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Les Marionnettes.

a eu peu de succès au théâtre, et fait encore moins d'effet à la lecture, quoiqu'on y trouve du talent et de l'esprit.

Un Jeu de la fortune ou les Marionnettes, comédie en prose, par M. Picard, représentée en l'an 1806.

Cette comédie est une des meilleures qu'ait données M. Picard, dont le talent s'est montré aussi fécond que naturel. Elle a un but moral, développé dans une action comique et gaie. Ce but s'annonce dès la première scène : c'est de montrer que les hommes ne sont que des espèces de marionnettes, dont la fortune fait mouvoir les fils à son gré. On voit, dès le début, que l'auteur dispose tous les incidens de la pièce de manière à mettre en évidence cette idée morale. Marcellin, maître d'école du village, qui s'est fait écrivain public et s'est établi à la porte d'un château, se trouve tout-à-coup, par le testament d'un oncle mort dans les colonies, héritier de cinquante mille écus de rente; et, dans le même instant, le maître du château apprend qu'il vient de perdre toute sa fortune. Marcellin achète sur-le-champ le château et tous les meubles, et les amis du premier passent subitement au nouveau seigneur. Marcellin, malgré un fonds de bon sens et de bonhomie, s'enivre de sa fortune; il prend un peu de l'insolence qui, dans l'ancien seigneur, a déjà fait place à des manières très-humbles, et il est près de renoncer à Georgette, jolie et sage paysanne qu'il aime véritablement, dont il est véritablement aimé, et qu'il étoit sur le point d'épouser. Gaspard, directeur de marionnettes, qui se trouve là par hasard, est un ancien ami de Marcellin, qui se pique de philosophie, et imagine un stratagème pour corriger son ami de sa folie. Il produit un second acte testamentaire qui prive Marcellin de la succession, et la fait passer à Georgette. Celle-ci, plus généreuse que son amant, lui offre de partager

sa fortune; mais on produit un troisième acte qui rend tout l'héritage à Marcellin, en léguant seulement 30,000 francs à Georgette, et ils s'épousent.

Cette pièce est fondée, comme on le voit, sur des événemens très-romanesques, que l'auteur n'a pas même pris la peine d'expliquer suffisamment. Depuis le deuxième acte jusqu'au dénouement, l'action est vague, décousue. Les mouvemens des personnages n'y sont pas motivés, et l'intérêt, comme le comique, va en décroissant. La supposition des testamens opposés n'a aucune vraisemblance, et c'est d'ailleurs un moyen trop usé dans les comédies.

Le Jury a cru devoir donner à l'analyse de ces comédies plus d'étendue qu'à d'autres objets peut-être plus importans. Il y a été déterminé par des considérations qu'il va soumettre à VOTRE MAJESTÉ.

La comédie est une des branches de notre littérature qui lui paroît la plus digne de fixer l'attention du Gouvernement soit par son importance en elle-même, soit par la direction que semblent avoir prise les écrivains qui sont entrés dans cette carrière, direction imprimée sur-tout par les circonstances impérieuses qui ont, pendant quinze ans, excrcé une influence si peu favorable sur les arts de l'imagination et du goût.

La comédie a peut-être plus besoin que la tragédie d'être ramenée aux vrais principes de l'art; car nos auteurs comiques sont bien plus loin de Molière, non seulement pour le génie, mais aussi pour le genre du comique, que nos poètes tragiques ne le sont de Racine et de Voltaire. Ce qui se montre le plus sensiblement dans les comédies composées depuis vingt ans, c'est la précipitation du travail. Les auteurs semblent craindre la peine de chercher long-temps un sujet favorable, de le

méditer assez pour en saisir toutes les faces et pour l'adapter à une action dont les fils soient tissus avec art, dont les développemens amènent sans effort des incidens variés, des situations plaisantes, des tableaux vrais et piquans de la société ; dont le dénouement enfin, sortant naturellement du fond du sujet, ne soit pas le produit d'incidens sans vraisem blance ou de moyens cent fois employés au théâtre.

Ce qu'on ne peut sur-tout s'empêcher de remarquer avec peine, c'est la négligence du style: il n'y a cependant que les comédies bien écrites qui produisent constamment un grand effet au théâtre, et procurent une réputation durable à leurs auteurs. Ce sont les seules qui concourent à maintenir la gloire de notre théâtre chez les étrangers, qui, ne pouvant jouir du plaisir de la représentation, n'en apprécient le mérite qu'à la lecture.

