaincre que les propriétés étaient plus énergiques que celle de la teinture de cantharides préparée de la mème manière, c'est-à-dire d'après la formule du codex,

I. Cobalou. Lèpre anesthésique avec une ulcération de mauvaise rature au pied : La teinture a été donnée du 27 février au 10 mars 1852. J'ai commencé par six gouttes et j'ai poussé jusqu'à quatorze. Sous l'influence de ce traitement, l'anesthésie des pieds et des mains a cessé et l'ulcère s'est cicatrisé.

II. Arlapin. Lèpre anesthésique et juzam: La teinture a été administrée du 25 mai au 18 juin. Je commence par dix gouttes et je pousse jusqu'à trente-cinq. L'anesthésie des pieds et des mains se guérit ainsi que les plaies à la suite desquelles les doigts et les orteils se détachent (juzam). Il survient, à la dernière époque indiquée, une constipation assez rebelle, et l'anesthésie se reproduit de nouveau. Le 24, la constipation ayant été vaincue, je reprends la teinture à la dernière dose. Il survient de l'ischurie qui est traitée par des moyens appropriés, et le 27 juin, le malade sort, ayant la peau des pieds et celle des mains jouissant de la sensibilité tactile,

III. Minatchy. Syphilis constitutionnelle: Plusieurs des accidents avaient cédé à un traitement mercuriel prolongé ; mais il existait des bubons sousmaxillaires et parotidiens que rien ne pouvait modifier. J'essayai, sans succès, la teinture d'asclepias gigantea. Du 12 juillet au 11 août, elle fut soumise à l'usage de la teinture de mylabris de dix à douze gouttes. Elle est sortie guérie.

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