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Puisque, dans un point si resserré, la fiction peut donner des émotions si vives, quel ravissement devrait produire la réalité, s'il était possible d'en apercevoir toute la splendeur et la magnificence!

Calculons donc toutes les jouissances de l'esprit, toutes les délices du sentiment, tous les ravissemens d'admiration et d'amour envers celui dont il nous sera permis de contempler la gloire et d'adorer la bienfaisance, et soyons sûrs que quelques idées que nous puissions nous en former, elles ne sont que comme un épais brouillard en comparaison de la splendeur d'un beau jour (a). Si notre esprit, dont les connaissances ont de si étroites limites, éprouve néanmoins une satisfaction si vive lorsqu'il croit atteindre

(a) C'est la comparaison qu'emploie Virgile en représentant la déesse Vénus qui dessille les yeux d'Énée et lui fait apercevoir les choses comme elles sont en elles-mêmes.

Aspice, namque omnem quæ nunc obducta tuenti
Mortales hebetat visus tibi, et humida circum

Caligat, nubem eripiam.

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VIRG., Eneid. L. II.

l'objet de ses laborieuses recherches ; si notre ame, toute asservie qu'elle est par les sens imparfaits auxquels elle est unie, éprouve cependant ce charme de la faiblesse qui s'humilie devant ce qu'elle adore, et savoure l'extase de l'étonnement lorsqu'elle considère ou l'ordre imposant et majestueux de l'univers, ou l'organisation non moins surprenante peut-être du moindre des insectes; si notre cœur, dont toutes les fibres sensibles sont bien plus souvent agitées par les peines morales que par les émotions du plaisir, trouve pourtant dans les succès de l'ambition, dans la délicatesse de l'amour, dans la tendresse de l'amitié, dans la pratique même des vertus, des jouissances si douces, que nous n'hésitons pas à leur donner le nom de félicité suprême, quelle doit donc être celle de cet esprit lorsqu'inondé d'une clarté céleste, il verra la vérité dans sa source, et la science incertaine disparaître comme une illusion; de cette ame qui, libre de ses entraves et prenant un essor angélique, pourra connaître enfin le secret des merveilles qu'elle ne pouvait comprendre, parcourir, avec la rapidité de la pensée, les mondes sans nombre, trésor immense des

merveilles qu'elle ignore, et trouver Dieu par-tout dans la magnificence de ses ouvrages; de ce cœur enfin qui, désormais et pour toujours exempt de toute peine et de toute inquiétude, n'aura pas un desir qui ne soit satisfait, pas un mouvement qui ne soit une jouissance, pas une jouissance qui ne soit la plus pure volupté, et qui, sous les yeux de Dieu même, la partageant avec les êtres qui lui furent toujours chers, ne trouvera plus, pour lui rendre graces de tant de bienfaits, que le sentiment plus voluptueux encore de la reconnaissance!

Telles sont les notions que peut se former de notre future destinée l'intelligence humaine livrée à elle-même, et moins fermement appuyées, sans doute, sur l'espoir qu'elle caresse et qui pourrait la séduire, que sur la divine Toute-Puissance qui ne saurait le tromper. Mais si l'on pouvait supposer que, dans les contrées que nous habitons, un philosophe solitaire eût passé une partie de sa vie à des méditations sur le sort de son ame dans l'avenir, sans autres guides que sa raison, l'étude de la nature et les écrits de Pythagore ou de Platon, et que tout à coup l'Évangile et l'exposition de la

doctrine chrétienne de Bossuet lui fussent tombés sous la main, avec quel enthousiasme son cœur vertueux et reconnaissant eût reçu cette lumière céleste qui détruit tous les doutes, et qui, exaltant toutes les idées d'un bonheur futur, dont le pressentiment est le gage, les perfectionne, les épure et met le sceau de l'éternelle vérité à tous les aperçus qu'il ne pouvait entrevoir qué dans le jour nébuleux d'un systême philosophique!

CHAPITRE IV.

De la Religion comparée à la Philosophie, relativement à la destinée de l'homme.

L'un des plus célèbres philosophes modernes a dit : « Par les principes, la philo<< sophie ne peut faire aucun bien que la « religion ne le fasse encore mieux, et la «< religion en fait beaucoup que la philoso

phie ne saurait faire (a). » On a recueilli cette phrase avec empressement, parce que, sous la plume d'un écrivain qui passait pour très-peu religieux, elle a paru un aveu que la conviction la plus intime laissait échapper en faveur du christianisme. Mais ce n'est là qu'une demi-vérité. Il est du bien, sans doute, que la philosophie peut faire, et la religion peut faire ce bien comme elle et mieux encore; mais la religion seule peut faire à l'homme le bien que la philosophie

(a) J.-J. Rousseau.

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