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9.

La première est intitulée, Duhautcours ou le Contrat d'union, Duhautcours. jouée en l'an Elle est de M. Picard et d'un autre auteur qui ne s'est pas nommé. Le principal personnage est un intrigant qui engage un négociant à faire une banqueroute, sans y être forcé par l'état de ses affaires, et simplement pour augmenter sa fortune, en faisant avec ses créanciers un accommodement qui leur feroit perdre les trois quarts de leur créance. On ne peut nier que ce genre d'immoralité ne soit devenu trop commun, et qu'il n'ait des effets funestes pour les mœurs générales comme pour le bonheur d'un grand nombre d'honnêtes citoyens. Ainsi c'est un but utile que d'attirer sur un tel délit l'indignation et le mépris publics; mais il faut convenir qu'il a plus besoin d'être réprimé par la sévérité des lois que par la censure théâtrale.

Le sujet de Duhautcours est donc très-moral, mais le fond et les détails sont naturellement sérieux; il étoit très-difficile d'y introduire des personnages et des incidens d'un comique assez vif pour répandre quelque gaieté sur un fond qui en paroît si peu susceptible. Il y a cependant beaucoup de mérite dans cet ouvrage. On y trouve des caractères bien tracés, et qui produisent de l'effet tant qu'ils sont sur la scène ; l'un est celui de l'intrigant, l'autre celui de l'honnête négociant qui déjoue toutes les manœuvres du premier, et vient répandre le bonheur dans une famille près de tomber dans la honte et le malheur : mais tous les autres caractères ne sont qu'esquissés. L'intrigue d'amour qui s'y mêle ne produit aucun intérêt, faute de développemens. Les incidens qui amènent coup sur coup une fête, une faillite déclarée, une réunion de créanciers, la signature d'un traité d'accommodement, et l'arrivée imprévue d'un négociant qui vient tout arranger, précipitent l'action de manière à n'y laisser aucune vraisem

Le Mari ambitieux.

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blance. La pièce est écrite en prose; le style en est naturel, correct et d'un ton convenable à la comédie, et semé de traits spirituels. Mais le choix du sujet ne paroît pas heureux; l'action manque de gaieté et de vérité, et l'effet total n'est point agréable.

Le Mari ambitieux, ou l'Homme qui veut faire son chemin, comédie en cinq actes et en vers, par M. Picard, représentée en l'an 11.

L'idée de cette pièce offre des intentions comiques, mais qui n'y sont pas assez développées, parce que les caractères ne s'y prêtent pas : elle a quelques rapports avec l'Ambitieux et l'Indiscrète de Destouches, où un amant sacrifie son amante à l'espérance d'obtenir la faveur du Roi, qui se trouve son rival. Il est beaucoup plus comique d'avoir fait de l'ambitieux un mari: un amant n'est que froid et méprisable, s'il renonce sans effort à la femme qu'il aime; il n'est ni ambitieux ni amant, si le sacrifice lui coûte assez pour inspirer quelque intérêt. La jalousie d'un mari, excitée par la crainte du ridicule, peut fournir des situations comiques, sur tout si elle est mise en contraste avec une autre passion, telle que la peur, par exemple, comme dans George Dandin. Dans le Mari ambitieux, la petite ambition de Cléon pourroit aussi devenir comique, si l'on en avoit fait un Orgon, ou un de ces maris auxquels une femme n'est fidèle que par devoir, et qui ne sont jaloux que comme maris; mais M. Picard paroît avoir gâté cette idée, en faisant un mari presque amant et tendrement aimé. Un mari, aimé de sa femme, ne peut guère être ridicule. Un mari, moitié amoureux, moitié ambitieux, n'est plus qu'un homme sans caractère. Une passion, subordonuée à une autre, ne peut exciter qu'un intérêt bien foible; et d'ailleurs la leçon qu'on veut donner au mari pour le guérir de son ambition,

n'a rien d'assez comique. Enfin on ne sait pas assez, dans cette pièce, où l'on est et avec qui l'on est ; on ne sait quel genre de place demande ce Cléon, qui a, dit-on, un état brillant, et qui reçoit chez lui

« Des banquiers, des commis, quelques hommes en place.

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On ne sait pas non plus ce que c'est que ce Dulis, qui, dans la liste des personnages, n'est désigné que comme un homme en place, qui dispose d'emplois assez considérables, que Cléon adule comme le plus bas protégé feroit le plus imposant protecteur, et dont il reçoit le valet-de-chambre avec des égards trop déplacés.

L'ambition de Cléon est d'un genre peu relevé, puisqu'elle se termine à obtenir, comme une grande faveur, une place à Bordeaux, dont on ne dit pas même la nature.