On écrit aujourd'hui beaucoup de comédies en prose, quoique la facilité d'écrire en vers soit devenue bien commune. On a dit à ce sujet que, la comédie devant être une représen tation fidèle de la vie humaine, la prose étoit plus propre que les vers pour remplir cet objet, puisque c'étoit le langage même dans lequel s'exprimoient les personnages qu'on faisoit parler. Cette idée, spécieuse au premier coup-d'œil, mais contraire au véritable principe des beaux-arts, est démentie par l'expérience. Les meilleures comédies de Molière sont écrites en vers, et ce sont celles dont on a retenu et dont on cite le plus de beaux endroits. Deux excellentes comédies, l'Avare et Turcaret, sont, il est vrai, il est vrai, écrites en prose; mais le mérite qui leur manque est remplacé par la force comique qui soutient l'action, et par une foule de mots énergiques et piquans qui en sortent. C'est une chose assez remarquable, que Molière ayant écrit en prose son Festin de Pierre, Thomas

Corneille ait eu l'idée de mettre cette comédie en vers pour la rendre plus propre au théâtre et, en effet, on ne joue plus que la pièce de Thomas Corneille.

Plusieurs grandes comédies de nos bons auteurs ne se donneroient ni aussi souvent, ni avec le même succès, si elles n'étoient soutenues par le prestige de la poésie. Qu'on mette le Méchant en prose, et il sera bientôt banni du théâtre. On en pourroit dire autant de quelques autres pièces. C'est la poésie qui soutient le dialogue dans beaucoup de momens où des détails de peu d'intérêt, mais nécessaires, feroient languir la scène. Des maximes de morale, des traits ingénieux, des mots de caractère, de gaieté, de satire, prennent plus de saillie par la forme du vers, et se gravent plus fortement dans la mémoire. Mais c'est sur-tout dans ces dialogues de raisonnement, et même de sentiment, où les caractères et les intérêts se choquent avec plus d'éclat, et où l'éloquence de la raison lutte contre les sophsimes des passions; c'est là que la poésie donne à la scène un ton plus animé et plus moral. Sans aller chercher des exemples dans le Tartuffe, le Misantrope, les Femmes savantes, il suffit de citer les deux belles scènes de Baliveau et de Damis dans la Métromanie, d'Ariste et de Valère dans le Méchant, scènes qu'on applaudira toujours au théâtre, et qu'on ne relira jamais sans intérêt c'est un genre de beautés qu'on cherchereit inutilement dans les meilleures comédies qui ont paru depuis vingt ans.

Il faut le dire, ce n'est pas le talent qui a manqué à nos poètes comiques; mais il leur a manqué ce qui donne au talent toute sa valeur; c'est ce travail patient qui s'obstine contre les difficultés, et qui cherche encore le mieux lorsqu'il a trouvé le bien. On ne peut refuser un vrai talent à l'auteur du Tyran domestique, de la Jeunesse d'Henri V, des Héritiers, qui

ont enrichi le répertoire du Théâtre français, et de plusieurs autres pièces jouées avec un succès soutenu sur le théâtre Feydeau et sur celui de l'Odéon. M. Picard a donné, sur le théâtre qu'il a créé, un grand nombre de comédies dans lesquelles on reconnoît l'art de saisir les ridicules avec finesse, de les mettre en jeu avec gaieté, et de les rendre dans un langage naturel à la fois et piquant; et ce talent s'est déployé peut-être avec encore plus de bonheur et d'effet dans quelques pièces qui n'ont pu entrer au concours, telles que la Petite Ville, le Collatéral, M. Musard, que dans les comédies en cinq actes, dont on a donné l'analyse.

Le Jury a cru devoir présenter ces réflexions à VOTRE MAJESTÉ, pour motiver la sévérité de l'opinion qu'il va lui soumettre sur les ouvrages qui ont pu concourir au grand Prix destiné à la comédie. Il considère que les Prix décennaux ont pour but d'éclairer, en même temps que d'encourager, de diriger l'emploi des talens en couronnant leurs plus heureux efforts. Des Prix décernés par VoTRE MAJESTÉ elle-même, avec une solennité qui leur donne une valeur inestimable, ne sont destinés en aucun genre à des ouvrages qui ne s'élèveroient pas fort au-dessus d'un mérite ordinaire : ainsi, dans les différentes branches de la littérature, toute production qui n'offre pas des idées nouvelles, un talent original, un perfectionnement sensible dans le sujet qui y est traité, enfin qui n'ajoute pas une richesse réelle au dépôt de nos richesses littéraires, ne peut aspirer à une telle récompense.

En examinant dans cet esprit les différentes comédies qui ont été admises au concours, et en reconnoissant dans plusieurs un mérite incontestable, le Jury n'en trouve aucune qui, considérée, soit dans le développement des caractères, soit dans la peinture des mœurs, soit dans l'intérêt et la nou

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