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tantôt dans votre Affemblée, que l'on s'eft intéreffé lentement & foiblement dans votre fecond emprunt, quoique plus avantageux que le premier; & les étrangers furtout, de l'aveu de leurs correfpondans, n'ont donné aucune commiffion. On devoit avoir plus de confiance dans les reffourcès, la fageffe & la volonté de la plus grande des Nations; mais n'étant qu'aux bords du précipice, il dépend encore de vous, Meffieurs, de faire voir qu'on fe trompe, & de reprendre avec éclat les fentimens qui Vous appartiennent. Mais, avant de développer ici vos moyens pour atteindre à ce but, je dois vous informer de la grandeur du mal, de fon urgence, & du défordre prochain dont nous fommes menacés.

Il falloit le produit de votre dernier Emprunt; il falkit, vous le favez, Meffieurs, quarante millions pour fatisfaire aux befoins de ce mois & des premiers jours du fuivant; il en falloit foixante de plus pour achever le fervice de l'année, fans augmenter le fonds destiné jusqu'à préfent au payement des rentes fur l'Hôtel-de-ville; il faudroit enfin une fomme inconnue, fi le dépériffement des revenus du Roi alloit en augmentant. Vous savez, Meffieurs, avec quelle inftance j'ai follicité de vous deux Décrets que nous n'avons point encore; l'un pour protéger le recouvrement des droits fur les confommations, l'autre pour affurer le payement des impofitions foncières. Cependant les alarmes s'accroiffent chaque jour, le renouvellement des anticipations eft prefqu'entièrement arrêté, & il faut au contraire donner des secours à ceux qui, pour faire des avances aux Gouverne

ment, ont figné des billets qu'ils font dans l'impuiffance d'acquitter. Joignez à tous ces maux la disparition journalière de l'argent effectif, & une disparition telle que, même avec une grande richesse en papier, il deviendroit impoffible de payer le prêt des troupes, & de fatisfaire à la partie des dépenfes qu'on eft forcé d'acquitter en deniers comptans.

Cependant c'eft de toutes les provinces frontières où le payement des impofitions fe trouve retardé; c'eft encore de Breft & de Toulon, pour les travaux des ports; c'eft auffi de divers lieux où il faut acheter des grains & des beftiaux pour la fubfiftance de Paris & de Verfailles; enfin c'eft d'une quantité d'endroits, qu'au nom des plus grands périls on follicite de l'argent comptant; & vous devez juger, Meffieurs, combien ce nouvel embarras eft inquiétant, puisque j'ai propofé au Roi de m'autorifer à faire porter toute fa vailfelle plate à la monnoie; propofition que Sa Majesté a accueillie avec cet empreffement, avec cet amour du bien qui la caractérife; & la Reine, au moment où elle a eu connnoiffance de mes peines, m'a ordonné fur-le-champ de difpofer pareillement de toute fa vaiffelle: les Miniftres du Roi ont fuivi ces exemples. Remarquez bien, Meffieurs, que ce n'eft pas pour procurer au tréfor royal huit à neuf cents mille livres, que je me fuis déterminé à propofer à Leurs Majestés une privation momentanée, mais parce qu'il est impoffible de faire du numéraire effectif autrement qu'avec des métaux; ainfi le vote d'un don gratuit de votre part, eût-il eté de plufieurs millions, n'auroit pas rem

pli le même objer, puifqu'on auroit eu la faculté de le payer en papiers & à différens termes. Enfin, j'ai lieu d'espérer que l'exemple donné par le Monarque, encouragera les véritables amis de la chofe publique, & l'on en fait déjà l'épreuve.

