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nuits l'image auguste de son royal ami apparaît au noble vieillard, il croit voir encore cette tour du Temple où il reçut les derniers embrassemens du Roi martyr. Sa fille, ses petits-enfans partagent sa retraite. Bientôt l'asile du noble vieillard est investi; les bandes de l'assemblée régicide le traînent, avec sa famille, dans les prisons de Paris. A l'instant où Malesherbes entre, tous les prisonniers se lèvent saisis d'une sainte vénération; on soutient ses pas, on veut lui parler, mais les sanglots étouffent toutes les voix. Des femmes arrosent de leurs larmes les mains du défenseur de Louis XVI. Un des prisonniers vient tomber à ses pieds: « C'est vous, monsieur de Malesherbes, c'est vous! » il ne peut continuer; Malesherbes a conservé cette sérénité de la vertu : Que voulez-vous, lui dit-il, je me suis avisé >> vers mes vieux ans d'être un mauvais sujet,

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on m'a mis en prison. » Le noble vieillard, dans les fers, a retrouvé le sourire de la gaîté. On le presse pour s'asseoir sur un fauteuil, le seul qu'il y ait dans la prison. « Vous accordez, répondit-il, le fauteuil au doyen d'âge; mais

› je ne suis pas sûr de mon titre : j'aperçois

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parmi vous un vieillard qui doit l'emporter » sur moi. »

Le 10 avril Malesherbes fut transféré à la Conciergerie; son acte d'accusation dressé par

Fouquier-Thinville, lui fut présenté ; cet acte lui était commun avec les duchesses de Grammont et du Châtelet, une jeune princesse polonaise, et plusieurs autres encore. Malesherbes le lut avec cette sérénité qui ne l'abandonna jamais. «On aurait pu, dit le sage, en souriant, » y mettre un peu plus de vraisemblance.» En descendant l'escalier pour aller au tribunal il fit un faux pas : « C'est de mauvais augure, dit>> il; un Romain rentrerait chez lui. »

Malesherbes paraît au tribunal de sang, et les êtres féroces qui viennent assister à ces exécrables débats, ont versé des larmes. Fouquier-Thinville, Hermann, en prononçant son arrêt, ont détourné lá vue; ils tremblent de le fixer; Malesherbes marche à l'échafaud; sa fille, son gendre, Monsieur et Madame de Chateaubriand sont placés près du noble vieillard sur le fatal tombereau. Madame de Rosambo aperçoit Mademoiselle de Sombreuil et court se jeter dans ses bras: «Vous » avez eu le bonheur, lui dit-elle, de sauver votre » père, et moi j'ai du moins la consolation de » mourir avec le mien. » La duchesse de Grammont, d'Esprémesnil, la vicomtesse de Pontville, la duchesse du Châtelet, une jeune princesse polonaise, Mme de Lubomirski, le même jour meurent avec Malesherbes.

Les annales de ces temps ne sont plus que des

listes funèbres. Laguyomarais, illustre ami de la Rouarie, entouré de plusieurs de ses vaillans compagnons d'armes, nobles soutiens de la cause royale, marchent au supplice comme s'ils marchaient aux combats; leurs derniers cris sont ceux de l'honneur français; sur l'échafaud comme sur les champs de bataille, ils meurent en répétant vive le Roi !

Les hommes illustres dans les armes, la magistrature, les sciences, les lettres, se pressent confondus sur les marches de l'échafaud.

Tout ce que le ciel, dans sa bienfaisance, donna à l'homme sur la terre pour sa consolation, son bonheur, et qui dut lui être sacré, l'innocence, la beauté, les talens, les vertus, disparaissent sous le glaive de l'assemblée régicide: c'est la puissance du crime élevée à son plus haut degré.

Je vois inscrits dans ces sanglantes archives, les noms de Montmorency, Rohan, la Trémouille, Clermont-Tonnerre, Béthune-Charost, Saint-Simon, Talaru, de Guiche, Latour-Dupin, Crussol d'Amboise; ces noms que dans les pages de notre histoire nous trouvons au récit des combats, conduisant les Français à la gloire, expirant sous les drapeaux au milieu des lauriers, se pressent en foule sur ces pages funèbres. Leurs ancêtres prodiguèrent

:

leur sang sur les champs de bataille à leurs descendans, nobles représentans de l'honneur français, illustres victimes de la cause royale, il est donné la mission de cimenter sur les échafauds l'antique alliance des Bourbons avec la patrie.

Les familles, antique honneur de la magistrature française, Rosambo, d'Ormesson, Molé, Saron, de Gourgues, Nicolaï, Angrand d'Alleray Salaberry, tombent frappés du coup mortel.

Quarante-cinq magistrats du parlement de Paris marchent à la mort, comme autrefois ils marchaient dans les cérémonies publiques; digne d'être dans leurs rangs, Ysabeau est

amené devant le tribunal révolutionnaire. « Re>> connaissez-vous cette salle? lui dit le féroce » Dumas. Oui, c'est la salle où la vertu siégeait pour juger le crime, et où le crime > maintenant vient égorger l'innocence. »

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Lavoisier entend avec calme sa condamnation il ; consacrait ses instans, dans sa prison, à de savantes recherches. Lavoisier demande un sursis de quelques jours pour terminer d'importantes découvertes dans cette science, qui lui dut de si éclatans progrès; sûr de mourir, il cût achevé devant l'échafaud le monument qu'il léguait à la postérité. Le prési

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