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tude sait ce qu'elle fait et ce qu'elle désire, c'est que tous les habitans de Versailles se révoltaient pour provoquer le départ du Roi, de la cour et de l'assemblée, dont le séjour amenait l'abondance et la vie dans leurs murs.

Les femmes et quelques agens secrets ayant répandu de l'argent et corrompu bon nombre de mauvais sujets du régiment de Flandre, il ne restait ainsi qu'une force bien insuffisante pour tenir tête à cet orage. Le ministre comte de SaintPriest, justement alarmé, sollicitait le Roi de partir, lorsqu'une lettre de Lafayette, écrite sans doute avant qu'il n'eût l'ordre de se mettre en marche, fit espérer que le calme allait être rétabli dans Paris, et décida le Roi à refuser ce parti extrême qui l'eut probablement sauvé. Ce Prince voulut même essayer de rétablir également la tranquillité à Versailles, en faisant donner à la garde nationale de cette ville, ainsi qu'aux troupes, l'ordre de rentrer; mais au moment où celles de sa maison se mirent en devoir d'obéir, elles furent assaillies par une décharge qui blessa plusieurs hommes.

Le désordre croissait de plus en plus, l'animosité contre les gardes-du-corps était arrivée au plus haut degré, et la fermeture des grilles avait pu seule les mettre à l'abri, lorsque Lafayette arriva inopinément avec son armée. Après lui

avoir fait prêter serment de fidélité à la nation, à la loi, au Roi; le général se présenta d'abord à l'assemblée, inondée de la populace de Paris qui siégeait pêle-mêle avec elle; il se rendit ensuite au château où il promit, dit-on, au Roi, de rétablir l'ordre et de répondre de tout.

Peu de temps après les anciennes gardes-françaises vinrent prendre les postes qu'elles occupaient au château avant leur défection; elles firent même ouvrir les grilles en témoignage de la confiance qu'on plaçait dans le peuple: tous les autres postes furent également relevés par les troupes de Lafayette.

Le calme paraissait rétabli, mais ce calme était précurseur d'une insigne perfidie et assurait le triomphe des conspirateurs.

Des milliers de brigands bivouaquaient sur les places, et les postes du château n'étaient pas même doublés. Le Roi et l'assemblée s'étaient livrés au sommeil, sur les promesses du général parisien, lorsque le 6 octobre, à cinq heures et demie, cette foule de gens sans aveu qui avaient suivi les colonnes de la garde nationale, mêlée aux horribles femmes qui l'avaient précédée, s'avance sur le château par la cour des ministres et des princes. Quelques hommes introduits par les postes confiés aux gardes-françaises massacrent les sentinelles des grilles et don-. nent passage à la foule : en un clin-d'oeil les bri

Le Roi vient

à Paris.

gands inondent le château, arrêtent ou blessent plusieurs gardes-du-corps, pénètrent à l'appartement de la Reine, criant comme des bêtes féroces qu'il fallait lui couper la tête. Marie-Antoinette avertie par mesdames Auguié et Thibaut, n'a que le temps de se sauver presque nue chez

le Roi.

Après une heure de la scène la plus scandaleuse, les brigands sont enfin chassés des appartemens et du château; mais le tumulte continue sur les places, où l'on se disputait les gardes-du-corps pour les mettre à la lanterne; le Roi paraît au balcon pour apaiser les furieux, on veut aussi que la Reine s'y présente. Une voix part de la foule et crie: « le Roi à Paris. » Ce cri répété par mille sicaires qui n'en connaissaient pas la signification devient bientôt une loi impérieuse.

Louis répugnant beaucoup à prendre cette résolution, qu'il soupçonnait être un des motifs du complot dirigé contre lui, voulut d'abord consulter l'assemblée et la manda au château; la majorité consentait à s'y rendre, lorsque Mirabeau s'écria avec sa véhémence ordinaire, que les représentans ne pouvaient délibérer dans les palais des Rois, et cette sortie vivement applaudie des tribunes fit manquer le projet. Une députation de 36 membres et les sollicitations de Lafayette décidèrent enfin le Roi à partir. La conduite ingrate des habitans de Versailles con

tribua du moins à diminuer les regrets que ce changement forcé de résidence eût inspiré Monarque. L'Assemblée resta encore quelques jours dans cette ville, et ne suivit la cour à Paris que le 15.

Deux partis différens semblent avoir comploté cette funeste journée, l'un pour amener Louis et l'Assemblée à Paris, afin de faciliter aux séditieux les moyens de s'emparer de l'autorité par la multitude de la capitale; l'autre pour attenter aux jours de la Reine et forcer le Roi à la fuite, afin de placer le duc d'Orléans à la tête des affaires en qualité de régent.

d'Orléans

On désigna Mirabeau et le duc d'Orléans, Mirabeau et comme instigateurs de ces complots, et une pro- accusés. cédure fut même dirigée contre eux par le Châtelet; mais soit que leur parti se trouvât déjà tout puissant ou que leurs trames eussent été bien couvertes, ils furent disculpés par l'Assemblée.

Le discours tenu un an après à la tribune publique par Mirabeau, et consigné dans le Moniteur du 4 octobre 1790, ne laisserait point de doutes sur ses projets, s'il ne s'était vanté plus d'une fois lui-même d'avoir amené le duc d'Orléans au pied du trône, sans que ce prince sût y monter.

Cette émeute, plus désastreuse que celle du 14 juillet, fut moins signalée par le nombre des victimes, que par les attentats qui avaient été médités, et les vues audacieuses des conjurés qui

les dirigèrent ces suites bien plus menaçantes pour la monarchie et pour l'Europe entière, annonçaient la destruction des premiers noeuds du lien social : l'insurrection, le meurtre, transportés jusques dans les appartemens inviolables des Rois, présageaient déjà toutes les catastrophes imaginables, et rien ne dut étonner après un semblable début.

Les ennemis de Lafayette élevèrent contre lui des soupçons injurieux; on lui reprocha d'avoir cherché à inspirer de la confiance à Louis par la lettre qu'il écrivit avant son départ de Paris; d'avoir répondu de tout, sans prendre aucune mesure pour la sûreté du château; enfin de l'avoir laissé forcer par 2 mille brigands armés de piques, quoiqu'il eût 20 mille hommes pour le défendre. Bertrand l'accuse de la plus noire trahison ou de la plus coupable imprévoyance, et nous pensons que c'est à tort : l'abandon chevaleresque, et l'extrême confiance dans les hommes et dans la générosité de leurs sentimens, qui ont toujours caractérisé ce général, suffisent pour détruire ces inculpations, et pour expliquer sa conduite; il fut induit en erreur dans cette occasion comme dans beaucoup d'autres.

Cependant, soit qu'il sentit le besoin de réparer le tort que ces soupçons pouvaient faire à sa réputation, soit qu'il fût lui-même indigné d'avoir été trompé, il se rendit peu de jours

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