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propre expérience; aucune autre considération humaine n'eût été capable de me faire varier dans mes principes, et j'ai donné trop de preuves de l'indépendance de mon caractère pour ne pas être cru sur parole.

La tâche que je me suis imposée est difficile; presque tous les grands acteurs de ces scènes importantes sont vivans: je n'en dirai pas moins mon opinion avec la franchise d'un soldat; écrivant pour l'art, mon intention n'est de louer ni de blamer personne.

Je dois cependant à l'impartialité que je professe, de prévenir mes lecteurs, que plusieurs des observations critiques répandues dans cet ouvrage pourraient être injustement adressées: les événemens militaires ne sont pas toujours le résultat de la volonté des commandans en chef, et même leurs combinaisons primitives sont souvent influencées par des considérations particulières. Dans les premières campagnes, des généraux français furent quelquefois forcés de s'étendre, pour couvrir des arrondissemens dont les clubs les eussent dénoncés, s'ils n'avaient protégé leur territoire (1). Cette

(1) Chaque société de Jacobins se regardait comme le palladium

faute ne serait donc pas constamment un sujet légitime de blâme,

Les généraux coalisés avaient au contraire par système, cette manie de disséminer leurs forces, et ils ont presque tous encouru les reproches qu'on leur adresserait à ce sujet; néanmoins, sous d'autres rapports, ces généraux furent souvent gênés par les ordres d'un conseil de guerre, ou de leurs gouvernemens, et forcés d'agir contre leurs propres principes. Dans cet état de choses, il ne serait pas étonnant que j'eusse imputé parfois aux généraux, des fautes qui leur sont entièrement étrangères; mais comme il était impossible de pénétrer le mystère de chaque cause primitive, je n'ai pu reprocher ce qu'une armée a fait de contraire aux principes qu'à l'homme qui la commandait, et qui semblait, au moins en apparence, maître de bien combiner ses opérations. Si ces fautes lui ont été

de la république; et le général eût passé pour un traître, si, pour combiner le rassemblement de ses forces sur un point quelconque, il eût exposé une de ces sociétés à une incursion momentanée de l'ennemi: on ne déplaisait guère à un club sans porter sa tête sur l'échafaud,

ordonnées, c'est alors sur le cabinet qui avait la direction suprême que tout le blâme doit re

tomber.

On ne trouvera pas des détails également satisfaisans sur chaque campagne; mes matériaux ont été souvent insuffisans, et ce n'est qu'avec la plus grande peine que je suis parvenu à rassembler ceux que je possède.

que

Jamais l'histoire militaire ne fut plus difficile à écrire que dans cette période remarquable, parce nulle guerre ne fut aussi générale, ni aussi, compliquée, et que jamais on n'exécuta des mouvemens si multipliés. On donnait autrefois aisément le journal de deux armées campant à proximité et réunies. Mais dans les premières années de la révolution,nous avons vu dix ou douze armées, dont chacune se composait de quatre ou cinq grands corps marchant presque tous les jours vers un but particulier; il en était de même dans les deux partis, et il est extrêmement difficile de retracerles mouvemens coïncidens de tant de corps opposés les uns aux autres. Pour réussir dans un travail si compliqué, il eût fallu qu'on apportât plus de soins, plus d'exactitude que jamais dans la préparation des matériaux historiques; et ce travail

au contraire a été plus négligé à mesure qu'il offrait plus d'obstacles.

Les passions se sont aussi trop souvent emparées du domaine de l'art et de l'histoire, et il en est résulté des relations si différentes dans les deux partis, qu'il est presqu'impossible de trouver un milieu qui se rapproche de la vérité.

Je donne les fruits de mes travaux tels que j'ai réussi à les perfectionner; ils ont droit à l'indulgence des lecteurs éclairés, et je réclame surtout celle des Français, parce que le style d'un étranger écrivant dans leur langue, laisse toujours beaucoup à désirer.

Une critique franche des opérations de quelques-uns des chefs de l'armée française, loin d'obscurcir sa gloire, ne fait que la rehausser, en démontrant tout ce qu'elle aurait pu faire, si elle eût été toujours bien dirigée.

Pour atteindre mon but, j'ai souvent cité les opérations de Napoléon dans ses premières. campagnes, comme des exemples à suivre. Quoiqu'il ait commis dès-lors de grandes fautes militaires, néanmoins sa chute fut plutôt le résultat de ses erreurs comme homme d'état. La première cause de ses revers fut un souverain mépris pour les

hommes, et une confiance exagérée dans la supériorité de son génie, qui lui a fait dépasser toutes les bornes du possible. Les fautes qu'il a pu commettre à Moscou, à Leipzig, ne doivent pas faire oublier les brillantes combinaisons de Lonato, de Rivoli, d'Ulm,de Jéna,et tant d'autres victoires. Mais en rendant justice au grand capitaine, je me garderai de faire son panégyrique comme chef de la nation française: laissons à la postérité le soin de le juger en qualité de Souverain et d'homme d'Etat.

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