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et les vers avaient déjà rongé la moitié de leur proie. Marat demande à Charlotte de Corday les noms des conspirateurs réfugiés à Caen: «Bientôt, dit-il, ils recevront leur châtiment.

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Reçois le tien,» s'écrie Charlotte de Corday, et d'une main assurée elle plonge un poignard dans le cœur de Marat. « Je me meurs ! » s'écrie le monstre. Des femmes accourent, insultent à l'héroïne, elle reste immobile, et fixe sur ces misérables des regards de pitié.

Charlotte de Corday est chargée de fers; des cannibales demandent sa tête à grands cris; elle n'est point émue: un mélange de fierté et de candeur imprime à ses traits l'énergie de son ame; on l'interroge; c'est là que son héroïsme se montre dans toute sa puissance.

« Tous ces détails sont inutiles, s'écrie Charlotte de Corday: c'est moi qui ai tué Marat.—Qui vous a engagée à commettré cet assassinat? lui demande le président. - Ses crimes, Qu'entendez-vous par ses crimes? - Les malheurs dont il a été cause depuis la révolution, et ceux qu'il préparait encore à la France. Quels sont ceux qui vous ont portée à commettre cet assassinat? Personne c'est moi seule qui en ai conçu l'idée; on exécute mal ce qu'on n'a pas conçu soi-même.-Quelles étaient vos intentions en tuant Marat?-De faire cesser les

troubles de la France. J'ai tué un homme pour en sauver cent mille; un scélérat, pour sauver des innocèns; une bête féroce, pour donner le repos à mon pays. Croyez-vous donc avoir assassiné tous les Marat? - Celui-là mort, les autres auront peur peut-être. >>

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Le tribunal de sang condamna Charlotte Corday à la mort; elle entendit avec intérêt les expressions de Chauveau-Lagarde; c'était le défenseur que, par dérision, les juges-bourreaux avaient choisi pour plaider la cause de cette jeune fille; il s'exprima ainsi ":

Le calme imperturbable, et cette entière abnégation de soi-même, en présence de la mort; ce calme, dis-je, cette abnégation sublime sous un rapport, ne sont pas dans la natuils ne peuvent s'expliquer que par l'exaltation du fanatisme politique qui lui a mis le poignard à la main. C'est aux jurés à juger de quel poids doit être cette considération morale dans la balance de la justice.

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En entendant prononcer sa condamnation, un mouvement de joie se peignit dans ses traits; elle écouta la lecture de son arrêt comme si elle recevait sa récompense. Charlotte Corday regarda avec dignité Chauveau-Lagarde, et lui adressant la parole: « Vous qui » m'avez si bien défendue, dit-elle, je vois

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que mes biens sont confisqués, et je ne puis » reconnaître ce que vous avez fait pour moi; » mais je dois quelque chose dans ma prison, et, pleine d'estime pour vous, je vous charge d'acquitter ma dette. »

Charlotte de Corday, dans une lettre qu'elle avait écrite à un député proscrit, s'exprimait ainsi sur son procès :

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« Il me faut un défenseur, c'est la règle ; j'ai pris le mien sur la Montagne : c'est Gustave Doulcet de Pontécoulant; j'imagine qu'il refusera cet honneur. Charlotte de Corday avait choisi dans Doulcet de Pontécoulant un de ses compatriotes; il refusa. Elle lui écrivit le billet suivant: «Doulcet de Pontécoulant est un lâche d'avoir refusé de me défendre, lorsque la chose était si facile. Celui qui l'a fait s'en est acquitté avec toute la di- . gnité possible. Je lui en conserverai une reconnaissance jusqu'au dernier moment. » La lettre à son père était ainsi conçue: Pardonnez-moi, mon cher papa, d'avoir disposé de ma vie sans votre consentement. J'ai vengé bien d'innocentes victimes; j'ai prévenu bien des désastres. Le peuple, un jour désabusé, se réjouira d'être délivré d'un tyran. Si j'ai cherché à vous persuader que je passais en Angleterre, c'est que j'espérais

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garder l'incognito; mais j'en ai vu l'impossibilité. J'espère que vous ne serez pas tourmenté. Vous trouverez des défenseurs à Caen. Adieu, mon cher papa; je vous prie

de m'oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort. Vous connaissez votre fille ; un motif blâmable n'aurait pu la conduire. >> J'embrasse ma sœur, que j'aime de tout mon cœur, ainsi que tous mes parens. N'oubliez pas ce vers de Corneille :

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» Le crime fait la honte, et non pas l'échafaud.

C'est demain, à 3 heures, que l'on me juge. »

Charlotte de Corday fut conduite à sept heures sur la place de la Révolution; les furies de la guillotine, les assassins de septembre couvraient toutes les rues sur son passage. Altérés du sang qui leur était promis, ils faisaient retentir l'air de mille cris féroces. Charlotte de Corday conserva un imperturbable sang-froid; la sérénité de ses traits annonçait le calme de son ame. Plusieurs spectateurs saluèrent l'héroïne avec respect; d'autres lui donnèrent presqu'à haute voix des applaudissemens. Tout le peuple qu'elle voyait se presser autour d'elle, lui semblait affranchi par son courage; elle monta sans pâlir les marches de l'échafaud, et

reçut la mort avec le même courage qu'elle l'avait donnée. Sa tête fut montrée à cette multitude, qui, avide de repaître ses regards du sang des victimes, se pressait au pied des échafauds. Des outrages attendaient la jeune fille après sa mort; les bourreaux lui donnèrent plusieurs soufflets. Cependant ces êtres dégradés qui entouraient l'instrument du supplice, semblèrent éprouver quelque sentiment d'indignation; ils firent châtier cette abjecte férocité qui, plus d'une fois, se renouvela sur la place où le sang de Louis XVI avait coulé.

A l'instant même, la Convention décrète qu'elle assistera tout entière aux funérailles de Marat, lâchement assassiné pour la cause de la liberté, et que ses dettes seront payées aux frais de la république. L'apothéose de Marat est proclamée par l'assemblée régicide; le dieu du sang est adoré: David vient à la tribune annoncer « qu'il a trouvé Marat dans l'attitude la plus imposante, allongeant, hors de sa bai

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gnoire, une main qui semblait écrire ses der»nières pensées pour le salut du peuple. » La Convention répond par des acclamations aux accens de David, et David profère ces paroles, qui expriment le dernier degré de la dé

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