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penser de bons ouvrages, mais plus particulièrement encore d'exciter les écrivains à se frayer de nouvelles voies dans les différentes carrières qu'il leur a ouvertes; et si l'on applique cette vue au genre tragique, on ne sauroit trop exhorter les auteurs à s'écarter des routes battues, à abandonner des sujets épuisés par les grands maîtres, à chercher, dans d'autres histoires que celles des Grecs et des Romains, des caractères, des passions, des mœurs dont la peinture, plus conforme à notre manière de voir et de sentir, pût remplacer, par un intérêt nouveau, celui qu'une longue admiration et, pour ainsi dire, une espèce de superstition ont attaché aux noms et aux faits mémorables de l'antiquité.

Le vœu que le Jury exprime ici, M. Raynouard l'a rempli dans les Templiers; et ce n'est pas seulement parce que son sujet est pris dans l'histoire de France; d'autres poètes en avoient donné l'exemple; c'est sur-tout par la manière dont il a conçu et traité ce sujet, et par le genre d'intérêt aussi nouveau que tragique qu'il a su y répandre.

On n'y voit ni tyrans ni usurpateurs, ni conjurations ni rivalité d'ambition, ni les malheurs de l'amour ni les fureurs de la jalousie : toute l'action porte sur de vagues accusations intentées contre un ordre célèbre, défendu par son chef; et c'est presque uniquement du caractère de ce chef que découle le grand intérêt de la pièce.

On s'intéresse peu aux Templiers en corps, parce qu'on ne peut juger avec quelque certitude s'ils sont innocens ou coupables, et qu'en général on ne s'intéresse guère au théâtre qu'à des individus. Mais le grand-maître offre un caractère si noble, si imposant, une ame si grande, une vertu si ferme, un courage si calme, un sentiment si profond de son innocence et de celle de ses chevaliers, qu'on aime à s'associer à

ses sentimens, et qu'on partage sa conviction sans avoir besoin d'autre preuve.

Ce qui frappe le plus dans ce beau caractère, c'est l'ascen, dant extraordinaire qu'il exerce sur ses chevaliers; c'est le dévouement héroïque qu'il leur inspire par la seule autorité de sa vertu, par l'exemple seul de son courage. Il n'a point d'enthousiasme et ne cherche point à en inspirer. C'est une résignation au martyre sans aucune exaltation , qu'il communique aux siens sans employer aucun moyen d'éloquence. Il ne les exhorte point à mourir; il les suppose déjà déterminés à la mort. Il leur dit : Nous mourrons. Et lorsqu'à ce mot l'un d'eux s'écrie: Quel destin! le grand-maître répond avec calme: « Quel est ce sombre effroi qui semble vous glacer?

» Oui, nous mourrons. »

Il leur dit ailleurs :

« Je vous défends à tous jusqu'au moindre murmure,
» Et vous obéirez. »

Et ils obéissent.

C'est dans les deux premières scènes du troisième açte et dans la première scène du cinquième que se montre avec un effet extraordinaire cette magnanimité simple et sublime du grand-maître. Cet effet paroît tout nouveau au théâtre ; il en résulte un intérêt d'admiration aussi pénétrant, aussi touchant que celui des plus vives explosions des passions. Telle est l'impression générale qui s'est constamment manifestée aux nombreuses représentations de la pièce. On a dit qu'un caractère sans passions n'étoit pas dramatique; le grand-maître des Templiers réfute cette opinion.

Ce pathétique d'admiration se feroit sentir bien plus vivėment, s'il étoit attaché à une action plus fortement conçue et

intriguée avec plus d'art: la marche en est lente; les accusations contre les Templiers ne sont pas assez nettement exposées. Philippe-le-Bel manque de dignité dans son caractère, de profondeur dans ses vues politiques; et c'est un tort de dégrader ainsi un personnage auquel l'histoire attribue plus de grandeur : c'en est un encore sous le rapport de l'art; car l'effet dramatique auroit pu devenir plus puissant, si Philippe avoit fondé la persécution des Templiers sur un intérêt politique ; ce qui auroit imprimé plus de chaleur et de mouvement à l'action, en donnant au grand-maître l'occasion de déployer, pour la défense ds son ordre, une dialectique animée et de l'éloquence dans les moyens de défense.

Une des plus heureuses conceptions de cette tragédie, c'est le rôle du jeune Marigny, qui, secrètement admis dans l'ordre des Templiers, dont son père est le plus ardent persécuteur, se déclare pour eux dès le moment qu'ils sont condamnés; et lorsque son père lui demande comment il espère les justifier, il répond: En mourant avec eux.

