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symptômes donné par des malades qui souvent ne connaissent pas la situation, ni même les noms de certains organes. Toutefois, le médecín habitué à rectifier par ses propres observations l'expression inexacte des perceptions du malade se garde bien de négliger ce diagnostic de soi-même, quoique imparfaitement rendu par le patient; l'homme de science en fait la traduction, dans laquelle il rétablit le véritable sens caché dans une formule barbare ou triviale.

Les Chiliens et les Péruviens attribuent au canchalagua la propriété de diminuer la masse du sang et d'y introduire des éléments aqueux; ils prétendent que ce remède affranchit des sangsues et de la saignée, mais que trop longtemps continué il produirait l'appauvrissement du sang et présenterait tous les inconvénients des saignées trop souvent répétées; cette idée leur fait apporter une grande réserve dans l'emploi de l'infusion de cette plante, dont ils ne prolongent jamais l'usage au delà de quinze jours. A cette propriété de diminuer la masse du sang, ils ajoutent celle de résoudre les engorgements sanguins, de faciliter l'absorption du sang extravasé, et c'est par ce motif qu'ils le regardent comme un vulnéraire infaillible pour prévenir les suites des coups et des chutes. Il est un point sur lequel existe un désaccord, c'est sa qualité rafraîchissante exaltée par quelques uns et combattue par d'autres, qui au contraire le taxent d'échauffant. Cependant ils préfèrent l'usage du canchalagua à celui du quinquina ; on sait depuis longtemps que les indigènes qui récoltent l'écorce fébrifuge péruvienne la regardent comme un médicament incendiaire.

Le canchalagua est connu dans la plupart des contrées de l'Amérique du Sud; plusieurs Espagnols qui habitaient Mexico en 1833 pendant l'invasion du choléra nous ont assuré l'avoir employé comme préservatif de cette maladie et nous ont affirmé que toutes les personnes qui se sont astreintes à prendre chaque soir, au moment du coucher, l'infusion chaude de cette plante en guise de thé, ont conservé la plénitude de leur santé au milieu des ravages de l'épidémie. Chacun expliquait à sa manière cet heureux résultat; les uns l'attribuaient aux qualités toniques du canchalagua, d'autres à sa vertu antivermineuse ou à ses propriétés sudorifiques; nous abandonnons ces faits à l'appréciation des médecins.

Il appartient à la science de chercher la solution des phénomènes qui président à la santé et à la maladie; mais en attendant que la lumière se fasse sur les effets et sur les causes, le malade attend et réclame le remède, et dans l'application thérapeutique, l'expérience est le plus assuré des guides Prægreditur experientia, subsequentur ratiocinia (Linné).

On ne peut se permettre de fixer une méthode universelle pour l'administration d'un médicament; un remède n'a d'action efficace que tout autant que la prudence et le savoir dirigent son application : c'est un instrument que le médecin seul est appelé à manier et qui pourrait courir le risque de s'égarer dans des mains inexpérimentées. Si le canchalagua a conservé au Pérou et au Chili la confiance qui n'a point cessé de l'accompagner depuis qu'il a été connu, il doit cette continuité de succès, bien rare dans l'histoire des substances médicinales, aux précautions dont son emploi a toujours été entouré; les erreurs mêmes répandues sur son usage ont été utiles à ce résultat, et ceux qui lui ont attribué la propriété d'atténuer le sang jusqu'au point de l'anéantir entièrement ont empêché l'abus de cette herbe médicinale.

Nous terminons ici la revue des observations et des jugements écrits sur le canchalagua, depuis sa découverte jusqu'au moment où nous avons appelé la médecine française à de nouvelles expériences; nous croyons avoir réussi à compléter la réunion des documents disséminés dans des ouvrages, pour la plupart très rares aujourd'hui, et que nous n'avons pu atteindre que successivement et à d'assez longues distances. Il nous reste à faire connaître la manière dont cette herbe médicinale a été appréciée en France. Nous avons mis à la disposition de tous les médecins qui ont bien voulu concourir avec nous à son étude les quantités de cette plante qui leur étaient nécessaires.

