Page images
PDF
EPUB

services immenses qu'elle rend journellement, soit à l'industrie, soit à l'art de guérir.

Le suc concret que produisent les frênes, sous le nom de manne, justifierait pleinement, à lui seul, le sentiment irrésistible qui m'a porté à celle étude, si d'autres considérations d'un ordre aussi élevé n'y conviaient avec autant de force les hommes de science qui se vouent au progrès.

Ainsi, cette propriété purgative signalée par les auteurs, et pourtant si méconnue de nos jours, ne mérite-t-elle pas aussi que ces mêmes hommes, honteux et confus qu'ils doivent être de ce délaissement inexplicable, ren dent enfin aux feuilles de frêne les honneurs qu'ils semblent leur refuser dédaigneusement, et qui cependant leur sont dus à tant de titres?

Voyez ce que disent, après tant d'autres auteurs, MM. Mérat et de Lens de cette propriété, et jugez de l'énormité de ce tort, que peut seule expliquer l'étude si incomplète, de nos jours, de la matière médicale: « Nous possédons dans les feuilles de frêne un bon purgatif qu'on devrait employer vulgairement à la place du séné, dont il ne produit pas les tranchées, surtout aujourd'hui qu'on altère celui-ci avec le redoul, végétal toxifère; nous ne payerions pas à l'étranger des sommes considérables, et nons aurions sous la main et sans frais un purgatif doux, n'ayant pas l'odeur nauséeuse si repoussante du séné. »

Ceci n'est, du reste, qu'une conséquence toute naturelle de ce qui a été essayé par quelques hommes sérieux, tels que Tablot, Coste et Willemet.

Ces derniers ont administré les feuilles de frêne aux mêmes doses que les feuilles orientales; mais ils ont cru reconnaître, plus tard, qu'il en fallait un tiers de plus pour produire les mêmes effets. Je n'hésite pas à dire qu'il ne peut en être ainsi, même lorsque les feuilles de frêne se trouvent dans les meilleures conditions, c'est-à-dire lorsqu'elles ont été récoltées à une époque favorable de l'année, dans le mois de juillet, par exemple, alors qu'elles jouissent de toute leur vigueur et qu'elles se trouvent dans un état de parfaite conservation. Dans tous les cas, selon moi, il faut les employer à doubles doses, et même à triples doses, pour atteindre à peu près les mêmes résultats.

Lorsqu'on adopte une posologie convenable, l'action évacuante, quoique douce, n'est presque jamais tardive et les selles sont plus rapprochées qu'elles ne le sont ordinairement par l'emploi du séné. Je dois ajouter que ces selles sont généralement moins liquides, mais que, par contre, la sécrétion urinaire, signalée par MM. Coste et Willemet, est très abondante, bien que les urines soient ordinairement chargées.

rhu

A ce propos, je dois mentionner un cas de gravelle traité tout récem... ment par l'usage successif des feuilles et du sirop de frêne, auquel un docteur en médecine d'une ville voisine s'est soumis, dans l'intention de combattre un rhumatisme articulaire avec hydarthroses aux genoux, matisme qui, du reste, paraît vouloir céder complétement à l'influence de ce traitement, s'il est permis d'en juger par la disparition presque totale des accidents, dont l'origine remonte à une époque éloignée.

Or, on peut raisonnablement induire de ce fait que la propriété lithontriptique, attribuée par les anciens aux semences du frêne, n'est pas aussi dénuée de fondement que sembleraient croire certains auteurs modernes, dont la déplorable manie, malheureusement beaucoup trop répandue de nos jours, est de remettre en question, pour ne pas dire plus, tout ce qui a été

reconnu vrai par nos devanciers. On pourrait en tirer cette conséquence aussi, si un fait isolé pouvait avoir quelque chose de probant, que Glauber et Bauhin peuvent avoir eu raison de préconiser les bons effets de l'écorce de frêne, dans la néphrite et dans le lithiasis; car feuilles, semences et écorce me paraissent propres, sous plus d'un rapport, à remplir à peu près les mêmes conditions, sinon dans tous les cas, au moins dans plusieurs, bien que leurs principes utiles ne soient pas chimiquement les mêmes.

