Page images
PDF
EPUB

raisonnée ainsi il nous suffira d'analyser exactement ce qu'il en dit pour voir s'il est possible de concilier son systême avec les observations qu'il a multipliées, et si ses raisonnemens sont bien d'accord avec les faits sur lesquels il n'établit aucun doute.

Chaque être dans la nature, dit-il, a son prix réel et sa valeur relative; si l'on veut juger au juste de l'un et de l'autre dans l'éléphant, il faut lui accorder au moins l'intelligence du castor, l'adresse du singe, le sentiment du chien, et y ajouter ensuite les avantages de la force, de la grandeur et de la longue durée de la vie.... A cette force prodigieuse il joint encore le courage, la prudence, le sang froid, l'obéissance exacte; il conserve de la modération même dans ses passions les plus vives; il est plus constant qu'impétueux en amour; dans la colère, il ne méconnaît pas ses amis; il n'attaque jamais que ceux qui l'ont offensé, et se souvient des bienfaits aussi long-temps que des injures. Aussi les anciens lui ont-ils attribué des qualités intellectuelles, des vertus morales, des mœurs raisonnées et une sorte de religion.... On vient à bout de le dompter, de le soumettre, de l'instruire; mais quoiqu'il ressente de

temps en temps les plus vives atteintes de l'amour, il ne produit ni ne s'accouple dans l'état de domesticité. Sa passion contrainte dégénère en fureur; ne pouvant se satisfaire sans témoins, il s'indigne, il s'irrite, il devient insensé, violent, et l'on a besoin de chaînes les plus fortes et d'entraves de toutes espèces pour arrêter ses mouvemens et briser sa colère. Il diffère donc de tous les animaux domestiques que l'homme traite et manie comme des êtres sans volonté; il n'est pas du nombre de ces esclaves nés que nous propageons, mutilons ou multiplions pour notre utilité. Ici l'individu seul est esclave; l'espèce demeure indépendante et refuse constamment d'accroître au profit du tyran. Cela seul suppose dans l'éléphant des sentimens élevés au-dessus de la nature commune des bêtes ressentir les ardeurs les plus vives, et refuser en même temps de les satisfaire, entrer en fureur d'amour et conserver la pudeur, sont peut-être le dernier effort des vertus humaines, et ne sont dans ce majestueux animal que des actes ordinaires auxquels il n'a jamais manqué....

:

« L'éléphant, une fois dompté, devient le plus doux, le plus obéissant de tous les

animaux; il s'attache à celui qui le soigne, il le caresse, le prévient et semble deviner tout ce qui peut lui plaire; en peu de temps il vient à comprendre les signes et même à entendre l'expression des sons; il distingue le ton impératif, celui de la colère ou de la satisfaction, et il agit en conséquence. Il ne se trompe point à la parole de son maître; il reçoit ses ordres avec attention, les exécute avec prudence, avec empressement, sans précipitation; car ses mouvemens sont toujours mesurés, et son caractère paraît tenir de la gravité de sa masse; on lui apprend aisément à fléchir les genoux, pour donner plus de facilité à ceux qui veulent le monter; il caresse ses amis avec sa trompe, ou salue les gens qu'on lui fait remarquer; il s'en sert pour enlever des fardeaux et aide lui-même à se charger; il se laisse vêtir et semble prendre plaisir à se voir couvert de harnois dorés et de housses brillantes. On l'attèle, on l'attache par des traits à des charriots, des charrues, des navires, des cabestans; il tire également, continuement et sans se rebuter, pourvu qu'on ne l'insulte pas par des coups donnés mal à propos, et qu'on ait l'air de lui savoir gré de la bonne

volonté avec laquelle il emploie ses forces.... Souvent la parole suffit, sur-tout s'il a eu le temps de faire connaissance complète avec son conducteur, et de prendre en lui une entière confiance. Son attachement devient quelquefois si fort, si durable, et son affection si profonde, qu'il refuse ordinairement de servir sous tout autre, et qu'on l'a quelquefois vu mourir de regret d'avoir, dans un accès de colère, tué son gouverneur. >>

M. de Buffon ajoute à l'intéressante description du caractére moral de l'éléphant, une quantité de traits les plus propres à constater la supériorité de son intelligence, et tous extraits des auteurs les plus véridiques. J'en choisis deux seulement qui peuvent servir à expliquer quelques-unes de leurs actions qui paraissent les plus extraordinaires, quoique cette explication ne soit pas celle qu'adopte M. de Buffon.

«J'ai plusieurs fois observé, dit Édouard Terry, dans ses Voyages aux Indes orientales, que l'éléphant fait plusieurs choses qui tiennent plus du raisonnement humain que du simple instinct naturel qu'on lui attribue. Il fait tout ce que son maître lui commande; s'il veut qu'il fasse peur à quel

animaux; il s'attache à celui qui le soigne, il le caresse, le prévient et semble deviner tout ce qui peut lui plaire; en peu de temps il vient à comprendre les signes et même à entendre l'expression des sons; il distingue le ton impératif, celui de la colère ou de la satisfaction, et il agit en conséquence. Il ne se trompe point à la parole de son maître; il reçoit ses ordres avec attention, les exécute avec prudence, avec empressement, sans précipitation; car ses mouvemens sont toujours mesurés, et son caractère paraît tenir de la gravité de sa masse; on lui apprend aisément à fléchir les genoux, pour donner plus de facilité à ceux qui veulent le monter; il caresse ses amis avec sa trompe, ou salue les gens qu'on lui fait remarquer; il s'en sert pour enlever des fardeaux et aide lui-même à se charger; il se laisse vêtir et semble prendre plaisir à se voir couvert de harnois dorés et de housses brillantes. On l'attèle, on l'attache par des traits à des charriots, des charrues, des navires, des cabestans; il tire également, continuement et sans se rebuter, pourvu qu'on ne l'insulte pas par des coups donnés mal à propos, et qu'on ait l'air de lui savoir gré de la bonne

« PreviousContinue »