La caiffe d'efcompte, liée au Gouvernement par fes fervices, fe reffent de l'impreffion de tant de malheurs, & fes fonds en numéraire effectif auroient été épuifés depuis long-temps, fi par toutes les difpofitions que la nature des circonftances peut autorifer, elle ne résistoit pas à l'orage. Toutes les maifons de banque & de commerce, tous les hommes dans les affaires, éprouvent une gêne alarmante par le défaut abfolu du numéraire, & par l'influence de l'embarras des finances. Enfin, la détreffe du tréfor royal, la pénurie générale font tellement vifibles, qu'il n'eft plus temps de diffimuler, & d'en impofer par de la contenance: ainfi, malgré la publicité inévitable de tout ce qu'on doit confier à une af femblée nombreuse, malgré les vieilles règles, qui font du tréfor royal un antre mystérieux, le Roi a pensé, Meffieurs, qu'il valoit mieux tout dire, qu'il valoit mieux découvrir, pendant qu'on apperçoit encore la poffibilité du fecours, la crife extrême où se trouvent les finances.

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II y avoit hier au matin au Tréfor royal douze millions huit cents mille livres, foit en billets de la Caiffe d'efcompte, foit en argent comptant, foit en effets exigi bles dans la femaine : cet état, au premier coup-d'œil, eft fort au-deffus de celui dans lequel j'ai trouvé le Tréfor royal au mois d'Août de l'année dernière ; mais

d'abord, treize mois d'intervalle remplis d'événemens & de contrariétés inimaginables, ont épuisé toutes lés reffources. D'ailleurs, d'ici à la fin du mois les befoins indifpenfables, c'est-à-dire, le prêt des troupes de terre, le prêt & le fervice de mer, le payement des intérêts acquittés au Tréfor royal, en les circonfcrivant dans le plus exact néceffaire, le payement des penfions encore plus limité, enfin, le fecours qu'exigent plufieurs caiffes & divers Tréforiers habitués à fervir le Roi de leur crédit, ces divers objets faifant uniquement partie des obligations forcées, ces divers objets, dis-je, fe montent à huit ou neuf millions; ainfi il ne restera que trois ou quatre millions pour commencer le mois pro chain, & nous aurions befoin de trente millions pour fatisfaire à fes befoins, & de foixante-dix à quatre vingts, pour répondre au fervice indifpenfable des trois derniers mois de cette année.

Voilà, Meffieurs, le trifte récit de l'état des Finances de France, dans un moment où il n'y a plus de crédit. C'est à regret que je donne publiquement cette inftruction; mais je le fais à une époque où il n'eft plus temps de fe défendre, par le fecret, des atteintes de l'opinion. J'ai l'ame déchirée d'avoir à préfenter un pareil tableau de notre détreffe. Ces temps où au milieu d'une guerre difpendieuse, je pourvoyois, fans de grandes inquiétudes, à cent-cinquante millions de dépenfes extraordinaires ces temps plus récens où à l'approche de la réunion des Repréfentans de la Nation, je me formois le fpectacle des profpérités de ce Royaume & de la re

naiffance de toutes fes forces; ces temps font trop près de mon fouvenir pour ne pas former dans ma pensée le contrafte le plus affligeant avec les circonftances préfentes. Ah! que la prudence des hommes eft un foible bouclier, que leur prévoyance eft incertaine ! Il est un cours d'événemens qui les entraîne, & c'eft en vain. que le nautonier jeté fur le rivage, fe rappelle doulou reufement le vaiffeau qu'il a conduit long-temps avec sûreté au milieu des mers orageufes, mais dont il n'ap-, perçoit plus que les malheureux débris, le jouet des vagues & de la tempête.

C'eft affez cependant, Meffieurs, vous avoir entretenus de nos infortunes; il faut fe relever, il faut reprendre courage, il faut effayer de réfifter à tout, il faut faire tête à l'orage, & vous reffouvenir de ce que vous êtes & de tout ce que vous pouvez, aidés de la volonté d'un excellent Roi, aidés de fon véritable dévouement au rétabliffement de l'ordre & au bonheur général.

Je crois devoir, Meffieurs, divifer en trois parties l'examen des moyens qui peuvent écarter les maux dont nous fommes environnés, & rendre aux Finances de l'Etat une nouvelle vie.

Il faut établir un rapport certain entre les revenus & les dépenfes fixes.

Il faut trouver les fecours qui font néceffaires pour fatisfaire aux befoins extraordinaires de cette année & fonger à l'avance à ceux de l'année prochaine.

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