Le docteur Chapa de Bardos, près Bayonne, est un des premiers qui l'ont expérimentée, et nous sommes heureux de pouvoir publier la lettre qui nous a été adressée par cet habile médecin, un des plus dévoués entre ceux qui exercent le noble et pénible sacerdoce de la médecine rurale.

« Monsieur,

» Je m'empresse de vous faire connaître le résultat des expériences encore peu nombreuses que j'ai pu faire sur l'usage du canchalagua; j'ai essayé tour à tour ce médicament, comme antipériodique, comme tonique et comme sudorifique :

» 4° Antipériodique. Mes premiers essais furent faits sur trois malades affectés de fièvres intermittentes, tierces, et auprès desquels je fus appelé le même jour. A tous les trois j'administrai le canchalagua en forte infusion (8 grammes pour 500 litres d'eau) dans l'intervalle des accès; ceux-ci ne furent point entièrement supprimés, mais ils perdirent graduellement beaucoup de leur violence, de sorte que le troisième était presque nul. Si je n'avais pas craint d'abuser de la patience de mes malades, je suis persuadé qu'avant le sixième accès les fièvres auraient complétement disparu. Ne pouvant faire usage de ce médicament, dont l'action me paraissait un peu lente sur des gens pauvres et qui ont de la peine à réparer la perte d'une journée de travail, je pensai que je pourrais par son usage prolongé prévenir le retour des fièvres, qui sont ici fort opiniâtres, et je n'ai eu qu'à me louer de son action prophylactique dans un grand nombre de cas; j'en citerai deux des plus intéressants.

» Madame Marie D... de la Bastide-de-Clairence, ménagère, d'un tempérament lymphatico-nerveux, d'une constitution délicate, sujette à de violentes migraines, fut prise dans le courant de septembre 1845 de fièvres intermittentes quotidiennes. Après un grand nombre d'applications de sulfate de quinine et un aussi grand nombre de récidives, qui ne se faisaient pas attendre plus de quatre ou cinq jours, je me décidai à employer le canchalagua en infusion. La malade en prit pendant deux mois un verre chaque jour, et les fièvres n'ont plus reparu. L'état général s'est avantageusement modifié. Bien mieux, dans le courant d'octobre dernier, la même dame ayant été prise d'une vive douleur à l'épaule, douleur qui s'étendait à tout le bras droit, et qui me paraissait affecter le type intermittent, j'ordonnai de nouveau le canchalagua, et sous son influence les douleurs ont cessé au bout de quatre jours.

Etienne B..., meunier à Bardos, trente-deux ans, d'un tempérament sanguin, d'une forte constitution, portait depuis deux mois des fièvres intermittentes tierces qui ne disparaissaient par l'usage du quinquina que

pour reparaitre aussitôt. Une forte infusion de canchalagua, prise tous les matins à jeun, a suffi pour prévenir le retour des fièvres pendant trois mois. Je dois dire qu'au bout de ce temps, à la suite de quelques écarts de régime, la maladie reparut, et que le quinquina et le canchalagua étant restés inefficaces, le malade se guérit au moyen de remèdes violents asséz usités dans notre pays.

» 2o Tonique. C'est surtout dans les affections atoniques de l'estomac et du tube digestif chez quelques individus faibles et languissants, dont l'estomac paraît avoir perdu ses désirs et sa force, que le canchalagua peut être d'une grande utilité. Sans parler ici d'un grand nombre d'individus qui se trouvaient dans les conditions ci-dessus, et qui ont été soulagés par l'emploi de cette plante, je citerai le nommé Pierre P..., âgé de quarantecinq ans, laboureur. Cet homme était depuis plusieurs années affecté d'une gastrite chronique contre laquelle sa position ne lui permettait pas d'employer le régime et les soins convenables. Dans les moments d'exacerbation, il se soulageait momentanément par l'application de quelques sangsues. La maladie empirant, il vint me trouver dans le courant d'octobre dernier; voici quel était alors son état : appétit presque nul, fréquents besoins de manger, qui en les satisfaisant font disparaître momentanément la sensation pénible qui existe dans la région de l'estomac; digestions pénibles, flatuosités, constipation, en un mot tous les symptômes qui caractérisent cette forme de gastrite chronique décrite sous le nom de dyspepsie : l'usage du canchalagua en infusion à froid pendant quinze jours a fait disparaître tous les accidents, et le malade m'a dit que depuis dix ans il ne s'était pas trouvé aussi bien qu'aujourd'hui.

