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bien saisir cette différence que consiste toute la difficulté. Ce principe affaibli, atténué ou entièrement annullé dans l'animal, celui-ci doit se dégrader dans la même proportion, et montrer moins de sensibilité, d'instinct et d'intelligence à mesure que le mécanisme a moins de perfection et d'action sur lui: et telle est peut-être la seule manière de bien expliquer la prodigieuse distance qui se trouve entre l'intelligence d'un castor et celle d'une huître.

Avec le secours de la physiologie, et par l'examen de ce mécanisme organique, on peut bien rendre raison de ce qu'on appelle instinct dans les animaux, de leur industrie, de leur perfectibilité supposée, même de leurs goûts, de leurs desirs, et de toutes les passions qui tiennent à leur conservation et à leur reproduction; mais il est mille circonstances où leurs actions semblent être l'effet d'une volonté qui choisit, et que précèdent une combinaison d'idées comparées et une sorte de jugement. Cette combinaison est une opération intellectuelle dont la matière la mieux organisée n'est pas susceptible. Cette matière, comme nous l'avons vu, est douée de l'irritabilité, et peut recevoir du mouvement qui

lui paraît propre, et que néanmoins elle ne tient de l'influence d'une cause quel

que

conque qui agit sur elle. Des muscles, des nerfs, des fibrilles, quelque délicates qu'on les suppose, des organes corporels, en un mot, peuvent recevoir des sensations de mille espèces; mais là finit leur ministère; et pour comparer ces sensations entre elles, il faut nécessairement admettre une substance différente de la matière que nous connaissons, et qui joigne à la faculté d'éprou→ ver des sensations celle de les comparer, de choisir, de vouloir, et de déterminer l'action qu'elles provoquent.

Le détail des faits et l'examen des explications qu'ont imaginées à ce sujet les savans les plus célèbres, donneront à ce premier aperçu le développement nécessaire pour établir une opinion raisonnée sans aucun esprit de systême; et peut-être sera-t-il possible de la confirmer encore par l'idée juste qu'on doit prendre du langage des animaux, attribution très-remarquable, dont quelques personnes se plaisent à exagérer l'avantage beaucoup plus qu'une saine philosophie ne le

permet.

Deux des plus célèbres naturalistes, Buffon

et Bonnet, ont consacré la plus grande partie de leurs observations à l'histoire des animaux. L'un en a dépeint le physique et le moral avec une vérité et un charme de coloris inimitable; l'autre les a considérés sous un rapport plus vaste et plus philosophique : tous les deux ont tiré de leurs observations des conséquences à peu près semblables relativement à la nature de leur intelligence; mais Condillac, Le Roi et quelques autres, ont été d'un sentiment contraire, et le mérite des adversaires, de part et d'autre, ne fait qu'ajouter une difficulté de plus, quand on voudrait une solution.

Il faut simplifier la question; et pour savoir si les bêtes ont une ame ou si elles n'en ont pas, il me semble qu'il est indispensable de mettre une distinction entre les opérations qui ne sont chez elles que le résultat de l'instinct ou d'un mécanisme organique, et celles qui supposent des sensations comparées et une sorte de raisonnement; c'est en confondant ces deux choses que les opinions se sont trouvées divergentes, ainsi qu'en raisonnant sur tous les animaux en général, tandis qu'il ne fallait raisonner que sur ceux dont les actions peuvent donner lieu d'examiner quelle

est la véritable source de leur intelligence. Les observateurs qui ont voulu savoir si la brute avait une ame n'auront pas plus imaginé de la chercher dans une huître que dans une éponge.

Nous pouvons donc laisser de côté toutes ces opérations mécaniques des animaux, qui ne sont que le résultat d'une organisation déterminée par la nature pour produire tel ou tel effet dans chaque espèce, et sans jamais varier, ou du moins sans que cette variété puisse être regardée autrement que comme une exception passagère, qui, dans des circonstances rares, distingue l'individu sans altérer l'espèce. Tout ce qui paraît le plus admirable dans le travail des animaux et dans tous les moyens qu'ils emploient pour se reproduire et pour veiller à leur conser vation peut être considéré sous ce point de vue. Telle était l'opinion du savant naturaliste de Genève, et personne peut-être n'a multiplié autant qu'il l'a fait dans son bel ouvrage de la Contemplation de la Nature, tous les détails de la merveilleuse industrie des animaux, depuis l'insecte microscopique jusqu'à l'énorme quadrupède.

<< Il nous est si naturel, dit-il, de réfléchir,

parce qu'il nous est si naturel de lier nos idées à des signes, et d'en former des notions de tout genre, que nous imaginons sans peine que l'animal réfléchit aussi. Nous le faisons donc agir aussi par les mêmes motifs qui nous détermineraient en pareil cas. Avons-nous à rendre raison de quelque procédé remarquable où nous croyons découvrir des vues fines, nous supposons aussitôt de telles vues, nous y joignons de petits raisonnemens implicites, et tout s'explique le plus heureusement du monde; mais c'est en transformant, sans y songer, l'animal en homme, et de pures sensations en vraies notions. Ce ne serait pas du but que nous découvrons dans l'ouvrage d'un animal industrieux que je voudrais partir pour rendre raison de cet ouvrage: je ne dirais pas, l'araignée tend une toile pour prendre des mouches; mais je dirais, l'araignée prend des mouches parce qu'elle tend une toile, parce qu'elle a besoin de filer. Le but n'en est pas moins certain, moins évident seulement ce n'est pas l'animal qui se l'est proposé, c'est l'auteur de l'animal. Par cette manière philosophique de raisonner, que perdrait la théologie naturelle? n'y gagnerait-elle pas,

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