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motifs ont déterminé mon incertitude. Je supplie VOTRE Majesté de ne porter de jugement sur cet ouvrage qu'après l'avoir lu tout entier : c'est dans sa manière calme et supérieure de juger les hommes et les choses que je mets ma confiance; car je n'ai point laissé d'amis autour d'elle, quoiqu'il m'eût été bien facile d'en faire. Loin de tout, et n'aspirant plus à rien, c'est par un sentiment pur et digne des grandes qualités de Votre Majesté, que je désire ardemment son approbation; et c'est avec un cœur pénétré de son infinie bonté, que j'ose au moins solliciter son indulgence. Je mets aux pieds de VOTRE MAJESTÉ les sentiments profonds d'amour et de respect pour sa personne, qui me suivront jusqu'au tombeau, et qui s'unissent à tous ceux que je dois, comme étant de SA MAJESTÉ le plus humble et le plus obéissant serviteur.

» NECKER. >>

Cet ancien ministre est trop connu, et par le rôle qu'il a joué et par ses ouvrages, pour qu'il soit nécessaire de revenir sur son administration et sa conduite politique; elle sera blâmée ou applaudie selon les partis; mais il sera toujours fâcheux pour sa mémoire que les honneurs qu'une certaine classe du peuple lui a rendus, datent précisément du commencement de nos troubles civils, et d'une époque où les ennemis de la royauté préludaient à de grands forfaits. Sans doute Necker ne partageait pas les opinions et les vœux de ceux qui, en portant son buste en triomphe, mêlaient son nom à celui des chefs de parti, mais on conviendra que ce malheur arrive rarement aux hommes qui n'ont ambitionné qu'une solide gloire.

Louis XVI l'appelle un calin; l'histoire l'appelle un intrigant.

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Je vous renvoie, Monsieur, avec les interceptions ordinaires, les dépêches d'Espagne que vous m'avez envoyées. Nous nous attendions bien à la mauvaise hu

meur du ministre espagnol, quand il verrait que nous avions mieux vu que lui les évènements qui devaient arriver; mais il est bien fâcheux que cela tourne au détriment de la chose. M. d'Aranda est bien indiscret, de nous faire souffrir de sa mauvaise humeur contre son pays: j'approuve le projet de M. de Montmorin, que vous écriviez directement à M. Florida Blanca; vous n'avez qu'à en dresser la lettre, que vous lirez dans un comité, où nous prendrons les déterminations qu'il faut sur les opérations ultérieures.

J'ai vu la reine après qu'elle vous a vu. Elle m'a paru fort affectée du sentiment d'inquiétude, bien juste, sur la guerre qui pourrait éclater, d'un moment à l'autre, entre deux rivaux si près l'un de l'autre ; elle m'a parlé aussi de ce que vous n'aviez rien fait pour la prévenir. J'ai tâché de lui prouver que vous aviez fait ce qui était en vous, et que nous étions prêts à faire toutes les démarches amicales que la cour de Vienne pourrait nous suggérer; mais en même temps je ne lui ai pas laissé ignorer le peu de fondement que je voyais aux acquisitions de la maison d'Autriche, et que nous n'étions nullement obligés à la secourir pour la soutenir; et de plus, je l'ai bien assurée que le roi de Prusse ne pourrait pas nous détourner de l'alliance, et qu'on pouvait désapprouver la conduite d'un allié sans se brouiller avec lui. Elle avait très-peu reçu de l'empereur et de l'impératrice, ainsi que M. de Mercy. Tout cela est pour votre instruction, afin que vous puissiez parler le même langage. Je

pense bien comme vous, qu'il ne faut pas faire de démarches qui donneraient une sanction à l'usurpation de la cour de Vienne, et je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous avez dit à M. de Mercy.

NOTE SUR LA LETTRE XIV

LOUIS.

