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nature de l'entendement humain, une distinction qui peut répandre beaucoup de jour sur la question que nous croyons important d'examiner.

Cette distinction est celle qu'on doit nécessairement admettre entre les idées de choses et les idées de mots ou de définitions.

Nous n'avons que deux sortes d'idées, celles qui nous viennent des choses sensibles, et celles qui, paraissant ne point venir des sens, sont formées par des mots qu'on a définis, et auxquels on a attaché une signification.

Il n'y a point de difficulté sur les idées des choses; elles ne sont réellement que des sensations, telles que les idées du chaud, du froid, du doux, de l'amer, du rouge, du blanc, etc., et qui toutes ne sont que l'effet de l'impression des objets extérieurs et sensibles.

Il ne s'agit donc que d'examiner comment se forment les idées de mots, celle de Dieu, par exemple, comme toutes les autres qui lui ressemblent.

Cette idée n'a pu, sans doute, se former que par la considération des objets extérieurs, et comme le dernier résultat de plu

sieurs réflexions. Elle sera venue comme l'idée d'un horloger en considérant une montre. L'ouvrage aura supposé l'ouvrier; la disposition des rouages aura démontré l'intelligence de l'auteur. Ainsi la réflexion sur l'ordre de l'univers, sur les merveilles de la création, aura nécessairement amené l'idée du Créateur.

Mais pour fixer ces réflexions de manière à en tirer une conséquence, n'a-t-il pas fallu les communiquer, et peuvent-elles avoir été communiquées sans un langage?

Cette seule pensée : ce soleil que je vois existe-t-il par lui-même ? combien de travail ne suppose-t-elle pas? Il a fallu s'entendre pour donner un mot à l'objet lumineux; il a fallu un mot pour rendre la sensation de la vue, un autre pour bien entendre ce que c'était qu'exister, un autre pour exprimer la différence d'exister par soi ou par

une cause supérieure, etc.

Toutes ces opérations supposent un langage déjà perfectionné, puisqu'il s'y trouve des mots abstraits, des idées généralisées. En suivant cette analyse, on voit clairement que des êtres qui apercevraient le même objet, et qu n'auraient pas la faculté de parler et de

se communiquer leurs idées, le verraient pendant toute leur vie sans y penser, sans en tirer la moindre conséquence, et qu'ils seraient précisément dans le même cas que la brute, ou que l'homme sourd et muet auquel on n'aurait indiqué aucune manière de communiquer son idée ou sa sensation.

Ce n'est donc effectivement que parce que l'homme parle, ce n'est que parce qu'il a la faculté de communiquer ses idées, qu'il peut avoir des idées de mots ou de définitions avec lesquelles seules il peut penser ou former des phrases, soit intérieurement, soit extérieurement et de là il suit que, sans cette même faculté, il n'aurait l'idée ni du bien ni du mal moral, ni du juste ni de l'injuste, ni de son ame, ni de sa propre raison, ni peut-être même la conscience de sa propre existence, si ce n'est celle qu'ont les animaux, à supposer qu'ils l'aient effectivement, ce qui est fort équivoque.

Ainsi les objets extérieurs fournissent à l'esprit les idées des qualités sensibles, et l'esprit fournit à l'entendement les idées de ses propres opérations: l'homme n'a done d'autres idées que celles qui ont été produites de ces deux manières. Par cette faculté qu'a

l'esprit de rappeler et de joindre ensemble des idées, il peut varier et multiplier à l'infini l'objet de ses pensées au-delà de ce qu'il reçoit par sensation et par sensation et par réflexion; mais celles-ci se réduisent toujours aux idées simples que l'esprit a reçues de ces deux sources, et qui sont les matériaux auxquels se résolvent enfin toutes les compositions qu'il peut faire.

S'il est vrai que la pensée n'est autre chose que le résultat des idées comparées; s'il est vrai que ces.premières idées, sur lesquelles se forment toutes les autres, ne nous viennent que des objets extérieurs, par la voie de nos sens, on doit en conclure que nous ne pensons que parce que nous avons des sens; et comme nous ne pouvons comparer ces idées reçues que par la faculté que nous avons de trouver des signes ou des mots de convention pour les exprimer, il s'ensuit, par une conséquence aussi évidente, que nous ne pensons que parce que nous avons la faculté de parler.

Cette faculté est donc à l'égard de la pensée ce qu'est l'œil ou la faculté de voir à l'égard de la vue, l'oreille à l'égard de l'ouïe, etc. L'homme n'a pas des yeux parce qu'il voit,

mais il voit parce qu'il a des yeux; et l'auteur de la nature lui a donné des yeux pour qu'il puisse voir, comme il lui a donné la parole pour qu'il puisse penser de sorte qu'on pourrait aussi bien appeler la parole l'organe de la pensée, que l'œil l'organe de là vue.

Si cet organe n'a point atteint sa perfection, si quelque accident empêche son entier développement, l'individu ne verra jamais : de même, si quelque accident s'oppose à la formation du langage dans l'homme, on peut assurer qu'il ne pensera jamais.

Soyons de bonne foi avec nous-mêmes : pouvons-nous nous rappeler, dans l'époque la plus reculée de notre enfance, d'avoir cu une pensée avant de pouvoir parler? Des idées, des desirs, des goûts, à la bonne heure; mais ce ne sont pas là des pensées. L'enfant, avec l'organe de la vue aussi parfait qu'il est possible, voit long-temps sans avoir la perception de ce qu'il voit. Il a sans doute la faculté d'apercevoir, mais c'est la comparaison des objets, leur mouvement, l'attention, l'expérience, qui développent cette faculté et impriment les premières sensations distinctes dans son ame: il en est absolument de même

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