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Robespierre présentait le plus hideux spectacle; le sang et la fange couvraient ses vêtemens; un de ses yeux sorti de son orbite pendait sur sa joue. Mille malédictions, qu'il pouvait encore entendre, retentissaient autour de lui. Un homme s'approche, le contemple quelques instans en silence, et, sans lui adresser aucune injure, s'écrie: Oui, il est un Dieu. Enfin le dictateur et vingt-un de ses complices sont amenés devant le tribunal où, la veille encore, ils ont envoyé. leurs victimes. A quatre heures ils sont traînés au supplice, aux cris d'un peuple ivre de joie. Une foule immense remplissait les rues; des milliers de familles pleurant des victimes, à cette grande nouvelle sortaient de leurs retraites, j'ai presque dit de leurs tombeaux.

fames complices. La taille des malheureux qu'on amenait devant lui, leur physionomie, leur tristesse, leur fermeté dans leurs réponses, tout ser-, vait à cet infâme de sujets de sarcasmes et de railleries. Si les victimes voulaient parler, d'unc voix terrible il criait: Tu n'as pas la parole; si ces malheureux se taisaient: «Voyez, disait-il, ils conspirent en silence. »

.

Un jour il dit à des prisonniers qui attendaient avec calme leurs destinées : « Vous seriez bien étonnés, si je vous annonçais que yous allez être acquittés;» et après quelques instans de silence. il prononça leur arrêt de mort.

L'agonie de Robespierre fut épouvantable; au milieu des imprécations exhalées de toutes les bouches, on remarqua le trait suivant: Une jeune femme traverse la foule, et saisissant un des barreaux de la charrette, lui dit avec l'expression d'une colère qui contrastait avec la douceur de ses traits : « Monstre! ton supplice m'eni» vre de joie. Que ne peux-tu mourir mille fois » pour une ! Descends dans la tombe avec toutes » les malédictions des épouses et des mères!» Puis elle se retira en poussant des cris déchi

rans.

Robespierre, son frère, Couthon, Saint-Just, Henriot, étaient placés sur la même charrette. Henriot, couvert de sang, le corps presque nu, et ayant un œil qui ne tenait à son orbite que par quelques filamens, forçait tous les regards à se détourner. Le peuple l'apostrophait et faisait entendre mille imprécations: « Le voilà, » disait-il, ce monstre, tel qu'il sortit de Saint» Firmin après avoir égorgé les prêtres. » Le corps de Lebas, qui s'était tué d'un coup de pistolet, était étendu sur la charrette. Robespierre, les yeux baissés et abattus, penchait sur sa poitrine sa tête hideuse; il portait l'habit dont il était revêtu le jour où sa bouche sacrilége osa proclamer l'existence de l'Etre-Suprême. Ce rapprochement rappela à des pensées religieu

à Paris chezénard & Deane Rue Git le Cœur

ses cette foule qui surgissait de toutes parts: la puissance de Dieu se manifestait dans cet instant avec un éclat qui confondait l'incrédulité humaine.

Les derniers momens de Robespierre furent terribles; après avoir jeté son habit qui était croisé sur ses épaules, le bourreau l'étendit sur la planche fatale et lui arracha brusquement l'appareil mis sur sa bouche mutilée; le sang jaillit alors, la mâchoire inférieure se détacha de la mâchoire supérieure, et sa tête présenta le plus hideux de tous les aspects. Le général Lavalette, le président des Jacobins, Vihier, le maire de Paris, Fleuriot, l'affreux Simon et plusieurs autres furent suppliciés le même jour; la frayeur et la bassesse siégeaient sur ces fronts pâles et livides, un mouvement convulsif agitait leurs membres; tous entendirent les malédictions de la génération entière et moururent de mille morts, en horreur à eux-mêmes et chargés de l'exécration des siècles.

Coffinhal, vice-président du tribunal de sang, s'échappa quelques instans des mains de ses gardes; travesti en mendiant, il fut se cacher dans l'île des Cygnes, et y resta quarante-huit heures sans nourriture et sans abri contre une pluie qui tombait à torrens; enfin, mourant de faim et épuisé de fatigue, il sortit de sa retraite, et fut

demander du pain et des vêtemens à un de ses complices qu'il appelait son ami; ce misérable avertit la garde, qui traîna Coffinhal à ce même tribunal où il avait dicté tant d'arrêts de mort.

Robespierre n'est plus, mais la tyrannie n'a point été détruite; si le dictateur a été abattu, l'assemblée régicide règne encore. Robespierre a été renversé par ses complices, et des hommes qui ont tué leur Roi sont condamnés à errer sans cesse autour d'un cercle de sophismes et de crimes.

Le jour même où Robespierre a terminé son horrible dictature, le sang innocent a coulé sur les échafauds; quatre-vingts victimes ont été immolées elles furent conduites à la mort pendant la lutte de la Commune avec l'assemblée régicide. Le peuple fit quelques efforts pour arrêter le fatal tombereau où étaient entassées les victimes; le féroce Henriot, qui dans ce moment traversait Paris et ralliait ses bandes, fit continuer la marche funèbre; elles expirèrent sur l'échafaud (1).

(1) Plusieurs magistrats furent immolés le 9 thermidor; on remarqua M. de Saint-Roman, conseiller au parlement de Paris.

On retrouve sur la liste de ce jour, parmi les noms de plusieurs victimes envoyées de Moulins,

Ainsi tomba ce misérable, qui était devenu l'idole de la plus grossière multitude en ne faisant usage que d'ignobles artifices; on le redoutait, et on se demandait comment il était parvenu à se faire redouter. Tout fut bas, taciturne, sombre, dans le manége de son ambition. Ses rivaux ne s'aperçurent de ses progrès que lorsqu'ils subirent le pouvoir de sa domination. L'histoire d'aucun peuple ne montre le succès d'un aussi méprisable imposteur.

La révolution fut l'ouvrage de la peur. Plus la révolution acquiert d'intensité, plus le ressort de la peur devient un puissant levier; on le reconnaît encore dans cette insurrection de quelques membres de la Convention contre Robespierre; ils égorgent Robespierre, parce que Robespierre allait donner l'ordre de les égorger.

Si, dans cette conjoncture de thermidor qui décida de son sort, Robespierre eût montré quelque courage, il eût entraîné cette multitude encore incertaine; mais Henriot et ses bandes

les noms de MM. Sallé, Lhuillier et Labresne, << convaincus de s'être déclarés les ennemis du » peuple en s'associant à la coalition des conspi> rateurs et en favorisant les amis du tyran. » (C'est l'épithète qu'employaient les meurtriers de Louis XVI pour désigner le Roi martyr.)

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