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perdirent leur audace quand ils se virent frappés du décret de mis hors la loi.

Plusieurs membres de la Convention, à la tête desquels se plaçait Cambacérès, évitèrent avec soin de prendre part aux événemens des 9 et 10 thermidor, dans la crainte de se compromettre si la victoire restait à Robespierre; ils attendirent l'issue de cette sanglante lutte pour manifester leur opinion.

Que de tels misérables aient pu si long-temps conserver le pouvoir, c'est là sans doute un de ces phénomènes qui frappent d'étonnement et d'indignation; mais il faut se rappeler que les attentats du 10 août et du 21 janvier avaient brisé toutes les résistances; ceux que le crime avait élevés, forts d'une populace en délire, devinrent puissans par la terreur dont se laissèrent frapper les classes moyennes; car ces classes acceptant la terreur, n'y opposèrent aucune résistance; les nouveaux maîtres de la France n'eurent plus besoin pour conserver le pouvoir que de flatter par des supplices la férocité de la multitude. Mais ce que l'avenir aura peine à croire, c'est à l'abjecte lâcheté de la population de Paris que ses odieux tyrans viennent braver chaque jour: elle a vu le fatal tombereau se promener dans les rues! elle a vu des charretées de femmes, de vieillards conduits au supplice, et elle est res

tée immobile! elle a vu quatorze jeunes filles de Verdun monter à l'échafaud en élevant au ciel leurs voix virginales et chantant de saintes hymnes jusques sur ses marches sanglantes ; ce peuple les voit, ce peuple les entend, ce peuple les plaint, et de ses rangs il ne s'élancera personne pour les délivrer!!

Il faudrait le génie du Dante pour caractériser ce bizarre assemblage de peur et d'audace, pour peindre à la fois et l'étrange patience et l'ardente impétuosité des Français de cette époque; ils sont devenus ilotes dans leurs foyers; ils sont Spartiates aux frontières.

La masse de la nation attachait au nom de Robespierre une puissance immense; il lui sembla que la tyrannie allait être détruite sans retour; et cependant Robespierre était renversé par ses complices.

TOME Y.

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Après une si longue série de crimes, l'humanité, la justice semblent enfin retrouver des organes; ce ne sera pas du sein de l'assemblée régicide que ces organes s'éleveront, mais ce sera de toutes les parties de la France; l'opinion publique si long-temps muette, va manifester enfin sa puissance; le nouveau tableau qui s'offre à nos regards doit fixer la pensée de l'observa

téur.

Les hommes qui renversèrent Robespierre, eurent à la fois le dessein d'abattre un dictateur qui les faisait trembler, et d'asservir la France à leur sanglante domination. Ce ne fut point le remords qui dirigea contre Robespierre les coups de ses complices; une crainte sombre et jalouse fut le seul mobile des conjurés de thermidor.

Une lutte active et constante va s'élever entre l'opinion publique qui redemande justice, et l'assemblée régicide que ses souvenirs entraînent et ramènent sans cesse vers l'anarchie. Tourmentée par des craintes nécs de ses attentats,

la Convention restera cruelle jusqu'au dernier instant; si, au récit de tant d'actions horribles, elle semble faire un appel timide à la justice, bientôt le souvenir de sa complicité fera échapper de ses mains le glaive vengeur; ces hommes qui décrétèrent le crime avec enthousiasme et comme par inspiration, s'alarment des conséquences du mouvement que l'opinion publique imprime aux esprits; ils veulent conserver entre leurs mains la terrible dictature dont ils sont revêtus.

La France apprit à connaître les desseins de l'assemblée régicide, lorsqu'elle vit la chute de Robespierre annoncée en ces termes : « Le 31 mai le peuple fit sa révolution; la Convention a fait la sienne le 9 thermidor; la liberté applaudit également à toutes les deux..

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On dirait cependant que quelques-uns de ses membres veulent abjurer le crime et faire un retour tardif vers l'humanité si long-temps outragée; ils ont montré quelque audace en attaquant Robespierre; s'ils conservent leur pouvoir, c'est pour que ce pouvoir cesse enfin d'être l'oppression et la mort ; ils semblent avoir résolu de se séparer de leurs complices; et pour rappeler qu'ils ont abattu le dictateur, ils choisissent pour se désigner le nom de Thermidoriens. Tallien, Fréron sont à la tête du parti qui va com

battre, quelquefois avec énergie, mais souvent avec faiblesse, la faction redoutable qui veut retenir dans ses mains le sceptre de la terreur.

Le tribunal révolutionnaire fut suspendu quelques instans; mais bientôt un des plus lâches complices de Robespierre, Merlin de Douai, s'avança vers la tribune et prononça l'apologie du tribunal de sang; il annonça que cette institution ne devait point être détruite, mais qu'elle serait améliorée : ce fut l'expression que proféra cet homme, dont toutes les conceptions semblaient être froidement homicides.

Barrère présenta la nouvelle liste des hommes qui devaient être appelés aux fonctions de membres du tribunal révolutionnaire, et il inscrivit le nom de Fouquier-Thinville : les Thermidoriens s'opposèrent à ce choix; un d'entre eux demanda que ce monstre expiât enfin tant de forfaits; il fut arrêté.

L'assemblée régicide frémissant à la seule pensée d'un retour à la justice, vint, peu de jours après la chute de Robespierre, célébrer le 10 août; et l'on vit les meurtriers de Louis XVI et de la reine accourir au Champ-de-Mars, sourire au simulacre d'un combát où, selon l'expression de leurs orateurs, « les six tyrans de Kome,

d'Autriche, de Prusse, de Turin, de Madrid, d'Angleterre, furent faits prisonniers, con

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