» 3° Sudorifique. Je n'ai essayé cette propriété du canchalagua que dans deux cas où il m'a parfaitement réussi : le premier était un rhumatisme articulaire non fébrile, s'étendant à toutes les articulations des extrémités inférieures; le second était une pleurodynie contre laquelle on avait employé vainement la saignée générale, les sangsues, les applications émollientes. Dans les deux cas j'employai le canchalagua en infusion très chaude (une tasse tous les soirs pendant trois jours); cette infusion détermina des sueurs abondantes qui furent également efficaces contre l'une et l'autre de ces maladies.

» En résumé, monsieur, le canchalagua me paraît appelé à rendre de grands services; comme tonique et antipériodique, il me paraît ne devoir le céder qu'au quinquina, et encore dans bien des cas lui sera-t-il préféré à cause de son prix moins élevé et de son action moins irritante sur les organes digestifs; comme sudorifique, son action est incontestable. Il serait à désirer que les médecins qui sont en position de faire des expériences sur une grande échelle voulussent, en s'associant à vos efforts, jeter quelques lumières sur les propriétés de cette plante intéressante. Pour ma part, je continuerai les expériences qu'il me sera donné de faire dans le cercle étroit de ma clientèle.

» J'ai l'honneur, etc.

» Bardos, 28 novembre 1846. »

» CHAPA, D.-H.-P.

Depuis que ces observations nous ont été transmises, le canchalagua a été fréquemment employé dans notre contrée, ses propriétés de diminuer

la plasticité du sang, de tonifier les organes digestifs, de combattre les fièvres intermittentes, d'exciter la sécrétion urinaire et d'augmenter la transpiration cutanée, ont été bien constatées et utilisées dans un grand nombre de maladies.

Le canchalagua a toujours été employé en infusion, soit chaude, soit froide, suivant le but que se proposait le médecin ; il pourrait également être administré en infusion vineuse concentrée ou en extrait qui pourrait se prendre en pilules, ou qui servirait d'excipient au sulfate de quinine dans certaines circonstances.

Nous avons fait une espèce de vin de canchalagua en laisant infuser à froid 8 litres d'eau sur 2 kilogrammes de plantes hachées et privées de leurs racines; après vingt-quatre heures de contact, nous en avons tiré par déplacement 8 litres de liquide, auquel nous avons ajouté 4 décilitres d'alcool et d'écorces d'oranges amères. Après un mois de repos dans un flacon bouché, nous avons décanté et filtré cette infusion alcoolisée, ou ce vin, qui présente une coloration orangée très foncée, et dont l'amertume est d'une intensité extraordinaire.

Le canchalagua, à part ses propriétés toutes spéciales pour diminuer la plasticité du sang, peut devenir d'autant plus important pour la thérapeutique comme succédané de quinquina, que cette dernière écorce tend chaque jour à devenir plus rare et se trouve trop souvent dans le commerce mélangée d'écorces étrangères, tandis que le canchalagua croît spontanément et en abondance sur toutes les côtes de l'océan Pacifique, depuis le Chili jusqu'en Californie, fait qui contredit l'assertion de Molina, qui prétendait que le Chili seul était en possession de cette plante. Les lignes suivantes, que nous avons rencontrées dans la relation d'un voyage en Californie, prouvent que le canchalagua habite également ce pays, où il est usité aux mêmes usages qu'au Chili, au Pérou et à Guayaquil. Voici l'extrait de l'ouvrage de Bryant, traduit par Marmier.

<< La flore californienne est riche et deviendra pour les naturalistes un curieux sujet d'études. On trouve ici beaucoup de plantes d'une vertu médicale extraordinaire; parmi les plus usitées, il faut noter l'amolé ou plante à savon, dont la racine, semblable à un oignon, nettoie le linge tout aussi bien que le savon le mieux préparé.

