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mais comment compenser les vaisseaux pris, la considération et la confiance détruites, les matelots prisonniers, le commerce anéanti?

Graces à la parcimonie mal dirigée du cardinal de Fleury, sa marine était tombée dans un état qui ne permettait pas d'entreprendre une guerre sans le concours d'une grande alliance. L'Angleterre avait 110 vaisseaux de ligne, la France n'en pouvait armer que 70, et tous les moyens de réparations et de remplacemens étaient à la longue en faveur de la première de ces puissances. Néanmoins, le cabinet de Versailles engagea imprudemment des hostilités, auxquelles il ne s'était point préparé.

Le pacte de famille, signé en 1761, décida l'Espagne à prendre part à la guerre en 1762, lorsque les pertes réitérées essuyées par la France' depuis sept ans eurent rendu ce secours illusoire. Il ne fit qu'ajouter aux succès des Anglais, qui prirent la Havane et la Floride aux Espagnols, au moment où la paix allait se signer, et qui eurent ainsi de plus grandes concessions à prétendre. Cette guerre fut d'autant plus malheureuse,

que le résultat le plus brillant que l'on aurait pu en attendre, était celui d'élever la maison rivale de Habsbourg sur les débris de la Prusse, qui se trouvait alors l'alliée la plus naturelle de la France. Ce fut pour obtenir un résultat semblable Louis XV vit tomber successivement

que

au pouvoir des Anglais Pondichéri, Manille, la Martinique, la Guadeloupe, la Havane, le CapBreton. On leur céda, à la paix, le Canada, l'Acadie, la Floride, Tabago et Grenade: Gibraltar et Minorque assurèrent la consolidation de leur empire dans la Méditerranée.

L'issue de cette guerre singulière doit faire naître une remarque bien affligeante pour les hommes qui veulent assujettir les opérations des cabinets à des principes, et décider de leur influence sur les mouvemens des nations. Ce fut à la suite de plusieurs campagnes honorables, après des victoires nombreuses remportées en Flandre, au moment où elle n'avait aucune guerre continentale, excepté avec les petits princes de Brunswick et de Hesse, à l'époque où elle semblait pouvoir le mieux diriger toutes ses vues sur sa marine et ses colonies, que la France vit passer aux mains de ses rivaux implacables les sources de sa prospérité commerciale, coloniale et maritime; qu'elle fut forcée de voir s'élever leur suprématie sur le continent indien, dans le Bengale, comme sur les deux côtes de la presqu'île, et qu'elle perdit, peut-être pour toujours, les moyens de leur disputer l'empire des mers.

Il serait injuste néanmoins d'accuser le seul ministère de Louis de ces tristes résultats; ils furent amenés par un concours d'événemens antérieurs; et, pour en juger, il faut remonter à l'acte

de navigation de Cromwel; à la triple alliance impolitique de la Hollande et de la Suède; à l'invasion plus impolitique encore de la Hollande par Louis XIV; au faux système que cette agression imprima pour un siècle aux Hollandais; enfin aux journées de la Hogue et de Vigo. A ces causes premières en succédèrent d'autres plus importantes et plus décisives encore, telles que la mauvaise administration maritime de la fin du règne de Louis XIV, l'inimitié de Philippe V pour le régent, la faiblesse et la parcimonie déjà signalées du cardinal de Fleury, la faute que fit l'Espagne de ne pas soutenir à l'époque critique de 1755, une marine sans le concours de laquelle la sienne devait aussi périr un jour. Enfin en dernière analyse et avant toutes les causes transitoires, on doit attribuer l'élévation de l'Angleterre à la politique habile de Guillaume III, et à l'adresse avec laquelle ses principes furent maintenus par ses successeurs, qui, ainsi que lui, surent tourner contre la France toutes les petites passions des puissances continentales, et firent oublier le grand intérêt d'un équilibre maritime, par les dangers imaginaires de l'équilibre continental. Une telle masse de causes générales prolongées pendant un siècle ne pouvait avoir d'autres résultats. Mais si le blâme n'est pas tout entier au ministère de Louis XV, il faut convenir qu'il ne fit rien pour réparer le mal déjà fait, et peu de

chose pour prévenir le mal plus grand encore dont le commerce français était menacé.

Cet exposé rapide des mouvemens de la politique européenne, pendant les cinquante premières années qui suivirent la mort de Louis XIV, suffira pour démontrer jusqu'à quel point les principes des différens cabinets furent boulever

sés.

Une même génération vit la France alliée avec l'Angleterre, contre un prince de la maison de Bourbon qu'elle venait de placer elle-même sur le trône, au prix d'un demi-million de Français moissonnés dans la guerre de la succession. Elle trouva l'Autriche aidant les Espagnols à s'introduire en Italie, et à lui reprendre le royaume de Naples, dont la maison impériale venait d'être investie tout récemment par le traité d'Utrecht. On vit dans la même période la Hollande prendre une part sanglante aux deux guerres de Flandre, sacrifiant ainsi ses trésors et ses intérêts pour favoriser l'accroissement d'une rivale qui ne s'élevait déjà que trop. Il ne manquait pour rendre ce tableau complet, que de voir l'Autriche contribuer à l'élévation du trône de Prusse, et la France combattre la maison de Brandebourg en faveur de Marie-Thérèse : l'Europe eut cette double satisfaction.

La fin du dix-huitième siècle fut signalée par une catastrophe bien plus extraordinaire encore;

il serait difficile de développer dans un cadre si étroit les causes qui la produisirent : nous nous bornerons donc à indiquer les événemens politiques qui en furent le résultat.

Après la paix désavantageuse que Louis XV avait conclu en 1763, l'Europe croyait pouvoir tout se permettre envers la France humiliée sur terre comme sur mer. Le renvoi du duc de Choiseul, au moment où ce ministre combinait une guerre maritime, et voulait s'allier à l'Autriche pour empêcher les projets de Catherine sur la Pologne, acheva de ruiner l'influence et la considération dont jouissait jusqu'alors le cabinet de Versailles. Le premier résultat de ce renvoi fut le partage de la Pologne, fait en 1772, entre Frédéric, Catherine et Joseph. Cet événement important et décisif, ne put soulever un instant l'apathie d'un roi déjà âgé, et livré à l'empire absolu de madame Dubary et du faible Maupeou. Mais la mort de ce prince suivit de près le partage, et le brillant début de son successeur releva pour quelque temps l'honneur et l'espoir de

la France.

Louis XVI, monté sur le trône en 1774, avait une tâche bien difficile à remplir, de longues erreurs à réparer, une marine à réorganiser, un commerce à soutenir et une considération intérieure et extérieure à rétablir. Pour obtenir de si grands résultats, il ne lui restait qu'un trésor

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