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en foule dans nos saints livres, tendent évidemment à honorer la profession militaire. En effet, il est peu de professions dans la vie qui donnent lieu à développer un aussi grand nombre de vertus chrétiennes. Nous nous attendons à rencontrer chez celui qui mérite le titre de bon soldat, de la modestie, de la modération, de l'humanité, de la patience, de la clémence et de la franchise: et ceux qui ont beaucoup vécu dans le monde, ont eu mille occasions de voir cette attente réalisée [M].

Mais l'amitié, cette source de tant de douces jouissances, l'amitié sans laquelle la vie nous serait bientôt à charge, n'est mise nulle part dans le Nouveau - Testament au rang des vertus chrétiennes. Quelques personnes ont cru devoir faire de ce silence une objection contre la morale de l'Évangile, et le présenter comme une preuve de son incompatibilité avec la conduite générale des affaires humaines. Mais on peut demander à Shaftesbury,

qui le premier paraît avoir élevé cette difficulté, quel philosophe parmi les anciens, dont il est si grand admirateur, lui a enseigné que l'amitié était une vertu ? Sans doute ce n'est pas Cicéron, quoiqu'il nous ait laissé sur ce sujet un traité fort élégant : car il a grand soin de distinguer l'amitié de la vertu, quand il dit, à la fin de son livre, que la vertu est plus excellente que l'amitié, et que c'est la vertu qui fait naître l'amitié, et qui la conserve. Aristote ne s'explique pas là-dessus d'une manière bien précise il reconnaît seulement que l'amitié et la vertu ont entre elles une étroite liaison. Et ces deux choses en effet sont tellement unies, qu'elles s'engendrent mutuellement, de la même manière qu'une association commerciale peut développer la probité et l'industrie, ou que la probité et l'industrie peuvent créer une association. Mais quoique la probité et l'industrie soient des qualités essentielles au commerce, une société de commerce n'est pas une vertu et aucun négociant ne

sera estimé pour avoir des associés, ou blâmé parce qu'il n'en a pas. Être privé d'amis, quand il n'y va pas de notre mauvaise conduite, c'est sans doute un trèsgrand malheur; mais jamais aucun être raisonnable n'imaginera de qualifier de faute une telle disgrâce.

Toutes les vertus qui s'allient avec l'amitié, tous les devoirs qu'un ami doit remplir envers son ami, la douceur, le support, la complaisance, sont expressément recommandés par les préceptes de l'É criture, et mis en pleine évidence par l'exemple [N]. Quelle lacune l'Evangile laisse-t-il donc relativement à l'amitié? Aucune, si ce n'est qu'il ne renferme aucun précepte du genre de ceux-ci : « Vous › ferez choix d'une personne ou de cer»taines personnes, qui vous sont agréa>bles; vous les aimerez plus que d'autres, » et vous ferez en sorte de vous concilier pareillement l'affection de ces per» sonnes. »Ne serait-ce pas là en vérité une législation bien admirable? L'auteur

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n'en paraîtrait-il pas bien habile, et profondément versé dans la connaissance du cœur humain et des relations sociales? Telles furent pourtant, à ce qu'il paraît, sur le sujet qui nous occupe, l'habileté et la pénétration de l'auteur des caractéristiques.

Pour terminer: si la tempérance, la piété et la sociabilité; si la douceur, l'intégrité et la miséricorde; si la confiance en Dieu, la résignation dans les revers; si l'éloignement du mal, la répression de tout injuste dessein, sont autant de vertus éminemment avantageuses à l'espèce humaine, et qui tendent tout à la fois à assurer le repos des peuples et le bonheur des individus, il s'ensuit que notre religion est, même pour ce monde, le meilleur code de morale, et que les désordres que nous observons autour de nous, doivent être imputés non pas au christianisme lui-même, mais toujours à une préférence accordée à une conduite et à des principes qui lui sont tout-à-fait opposés. Il n'est

donc pas moins absurde d'imaginer que

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le sort du genre humain pourrait s'amé liorer, en supprimant le frein de la morale chrétienne, qu'il ne le serait de proposer comme moyen d'augmenter la prospérité du commerce, la révocation des lois qui punissent la fraude et le larcin.

SIXIÈME OBJECTION.

De l'apparente inefficacité de l'Évangile pour réformer le genre humain.

Le monde n'est-il pas aussi corrompu aujourd'hui qu'il l'était du temps des païens? L'antiquité n'a-t-elle pas produit d'aussi grands hommes qu'aucun de ceux qui se sont illustrés dans les siècles mo dernes? Quel si grand avantage le genre humain a-t-il donc retiré du christianisme, soit dans l'intérêt des mœurs, soit dans celui de l'art de gouverner?

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Quand on pourrait répondre affirmativement sur les deux premières questions, l'évidence du christianisme n'en serait

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