Les semences surtout, qui se caractérisent par une âcreté bien prononcée et une odeur particulière que l'on chercherait vainement dans d'autres parties du même végétal, me semblent devoir être étudiées avec le plus grand soin par les chimistes et les thérapeutistes. Mon opinion est telle à cet égard, que j'aurais déjà tenté quelque chose dans ce sens, si je n'avais été forcé de le retarder par plus d'un empêchement. Ceci veut dire que, si le temps me le permet, je me livrerai à ces investigations dans le plus bref délai possible. En attendant, je crois pouvoir affirmer que ces parties végétales jouissent d'une propriété doublement évacuante, bien que je ne la trouve indiquée nulle part. Réduites en poudre, avec leur membrane capsulaire, épuisées par l'eau bouillante, à la dose de 30 grammes, et prises ainsi traitées, elles ont produit chez moi quatre selles copieuses et presque autant de vomissements. Il y a donc là une double action qui n'a pu rester méconnue jusqu'à ce jour que faute d'avoir élevé assez haut la dose de ces mêmes parties, car je ne sache pas que nul autre que moi ait osé la porter à 30 grammes.

Il est plus que probable, du reste, que l'action éméto-cathartique doit être attribuée aux seules semences, la poche capsulaire n'ayant aucune saveur qui puisse parler, non seulement en faveur de ce double effet, mais aussi qui puisse faire croire à la scule action purgative que possèdent les feuilles, tandis que les semences, par leur âcreté, aussi bien que par leur odeur aromatique bien prononcée, font naturellement supposer qu'il y a la des principes doués d'une grande énergie. On peut en effet le supposer ainsi, lorsqu'on vient à réfléchir que la semence ne constitue qu'une faible partie des organes de la fructification. Or, si les semences y entrent pour un huitième environ, et que les capsules soient à peu près inertes, comme je le suppose, il y a tout lieu de croire que les premières, prises à la dose de 4 grammes, produiraient autant d'effet que les 30 grammes (capsules et graines) qui m'ont si rudement éprouvé. Pour lever tous les doutes à cet égard, il sera bien d'étudier chaque partie séparément, et c'est aussi ce que je me propose de faire, lorsque la saison me permettra de les isoler. Il y aura sans doute à rechercher aussi quelle est la nature du principe ou des principes qui exercent le double effet physiologique que j'ai signalé, et je me livrerai probablement à cette autre recherche, si les engagements que je prends peuvent me permettre de tout explorer dans ce vaste champ d'observation.

Bergius, dans sa Matière médicale, présente l'écorce de frêne comme vermifuge. Cette opinion, qui n'a rien, à mon avis, de contraire à la saine raison, est, du reste, partagée par quelques auteurs aussi haut placés et aussi dignes de foi. Celle qui attribue à cette écorce la propriété de combattre, avec des chances de succès, la goutte atonique et le scorbut, ne mẹ paraît pas non plus dénuée de fondement. Je ne serais pas plus éloigné de croire, avec MM. Petetin et Gilibert, qu'il y a dans les feuilles de frêne

une propriété antiscrofuleuse, que peuvent du reste partager avec elles l'écorce et les semences; mais, par contre, je suis disposé à repousser toul ce qui se rapporte aux prétendues merveilles produites par l'usage de ce végétal employé, soit comme alexipharmaque, soit comme aphrodisiaque, soit aussi, et surtout, comme prolifique, laissant de telles croyances aux temps de ténèbres et de barbarie qui les ont vues naître.

Quant aux propriétés fébrifuges de l'écorce, elles me semblent assez bien établies par les faits accomplis sous les yeux d'Helwig, Kniphof, Coste et Willemet, Burtin, Murray et autres sans doute, pour justifier jusqu'à un certain point le nom de quinquina d'Europe que n'a pas craint de lui donner le premier de ces auteurs, et que lui contestent, du reste avec quelque fondement, Torti et Linné, le quinquina lui étant bien supérieur, sans aucune espèce de doute, bien que, d'après MM. Coste et Willemet, l'écorce de frêne réussisse plus souvent qu'elle n'échoue (huit fois sur douze). Au surplus, il paraîtrait que le principe actif, dont il sera question dans la seconde partie du mémoire, sous le nom de fraxinine, vient apporter une pièce de plus en faveur du procès intenté à cette écorce, si, comme je me plais à le croire, le corps de nature complexe de M. Mandet est un bon antipériodique.

