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recoins de cette retraite autrefois sacrée, et maintenant aussi profanée qu'elle pouvait l'être. L'église était devenue un magasin. Les cellules servaient à loger des ouvriers. Le petit jardin, cultivé autrefois par les religieux, dans l'intervalle des méditations, était planté négligemment de quelques légumes. La cloche argentine ne faisait plus entendre sa voix mélancolique. Les échos des montagnes voisines ne répétaient plus les chants des frères, dans le silence de la nuit. Mais notre imagination exaltée se figurait les entendre encore. Et ces pierres froides, brisées, qui couvraient une partie du parvis du sanctuaire, et sous lesquelles gisaient, sans doute, encore les restes de quelques religieux, dont le cœur, aujourd'hui réduit en poussière, avait battu, comme les nôtres, pour les vains plaisirs du monde, et qui, nouveaux Abeilard, avaient renfermé toutes les passions dans les murs d'une austère solitude; que de réflexions ne nous feraient-elles pas faire ? Les voluptés venaient, ainsi que les flots de la rivière, battre au pied de l'enclos sacré, et leurs efforts expiraient, en grondant inutilement, contre les digues élevées par les mains de la religion.

Je n'en finerais pas, si je voulais rappeler toutes les réflexions, tantôt tristes et sombres, tantôt gaies et folâtres que nous inspiraient les lieux que nous visitions. Un jour, (c'était la veille de la St-Jean), nous avions fait des courses philosophiques, qui nous avaient conduits à un vieux manoir, semi-château, semi-ferme, appelé Pelling, situé sur la route de Trèves. Le seigneur de ce lieu, vieux militaire autrichien, célibataire, bon vivant, qui fesait valoir un bien assez considérable, et qui commandait une troupe de domestiques, comme il avait autrefois commandé sa compagnie, toujours aux aguets, pour recueillir les voyageurs qui auraient éprouvé un accident, sur le mauvais chemin qui traversait ses terres, à peu près comme le baron des Voitures-Versées, nous reçut avec une bonté et une grâce que j'étais loin d'attendre d'un vieux soudart. Malgré ma tendance, ce jour-là, à rire et à me moquer de tout, l'hospitalité si franche, si cordiale, si noble, que nous reçûmes du

successivement, se meut en tout sens. Une danse commence, et c'étaient les fantômes enflammés qui en fesaient les frais. Les descriptions qu'on nous fait du sabbat ne sont rien en comparaison de ce spectacle. Si jamais les diables de Milton donnent un bal entr'eux, certes il doit ressembler à celui-ci. Ainsi doivent briller leurs prunelles; ainsi doivent s'exhaler, en longues gerbes de feu, les expressions brûlantes de leurs épouvantables plaisirs.

Cette danse infernale avait duré à-peu-près une demi heure, lorsque, tout-à-coup, une obscurité profonde remplace ces lumières qui nous avaient éblouis. Je cherchais à voir Eugène assis à mes côtés; je ne voyais plus ni Eugène, ni rien dans la nature. Partons, lui dis-je tout ému. Pas encore, fit-il. Dix minutes après, une nouvelle flamme nous permet d'apercevoir un nombre considérable de petits hommes rouges, comme l'on nous représente ces lutins, qui viennent tourmenter les hommes, ou qui, se glissant au fond des mines, s'amusent à assister les ouvriers dans leurs travaux. La flamme s'augmente; c'est un globe de feu. Le voilà qui s'avance, avec une rapidité inexprimable, du haut de la montagne; il roule, il se précipite. Ainsi vole, à travers les airs, l'éclair compagnon de la foudre. Je ne doutais point que ce globe enflammé ne parvint jusqu'à la Moselle en peu d'instants. Mais arrivé an milieu du flanc de la montagne, la flamme jette une dernière lueur, qui s'élève à cent pieds du sol. . L'obscurité couvre de nouveau la terre. . . . Minuit sonne; et tout rentre dans un silence aussi profond que les ténèbres. les ténèbres. . . . C'est l'heure des spectres; et les spectres avaient disparu.

