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pour qu'à sa mort elle rentrât dans le sein de la monarchie, dont elle était démembrée depuis si long-temps.

La Porte et la Suède commirent chacune de leur côté la même faute, en ne profitant pas, pour agir, du moment où les forces de Munich étaient occupées en Pologne : la Porte protesta et ne fit rien de plus; ce qui était une double imprudence, puisqu'elle donna le temps à la Russie d'achever les affaires de Pologne, de préparer de nombreux armemens, et de tomber à son tour sur les Ottomans qui l'avaient provoquée.

A peine le traité de Vienne était-il conclu, et Anne débarrassée des Polonais, qu'elle tourna ses armes contre les Turcs. Les brigandages des Tartares soumis à la Porte furent le prétexte de la rupture (1736).

Les premières opérations furent heureuses pour les Russes: Munich prit Azof et la Crimée ; mais le défaut de vivres, les distances énormes et les maladies, l'empêchèrent de se maintenir dans la presqu'île. Dans l'année suivante le maréchal emporta Oczakow d'assaut, et Lascy pénétra en Crimée. L'Autriche se déclara alors contre la Porte, et attaqua la Servie, la Bosnie, la Croatie, la Valachie; mais ses armées morcelées, désunies, essuyèrent presque partout des revers.

La campagne de 1736 fut encore plus malheureuse; Munich, arrêté sur le Dniester par une

armée de 60 mille hommes, manquant de vivres et accablée par des privations et des maladies, se vit obligé de rentrer en Ukraine. Lascy, abandonné en Crimée, privé du secours de la flotte dans un pays ravagé, se crut heureux d'en pouvoir faire autant. Oczakow et Kinburn furent abandonnés et rasés.

Les armées autrichiennes, commandées par Wallis, avaient été défaites.

L'année suivante le maréchal Munich abandonna sagement le plan d'opérer sur la Bessarabie, qui était ravagée; il prit la route de la Moldavie, et, après avoir remporté une victoire complète près de Choczim, il s'empara de Yassi et de toute la province. La paix conclue par la médiation de M. Villeneuve, ambassadeur de France, vint mettre un terme à ces luttes sanglantes, et cette paix de Belgrade (18 septembre 1739) assura de grands avantages aux Turcs. La Porte acquit la forteresse de Belgrade, celles de Sabatz et d'Orsova, la Servie et la Valachie autrichienne. L'empereur désavoua son ministre pour sauver les apparences, mais le traité fut main

tenu.

Du côté de la Russie, tout rentra sur le pied de la paix du Pruth.

La Suède était depuis quinze ans dans une paix profonde, qu'on pourrait avec quelque raison nommer une léthargie, si elle n'était pas excusée

par les plaies sanglantes que Charles XII avait faites à l'état. Elle n'avait armé ni pour soutenir Stanislas et les Polonais, ni pour seconder la Porte. Elle attendit que le traité de Belgrade eût rendu toutes les forces russes disponibles, et ce fut alors qu'elle provoqua une guerre qui ne pouvait être que malheureuse. Le désastre d'Helsingfort, où les Suédois passèrent sous les fourches caudines, et le traité d'Abo, qui leur imposa pour quelque temps des lois, furent le résultat de cette fante.

Je ne rappellerai plus ici la guerre de sept ans, dont j'ai publié une histoire militaire. On sait que la Russie, gouvernée alors par Elisabeth, y prit part contre Frédéric; peut-être la Czarine eûtelle agi d'une manière plus conforme à une saine politique, si, auxiliaire de ce prince, elle eût envoyé ses armées combattre sous ses ordres jusque dans la Bohême, la Saxe et la Moravie. Cependant il parut indifférent à Elisabeth de choisir le parti contraire; elle pouvait dans l'une et l'autre hypothèse occuper la Courlande, la Semigale, et la Vieille-Prusse; ses troupes traversant la Pologne, y préparaient sa domination; enfin, pourvu qu'elle prît part aux affaires d'Allemagne, peu lui importait en faveur de qui elle se déclarait.

La mort de l'impératrice changea totalement la face des affaires (1762). Pierre III lui succéda: la paix et l'alliance que le nouvel empereur con

clut avec Frédéric parurent aussi bizarres que la guerre, et les motifs en sont entièrement dans les passions des princes plus que dans des intérêts bien avérés. On sait assez que ce règne ne fut pas de durée, et comment, après la fin tragique du malheureux Pierre, Catherine monta sur le trône.

La mort du roi de Pologne, Auguste III, offrit bientôt à cette princesse une nouvelle occasion de reprendre les projets sur ce pays, sans la ruine duquel la politique russe semblait devoir rester étrangère aux démêlés européens. Cathe rine déploya de bonne heure le caractère et les vues élevées qui la mettront dans l'histoire, à côté de Pierre-le-Grand. On sait par quel assemblage d'habileté et de force elle parvint en 1769 à faire élire pour roi de Pologne Stanislas Poniatowsky.

Cette élection causa des troubles, un fort parti protesta, la noblesse se confédéra à Bar pour s'opposer à l'élection d'un prince soumis à l'influence étrangère. Des hostilités ne tardèrent pas à éclater entre les confédérés et les Russes. L'Europe ne prenait aucune part au sort de ce pays, à l'exception toutefois des Turcs, qui coururent aux armes à l'instigation de la France.

M. de Choiseul avait à lutter alors contre le caractère du roi et contre les caprices de ses maîtresses, qui craignaient de se mettre plus mal encore dans l'esprit de la nation en faisant des

guerres dont l'issue pouvait être malheureuse. Le duc était parvenu, après la mort de madame de Pompadour, à gagner toute la confiance du monarque, et on s'attendait à le voir nommer à la dignité de premier ministre, charge indispensable sous un prince faible, mais dont les favorites s'étaient bien gardées de provoquer le rétablissement depuis la mort de Fleury. Le duc de Choiseul sentait le besoin de rétablir l'opinion publique par une guerre heureuse, il s'apprêtait à soutenir les Polonais, et avait déjà armé les Turcs en leur faveur, il voulait en même temps négocier avec l'Autriche et pousser avec activité les armemens maritimes, lorsqu'un de ces coups d'état trop fréquens sous des rois sans énergie, vint renverser tous ses plans et le fit exiler.

L'autorité livrée dès-lors à madame Dubary, qui avait succédé à la marquise de Pompadour, fut partagée par d'Aiguillon et par le chancelier Maupeou, homme faible et sans moyens. Le résultat de ce changement de ministère fut l'abandon des intérêts de la Pologne et de la Porte.

Pendant que les confédérés de Bar, désunis entre eux comme le sont toujours de grandes familles oligarchiques, n'opposaient aux projets de Catherine qu'une résistance décousue et désastreuse pour leur patrie; et tandis que l'Europe restait dans une attitude d'observation assez singulière, les Turcs avaient rassemblé 200 mille hom

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