Ayant souvent essayé l'infusion de feuilles de frêne, soit dans un but, soit dans un autre, lorsqu'il m'est arrivé de ne pas charger cette boisson, j'ai reconnu que Willich avait quelque espèce de raison de l'assimiler au thé de Chine. Comme lui, je lui ai trouvé une action tonique, sinon supérieure, au moins égale à celle du thé, sans qu'elle produise toutefois l'agitation nerveuse qui résulte de l'usage de la feuille chinoise. Il y aurait peut-être là une étude à faire qui pourrait n'être pas dépourvue d'intérêt, sans qu'il dût venir dans l'esprit de personne de chercher dans ce breuvage un véritable succédané du thé; car, fût-il doué de toutes les qualités de celui-ci, je ne conseillerais à qui que ce soit d'essayer de le faire passer comme tel, en présence de l'opinion colossale qui protége la plante célèbre à laquelle l'Amérique du nord paraît devoir son émancipation, ce bienfait immense qui rachète à lui tout seul toutes les insomnies, tous les désordres nerveux et autres fâcheux effets produits par son usage inconsidéré. Si les feuilles de frêne venaient des confins de l'Asie, nous pourrions peut-être trouver parmi nous plus d'un Tulpius et plus d'un Juncquet, pour les faire apprécier comme agent diététique; mais elles ont contre elles leur nationalité, leur vulgarité, et c'est plus qu'il n'en faut pour leur attirer le mépris public qui pèse sur tous les végétaux indigènes que l'on a eu la témérité d'opposer à la fameuse théacée.

Mais là, comme dans presque tout ce qui précède, n'est pas la question : celle qui doit nous occuper et nous intéresser le plus se rapporte aux propriétés antirhumatismales et antigoutteuses que possèdent les feuilles de frêne, attendu que ces propriétés, en raison de leur puissance, offrent un intérêt que l'on chercherait vainement dans les autres, bien que l'action purgative qui leur appartient doive être prise en sérieuse considération, par les services immenses qu'elles peuvent rendre à toutes les classes de la société, particulièrement aux classes pauvres qui, sans qu'elles s'en doutent, ont sous la main un purgatif où toutes les qualités, tous les avantages désirables, en pareil cas, se trouvent réunis.

Ces vertus antigoutteuses et antirhumatismales sont telles, en effet,

qu'elles doivent effacer toutes les autres, surtout en présence de l'insuffisance des moyens que la médecine, dans ses nobles efforts, oppose journellement à ces redoutables maladies; elles sont telles, qu'il y aurait lieu d'être étonné de les voir méconnues, à notre époque surtout, si la disgrâce qui les frappe ne trouvait son explication dans le scepticisme outré que j'ai déjà signalé plus d'une fois, et conséquemment dans l'indifférence j'allais dire dans l'oubli qui est une de ses déplorables, une de ses désas

treuses conséquences.

Ceux des praticiens qui ont eu le bon esprit de croire aux assertions pleines de vérité qui ont plaidé tout récemment en faveur des feuilles de frêne, comme agent curatif du rhumatisme et de la goutte, ont pu se faire une idée à peu près exacte de l'efficacité du remède, surtout s'ils ont eu l'heureuse inspiration de l'administrer à hautes doses.

Quant à moi, qui, par suite de la publicité de ma note, me suis trouvé et me trouve journellement en rapport, soit avec des médecins, soit avec des malades qui ont recours au sirop de feuilles de frêne, je crois pouvoir affirmer à mon tour, comme je l'ai déjà affirmé publiquement, qu'il peut n'y avoir aucune exagération dans ces mêmes assertions.

Sans rien préciser, je dois ajouter que bien que les feuilles de frêne me paraissent applicables, avec plus ou moins de chances de succès, à tous les cas de goutte et de rhumatisme, je les considère comme plus particulièrement utiles dans les affections arthritiques de nature goutteuse ou de nature rhumatismale, aigues ou chroniques : c'est là, en effet, qu'elles m'ont paru jouir d'une efficacité vraiment remarquable. Que l'engorgement qui constitue l'hydarthrose dépende d'un excès d'exhalation ou d'un défaut d'absorption de la synovie épanchée dans les capsules synoviales, la résolution me paraît devoir être une conséquence de l'usage de ce végétal, sinon toujours, au moins le plus souvent, surtout lorsqu'elle est favorisée par d'autres moyens adroitement et sagement combinés, car je ne prétends pas dire qu'il faille proscrire les ressources connues pour s'en tenir exclusivement à celle-ci.

