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1053989- 190

ÉTUDES

SUR LA

THÉORIE DE L'AVENIR.

SUITE DE LA SECONDE PARTIE.

CHAPITRE IV.

De la faculté de parler, comme source de la pensée.

QUAND

UAND on a eu le courage de lire tout ce que les plus célèbres métaphysiciens ont écrit sur l'origine de nos idées et la faculté que nous avons de les exprimer d'une manière qui appartient exclusivement à l'homme, on est tout étonné de la difficulté qu'on éprouve à fixer son opinion sur une question aussi simple que celle-ci : L'homme ne pense-t-il que parce qu'il a la faculté de parler, ou

ne parle-t-il que parce qu'il a la faculté de penser ?

Cette difficulté ne tient qu'à un seul point, le défaut d'une exacte définition des mots dont on se sert dans une discussion de ce genre, et sans laquelle tout se termine par de vaines contestations, sans aucun résultat qui puisse satisfaire l'esprit et la raison. Il semble qu'on reste alors comme devant un tableau confus dont on ne saurait deviner le sujet, parce qu'il n'a ni la pureté du trait ni la correction du dessin qui pourraient servir à l'expliquer.

Quoique cette question semble élever un doute contre une de ces maximes dont l'apparente vérité est devenue une habitude, et quelque oiseuse qu'elle puisse paraître, il s'en faut bien toutefois que la solution en soit indifférente car s'il est constant que l'homme ne pense que parce qu'il parle, ou parce qu'il a la faculté de parler, il s'ensuivrait que sa supériorité réelle sur tous les êtres organisés vivans, qui se déduit ordinairement de la nature de son ame, sortirait d'un fait positif au lieu d'être établie sur un raisonnement ou sur des données abstraites qui peuvent n'être pas sans contradictions;

tandis qu'il ne peut y en avoir aucune pour une preuve de l'espèce de celle-ci (a). Bien plus, il s'ensuivrait encore une preuve incontestable de la spiritualité même de l'ame qu'on ne s'est point encore avisé de chercher dans le fait qui peut l'établir de la manière la plus positive. Si l'homme en effet ne pense que parce qu'il a la faculté de parler, et s'il est démontré que la matière ne saurait produire une pensée, il devient évident que la faculté de parler ne peut appartenir qu'à l'être spirituel qui seul peut penser, à l'ame de l'homme, lequel seul a la faculté de parler.

Mais il faut commencer par établir les principes qui peuvent conduire à cette conséquence.

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(a) Ileût été fort à desirer que M. de Gerando, dans son ouvrage sur les signes de l'art de parler, eût examiné cette question avec le talent supérieur qu'il y a développé. Il ne se l'est pas même proposée; sans doute parce que chacun envisage un objet sous des rapports différens, ou qu'il n'a pas aperçu l'intérêt que pouvait avoir cette discussion relativement à la conséquence que je crois qu'on en peut tirer.

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L'homme a reçu du Créateur deux facultés très-distinctes.

La première est celle de recevoir des idées par l'impression que les objets extérieurs font sur ses sens : celle-là lui est commune avec les animaux auxquels on accorde une sorte d'intelligence.

La seconde, qui lui appartient exclusivement, est celle d'exprimer par des signes ou des sons articulés les idées qu'il a reçues, et, par ce moyen, de les comparer, de les généraliser ou de les abstraire, et d'en former des pensées et des raisonnemens. Ainsi, l'idée revêtue de la parole devient la pensée.

On voit déjà qu'en définissant très-clairement ces trois mots, idée, parole et pensée, on peut éviter tous les embarras d'une dis

cussion.

J'entends par idée toute impression reçue dans l'ame par le moyen des sens, soit extérieurement, soit intérieurement.

Par la parole, l'art d'exprimer les idées par des signes ou des sons articulés et convenus. Ainsi, parler, c'est attacher un sens au mot convenu pour exprimer une idée. J'entends par pensée le résultat d'une combinaison d'idées, faite par le moyen de ces

mots; de sorte qu'une pensée ne peut jamais être que composée, tandis que l'idée peut se considérer comme l'élément simple dont la pensée se forme.

Ces deux mots, idée et pensée, présentent donc ici un sens très-différent; et c'est pour avoir trop souvent confondu l'un avec l'autre, que Condillac, dans son Traité des sensations, et même dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines, semble se contredire et laisser son lecteur dans une obscurité qu'une plus grande précision eût fait disparaître. Bonnet lui-même, dans son Essai analytique et sa Psychologie, n'a pas assez observé la distinction. que je viens de faire, et par cette raison, il paraît quelquefois peu d'accord avec luimême. Les termes, en métaphysique, sont comme les nombres en mathématiques: un nombre placé pour un autre ne donne jamais le même produit. Si les mots étaient bien définis, je suis persuadé que la conséquence tirée d'un raisonnement exact aurait une évidence équivalente au résultat d'un calcul arithmétique.

Locke sentait la nécessité de cette précision, et il a établi dans son Traité sur la

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