>> Une autre plante, appelée canchalaguan, est fort estimée des Californiens, qui la regardent comme un antidote contre la fièvre. Je ne crois pas qu'il en existe une meilleure pour purifier le sang, et il est probable qu'un jour on en fera un fréquent usage dans la médecine. Dans la saison des fleurs, c'est-à-dire durant les mois de mai et de juin, ses petites corolles brillent de toutes parts dans les champs. »>>

Nous arrêtons ici la série des recherches auxquelles nous nous sommes livré depuis plusieurs années; nous désirons que le résultat de nos travaux puisse apporter quelques secours à l'humanité souffrante, et nous réunissons sous les yeux du lecteur la nomenclature de tous les livres que nous avons consultés sur le canchalagua, afin qu'il puisse vérifier dans les Ouvrages originaux l'exactitude de nos citations.

PIÈCES, JUSTIFICATIONS ET OUVRAGES CONSULTÉS.

Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, par MM. les secrétaires perpétuels, t. XX, janvier-juin 1845; première partie p. 102 et 250.

Dictionnaire des sciences naturelles. Strasbourg et Paris, Levrault éditeur, 1817, t. VI, p. 83.

Dictionnaire d'histoire naturelle, de Valmont de Bomare. Lyon, Bruyzet, 1791, t. III, p. 230.

Nouveau Dictionnaire d'histoire naturelle, appliquée aux arts, par une société de naturalistes. Paris, Déterville, 1816, t. VI, p. 45.

Dictionnaire universel de matière médicale, de Mérat et de Lens. Paris, 1830, t. II, p. 237, et supplément, t. VII; 1846, p. 171.

Diccionario de medicina y cirugía, ó biblioteca manual medico-quirúrgico, por D. A. B. Madrid, en la imprenta real, año de 1806, t. II, p. 233.

Disertaciones sobre la raiz de la ratanhia, de la calaguala, y de la china, y acerca de la yerba llamada canchalagua, sacadas del primer tomo de las Memorias de la real Academia medica de Madrid. Su autor dr Hipolito Ruiz, primer botanico de la espedicion del Peru, agregado al real jardin de Madrid, académico numerario de dicha Academia, é individuo del real colegio de boticarios de esta corte, etc.; de órden superior. Madrid, en la imprenta real, año de 179 6.

Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres : Diderot et d'Alembert. Paris, Briasson, 1753, t. III, p. 86, article Chancelagua.

Flora peruvianæ chilensis prodromus, sive novorum generum plantarum peruvianarum et chilensium descriptiones et icones; de órden del rey. Madrid, en la imprenta de Sancha, 4794. Præfatio, p. 10.

Histoire de l'Académie royale des sciences. Amsterdam, Pierre Mortier, 1747. Année 1707, première partie, p. 65 (lettre de M. de Pas).

Histoire naturelle des drogues simples, par Guibourg, 4 vol. Paris, Baillière, 4849, t. II, p. 504.

Histoire générale des voyages, in-4°. Paris, Didot, 1757 (l'abbé Prévost), t. XIV, livre VI, p. 446.

Histoire d'un voyage aux iles Malouines, fait en 1763 et 1764, par dom Pernetty, abbé de l'abbaye de Burgel, membre de l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Prusse, associé correspondant de celle de Florence, et bibliothécaire de Sa Majesté le roi de Prusse, 2 vol. in-8°. Paris, Saillant et Nyon, 1770, t. I, p. 316.

Journal des observations physiques, mathématiques et botaniques, faites par l'ordre du roy, sur les côtes orientales de l'Amérique méridionale et dans les Indes occidentales, depuis l'année 1707 jusqu'en 1712, par le R. P. Louis Feuillée, religieux minime, mathématicien, botaniste de Sa Majesté et correspondant de l'Académie royale des sciences. Paris, Pierre Giffart, 1744 et 1725; 3 volumes in-4° avec 100 planches gravées en noir, t. II, p. 747, et pl. 35.

Le même ouvrage traduit en allemand, par Georges-Léonard Huth. Nuremberg, Geelegmann, 1756, 2 volumes in-4°, avec 100 planches coloriées, t. I, p. 50, pl. 35.

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