Il ne peut y avoir rien d'absolu dans l'opinion d'un homme, lorsqu'il s'agit d'une question de cette nature; aussi je m'empresse de protester contre toute fausse interprétation de ma pensée. Je puis constater des faits qui paraissent plaider éloquemment en faveur du frêne, mais de là à une confiance illimitée, au radicalisme ou au fanatisme d'une opinion, il y a loin sans doute. Je n'ai jamais cru à l'infaillibilité d'un agent thérapeutique, et certes, ce n'est pas lorsqu'il est question du rhumatisme et de la goutte, maladies reconnues essentiellement rebelles et souvent incurables, que je croirai à cette puissance absolue ; j'ai trop vécu pour ne pas savoir qu'il y a plus de douleurs dans le monde qu'il n'y a de vrais remèdes dans l'art de guérir; mais c'est parce qu'il y a peu de vrais remèdes que je m'attache avec le plus vif intérêt à ceux qui me paraissent avoir une valeur réelle, et je me trompe fort, ou les feuilles de frêne sont de ce nombre.

Faut-il attribuer plus de propriétés à telle espèce de frêne, au fraxinus rotundifolia qu'au fraxinus excelsior, par exemple? Si l'on établissait à cet égard son opinion sur les connaissances acquises, on serait peut-être disposé à croire que la préférence doit être accordée au fraxinus rotundifolia, sur ses congénères, par cela même que sa greffe est considérée par quelques auteurs, tels que de Lamarck et Gusson, comme seule propre à la produc

tion de la manne. Il est probable toutefois que tous les faits récemment produits par l'usage des feuilles portent exclusivement sur le frêne commun fraxinus excelsior, Bauhin), parce que c'est à peu près le seul que nous ayons généralement à notre disposition, le seul à peu près qui serve d'ornement à nos forêts, par la majesté de son port, par la luxuriante beauté de son feuillage, lorsque celui-ci, dont on dit les émanations délétères pour les végétaux voisins, ne devient pas toutefois la proie des cantharides.

Quoi qu'il en soit, il est très possible qu'il y ait un choix utile à faire parmi ces Jasminées, soit qu'on les considère comme purgatives, soit qu'elles doivent servir à toute application thérapeutique. Et puisque l'influence du climat de la Calabre ou de la Sicile est une condition indispensable à l'exsudation de la manne, il serait bien possible aussi qu'il fallût tenir compte de cette influence, reconnue si importante d'ailleurs, si nécessaire au développement des principes actifs d'une foule de végétaux, tant indigènes qu'exotiques, que la médecine met journellement à profit. Or, il ne serait peut être pas sans intérêt pour la science de soumettre à des essais comparatifs les frênes de nos contrées tempérées et ceux des contrées qui fournissent la manne; car, bien que nos frênes soient dans de bonnes conditions pour satisfaire aux indications médicales qui résultent de leurs propriétés, ceux de la Sicile, de la Calabre, de la Toscane et autres pays chauds peuvent bien être dans des conditions encore plus favorables. Aussi, s'il m'est permis de me livrer plus tard à ces essais comparatifs, je les tenterai, au risque de les trouver infructueux.

En attendant la réalisation probable de cette promesse et de celles qui la précèdent, je dois me borner à consigner, dans la seconde partie de ce mémoire, le résultat de mes premiers essais, bien qu'il ne réponde qu'imparfaitement aux efforts que j'ai dû faire pour lui imprimer un certain cachet 'utilité.

TRANSFORMATION DES ACIDES TARTRIQUES EN ACIDE RACÉMIQUE. DÉCOUVERTE DE L'ACIDE TARTRIQUE INACTIF. NOUVELLE MÉTHODE DE SÉPARATION DE L'ACIDE RACÉMIQUE EN ACIDES TArTRIQUES DROIT ET GAUCHE; PAR M. L. PASTEUR.

Dans le travail que j'ai eu l'honneur de présenter à l'Académie (voyez plus loin), j'ai fait voir que tous les sels de cinchonine, de quinine, de quinidine et de cinchonidine, soumis à l'influence de la chaleur, pouvaient être transformés en sels de quinicine et de cinchonicine, nouvelles bases organiques, respectivement isomères de la quinine et de la quinidine, de la cinchonine et de la cinchonidine. Si, dans l'étude de ces transformations isomériques, on se sert des tartrates des alcalis précités, et que l'on poursuive l'action de la chaleur bien au delà du terme qui fournit la cinchonicine et la quinicine, on arrive à porter l'influence modifiante sur l'acide tartrique lui-même. Afin de mieux fixer les idées, considérons exclusivement le tartrate de cinchonine. Ce sel, soumis à une température graduellement croissante, devient d'abord tartrate de cinchonicine. En continuant de chauffer, la cinchonicine s'altère; elle perd de l'eau, se colore et se transforme en quinoïdine. L'acide tartrique éprouve, de son côté, des modifications importantes, et après cinq à six heures d'une température soutenue à 170 degrés, une partie est devenue acide

« PreviousContinue »