Cette lettre pourra être utile aux historiens; mais pour en sentir toute l'importance, il faudrait se reporter à l'époque de l'alliance de la France et de l'Autriche. Les acquisitions de cette dernière, auxquelles le roi voit peu de fondement, se rapportent aux projets de l'empereur Joseph II sur la Bavière; mais, sans se livrer à des observations qui exigeraient quelques développements, et n'auraient qu'un rapport fort indirect à l'objet de ce recueil, on pourra du moins remarquer que, malgré l'attachement de Louis XVI pour la reine, il ne perd pas de vue les intérêts de la France. L'amour de la paix, le désir de ne prendre aucune part à la guerre qui pourrait éclater entre l'Autriche et la Bavière, les moyens de tranquilliser la reine sans s'écarter des règles d'une sainte politique, voilà l'objet de cette lettre dans laquelle le monarque sait concilier ce qu'il doit aux sentiments de MARIE-ANTOINETTE pour son frère, son attachement pour elle, et ce qu'il se doit comme monarque.

LETTRE XV

A M. DE VERGENNES

23 mai 1783.

Je ne sais pas si je commets une indiscrétion, Monsieur, mais ma confiance en vous m'engage à ne vous rien cacher. M. Dangivilliers m'a envoyé le billet, sans me dire si c'était de mon aveu ou non ; il est vrai que la reine me demanda, sur le mauvais état de la santé de

M. Necker, qu'il pût venir passer quelque temps auprès de Paris, pour voir des médecins : je le lui ai accordé à condition qu'il ne viendrait pas à Paris, et qu'il verrait très-peu de monde. Je vous confierai, qu'avant de me le demander, elle m'avait demandé s'il n'y avait point d'opération de finances prochaine, et elle m'a dit qu'elle ne m'aurait pas fait la demande, s'il devait y en avoir en tout, elle me parut, comme je le savais, très-peu attachée à la personne de M. Necker. Je vous avouerai que m'y étant mal pris, cet hiver, l'occasion n'était plus la même; et que je ne vois que peu de différence entre une province peu éloignée et une campagne. Lyon était peut-être pris à cause des agioteurs; j'ai pensé ainsi, qu'en montrant de l'indifférence à son personnel, cela lui donnerait moins de célébrité. Ce n'est pas pourtant que je veuille le perdre de vue, ni ses amis; j'envoyai chercher M. de Castries, après que la reine m'eut demandé la permission; je lui dis ce que j'avais dit à la reine, et j'ajoutai, qu'il devait se souvenir qu'il y a deux ans, au départ de M. d'Ormesson, je lui avais mandé formellement que M. Necker, ni ses amis ne devaient pas songer qu'il entrât jamais en place; que si M. Necker se tenait tranquille, et que ses amis. ne fissent pas parler de lui, je le laisserais tranquille, mais que si, par rapport à lui il s'élevait des bruits, et qu'il se fit des choses contraires aux opérations du gouvernement, ce serait moi qui me croirais attaqué, et qu'alors je le renverrais à Genève, et qu'il ne reviendrait plus jamais en France. Je laisse à votre sagesse de

communiquer ce que vous voudrez de cela au contrôleur-général; je comptais lui en parler moi-même jeudi; mais il serait peut-être trop tard. J'ai compté sur sa discrétion, sur les particularités qui y sont contenues; il peut dire que le personnel de M. Necker lui est indifférent; et que, comptant sur mes bontés et sur celles de la reine, il ne craint rien, mais surtout qu'il prenne garde à ses amis vrais ou faux. Tant qu'il ne s'occupera que de la chose publique, il peut-être tranquille. Je ne peux finir cette lettre sans vous rappeler que le (20) (10) mai est passé ; j'espère qu'il s'en passera encore comme celui-ci.

LETTRE XVI

LOUIS.

A M. DE MALESHERBES

Versailles, 13 décembre 1786.

J'aime et j'estime les hommes, mon cher Malesherbes, qui, par des ouvrages utiles, prouvent qu'ils font un sage emploi de leurs lumières; mais je n'encouragerai jamais, par aucun bienfait particulier, les productions qui tendent à la démoralisation générale. Voltaire, Rousseau, Diderot et leurs pareils qui, un instant, ont obtenu mon admiration, que j'ai su priser depuis, ont perverti la jeunesse qui lit avec ivresse, et la classe plus nombreuse des hommes qui lisent sans réflexion. Sans doute, mon cher Malesherbes, la liberté de la presse agrandit la sphère des connaissances hu

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