Le style de la pièce est presque constamment pur, noble et élégant; mais on désireroit plus d'abandon et de variété, et sur-tout plus de mouvement et d'entraînement dans le dialogue. Le ton en est, en général, sentencieux : on en a fait un reproche à l'auteur; mais ce reproche peut être atténué. On sent bien que cette manière d'écrire tient au caractère du talent de M. Raynouard; et il faut convenir que la continuité des formes sentencieuses est peu favorable au mouvement dramatique mais dans les Templiers, elle ne tient point à l'affectation des maximes; et si l'on y fait attention, on verra que c'est un ton général inspiré par le caractère des principaux personnages et par la nature même du sujet, qui est grave et noble, politique plutôt que passionné.

La Mort

d'Henri IV.

La Mort d'Henri IV, tragédie en cinq actes, par M. Legouvé, jouée en 1806, a eu quatorze représentations. Cette pièce, qui a aussi le mérite d'offrir un sujet pris dans l'histoire de France, est d'un intérêt plus naturel, plus doux et plus national que l'action des Templiers. A ce mérite se joint encore celui de la difficulté vaincue; car en mettant Henri IV sur la scène, quelque vérité et quelque talent qu'on montre dans la manière dont on le fait agir et parler, il est presque impossible de répondre parfaitement aux idées et aux sentimens que son nom seul réveille : le sujet, d'ailleurs, tout populaire qu'il est, et peut-être même par ce qu'il a de populaire, présentoit quelques écueils qu'il étoit difficile d'éviter, et M. Legouvé les a évités, en grande partie, avec autant d'art que de sagesse. L'action elle-même présentoit encore d'autres difficultés, que l'auteur n'a pas toujours vaincues. La mort d'Henri IV, annoncée comme le sujet de la pièce, et dont elle fait le dénouement, n'est amenée que par une intrigue domestique et des passions particulières; ce qui est peu compatible avec la grandeur et la dignité qu'on désire dans une action tragique.

Henri IV s'y montre partout avec la générosité, la franchise, la loyauté et l'héroïque bonté qui le caractérisent: mais ces qualités ne peuvent pas s'y déployer dans des situations propres à les faire valoir dans tout leur éclat; elles ne se montrent que dans ses discours. On a trouvé que le ton de ce héros des Français n'avoit pas en général assez de ce mouvement naturel, de cette naïve bonhomie qui donne à tant de mots que l'on cite de lui une grâce si piquante et quelquefois si touchante. Le caractère des principaux personnages est bien tracé et bien soutenu. Les vues et les sentimens qu'on leur prête pourroient être contestés dans une histoire;

mais ils ont tout le degré de vraisemblance qu'on exige dans la tragédie.

On reconnoît dans le style l'élégant auteur de la Mort d'Abel; il est pur et facile, harmonieux sans effort: la nature du sujet ne comportoit pas une poésie plus pompeuse et plus figurée; mais on désireroit quelquefois plus de force et de grandeur dans les sentimens, plus de mouvement dans le dialogue, plus de rapidité dans l'action, et plus de traits à citer. Le dénouement, malgré un récit éloquent de la Mort d'Henri IV, ne produit pas tout l'effet de pathétique qu'on pourroit en attendre ; ce qui nuit à l'effet général de la pièce.

Omasis, tragédie en cinq actes, de M. Baour-Lormian, jouée en 1806, a eu vingt-une représentations. Le sujet en est, comme on se le rappelle, l'histoire de Joseph. Elle offre un intérêt doux et continu, des sentimens aimables et touchans, et quelques situations très-dramatiques. Le style a la couleur du sujet; il est en général élégant et harmonieux, mais on trouve peu d'invention dans le plan. Ce qu'il y a de plus intéressant dans l'action est tiré de i'ancien Testament, et l'espèce d'intrigue d'amour que l'auteur y a ajoutée n'est pas d'une heureuse conception. Le style, quoique d'un mérite très-distingué, n'a ni l'énergie ni le mouvement qui conviennent au genre tragique. En total, cette pièce, considérée dans le ton général, dans l'effet dramatique, dans le dialogue et dans la diction, a le caractère de l'idylle, plutôt que celui de la vraie tragédie; et le Jury ne pense pas que ce soit le genre que le fondateur des Prix décennaux s'est proposé d'encourager.

Pirrhus, tragédie en cinq actes, par M. Lehoc, jouée en 1807, n'a eu que sept représentations; mais elles ont été

Omasis.

Pyrrhus.

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