Allons-nous en, dit Eugène. Et moi, absorbé par ce spectacle que je regardais encore, quoiqu'il n'y eût plus rien à voir, je ne répondais pas. Enfin il me prit par le bras, m'entraîna, et nous regagnâmes à tâtons notre logis. Je crus avoir fait un rêve; et je passai le reste de la nuit, dans des rêves plus bizarres encore que le spectacle lui-même.

Le lendemain, tout me fut expliqué. Les fantômes noirs et enflammés étaient de longues perches, dont les paysans des environs,

réunis pour la fête, avaient garni le haut d'étoupes goudronnées, et qu'ils brandissaient en chantant. Le globe de feu était une roue également couverte de matières inflammables, et que douze paysans robustes entrainaient vers la rivière, après avoir passé une forte corde dans le moyeu. Vers la moitié de la route à parcourir, et dont ils ne peuvent s'écarter, sourd une petite fontaine d'eau salée, qui forme une sorte de marais. La roue, au moment où elle traverse cet endroit, s'éteint dans la fange; et la cérémonie est finie. On dit que, d'après d'anciennes coutumes, si la roue parvenait embrasée jusqu'à la Moselle, la ville de Sierck devrait aux paysans vingt pièces de vin. Mais de mémoire d'homme, elle n'a jamais franchi le marécage.

C'est ainsi que la veille de la fête de St.-Jean se célèbre dans cette localité. Rechercher maintenant l'origine de ces feux en général, rentrerait, sans doute, dans l'esprit de notre Académie; mais tant d'auteurs en ont parlé amplement, que je doute que je puisse à mon tour apporter quelque lumière nouvelle. Cependant j'avoue que je ne suis pas encore satisfait de toutes les explications qui ont été données, et si, plus tard, le temps me permet d'ajouter de nouvelles recherches aux anciennes, j'essaierai, peutêtre, une dissertation complète sur ce sujet, que je regarde comme assez intéressant.

M. Eugène de Kerckhove, secrétaire de l'ambassade belge à Paris, membre correspondant de l'Académie, lit un discours sur l'état actuel de l'archéologie et son enseignement. L'assemblée arrête que ce travail sera inséré immédiatement dans la 3o livraison du 2o volume des annales de l'Académie.

Parmi les diverses propositions qui sont discutées, l'assemblée

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acccorde une attention toute spéciale à celle de M. Polain, conservateur des archives de la province de Liége, conseiller de l'Académie, ayant pour objet d'instituer des concours, afin d'encourager la publication des travaux historiques et archéologiques sur les principaux monuments du pays, et en particulier sur nos monuments religieux. Cette proposition est appuyée par plusieurs membres et renvoyée au conseil d'administration, qui aura à s'occuper des moyens d'exécution.

RECHERCHES

SUR L'ÉGLISE CATHÉDRALE

DE

NOTRE-DAME

A TONGRES:

PAR

M. PERREAU,

MEMBRE CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE, ETC.

Histoire.

La ville de Tongres doit son origine au camp retranché que les Attuatiques établirent dans le pays des Éburons pour arrêter la marche victorieuse de César, et auquel ils donnèrent le nom d'Attuatuca. Plusieurs anciens historiens font remonter plus loin l'origine de cette ville, ils en attribuent la fondation à un certain Tongrus qui vivait d'après leurs calculs huit siècles avant JésusChrist et fut la souche d'une longue suite de rois. La critique historique a fait justice de ce conte absurde, depuis que l'on s'est occupé en Belgique de scruter les sources d'où les anciens chroniqueurs avaient tiré leurs récits. Il est prouvé maintenant que lors de l'arrivée de César dans les Gaules, il n'existait aucune ville dans la Belgique; car l'on ne peut donner ce nom à quelques

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