L'espèce de passion que montre Dulis pour madame Cléon, et qui l'engage à protéger le mari dans l'espérance de séduire la femme, n'amène aucune scène vraiment intéressante; et la générosité avec laquelle il sacrifie sans effort sa passion à un sentiment d'honneur, n'est pas assez préparée pour donner au dénouement un effet assez théâtral.

Le style est facile, assez ferme, et a souvent du piquant; mais il est rarement relevé par ces traits heureux que l'on cite, et il manque de couleur, parce qu'il peint des mœurs sans

caractère.

Le Vieillard et les Jeunes Gens, comédie en vers, par Colin d'Harleville. Le Jury ne fera point l'analyse de cette pièce, dont le sujet étoit peu comique, dont l'intrigue est foiblement tissue 9 et manque de gaieté et d'effet théâtral. Le style manque aussi de couleur et d'énergie. On retrouve cependant, dans quelques scènes de la pièce, des traits du

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Le Trésor.

naturel aimable, de la gaieté douce et sensible et du style élégant et facile qui caractérisent le talent précieux de Colin d'Harleville dans ses bons ouvrages; mais ce sont des éclairs qui brillent trop rarement dans celui-ci.

Le Trésor, comèdie en vers, par M. Andrieux, jouée en l'an 1804. Cette pièce ne répond pas à ce qu'on devoit attendre de l'auteur des Étourdis, petite pièce qu'il a composée dans sa jeunesse, et qu'une intrigue conduite avec gaieté, des détails de bon comique, et un style naturel et facile, ont maintenue au théâtre, où on la revoit toujours avec plaisir. Le Trésor n'a pas été aussi favorablement accueilli; et en lisant la pièce, on conçoit le peu de succès qu'elle a obtenu sur la scène. Une analyse succincte suffira pour en donner l'idée.

Un philosophe, nommé Latour, élève dans sa maison une jeune personne nommée Cécile, dont on ne connoît pas bien la naissance. Elle se trouve être la fille d'un homme inconnu, dont le père de Latour a soigné l'éducation en France, et qui, obligé d'en partir précipitamment sans qu'on dise pourquoi, confie cet enfant à son gouverneur, en lui laissant en dépôt une cassette pleine d'or, de diamans et de bijoux, pour la valeur de cent mille écus. Le dépositaire doit garder cette cassette sans l'ouvrir, jusqu'à ce que Cécile ait atteint sa vingt-unième année. Il meurt auparavant; mais il a légué sa pupille à son fils, en lui remettant le dépôt aux conditions prescrites.

Cécile vient d'avoir vingt-un ans. Dès le premier acte Latour fait dire à Cécile de passer dans son cabinet, où il a le dessein de lui apprendre le secret de sa naissance et de sa fortune; mais, au lieu de l'attendre, il songe qu'il a une leçon à donner au Collège de France, et Cécile arrive au moment où il vient de partir. Le second, le troisième et le quatrième

quatrième actes sont remplis par une intrigue qui n'a aucun rapport avec le fond de ce sujet.

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L'auteur a un frère nommé Jaquinot, négociant sot et avide, qui a une femme et une fille ridicules. Un fils de Latour, secondé par quelques intrigans, s'amuse à faire croire à Jaquinot qu'il y a un trésor caché dans la maison de son frère, et cela sans avoir aucune connoissance du trésor réel et simplement pour engager ce frère avide à acheter plus cher cette maison qui lui convient. Ainsi l'on voit qu'il n'y a dans la pièce de véritable action que la révélation du trésor que Latour doit faire à Cécile, qui pouvoit bien avoir lieu dès la première scène, et qui n'est suspendue que par la circonstance la plus insignifiante du monde. L'imagination du trésor supposé n'a aucune liaison avec l'existence du trésor réel; c'est une intrigue sans motif, qui ne sert ni à accélérer ni à retarder le dénouement. Une action aussi simple, qui va à son but sans secours et sans obstacle, et par un chemin si court, ne peut guère avoir d'intérêt ni d'effet comique.

Le Trésor est donc une comédie d'intrigue, et l'intrigue n'en est pas heureuse : on n'y trouve pas un caractère à remarquer; un homme avide et crédule, des femmes vaines et coquettes, des procureurs fripons, un jeune militaire qui aime une jeune personne avec laquelle il a été élevé ; ce sont là des personnages très-communs dans les comédies. Mais il y a beaucoup d'esprit dans le dialogue, et des traits comiques dans les détails. Le style est naturel, facile, et semé de mots piquans; mais la poésie manque en général de couleur, et elle est souvent si négligée qu'on a peine à y retrouver l'harmonie du vers.

litaire.

La Prison Militaire, comédie en prose, par M. Dupaty, La Prison miLangue et Littérature Françaises. 4

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