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CONSIDERATIONS

SUR

L'ÉTAT ACTUEL DE L'ARCHÉOLOGIE

ET DE

SON ENSEIGNEMENT

DISCOURS

prononcé à la séance générale de l'Académie, le 7 juin 1845, par V.
EUGENE DE KER CK HOVE, docteur en droit, secrétaire de l'ambassade
du Roi à Paris, membre correspondant, etc.

Messieurs,

En prenant la parole dans cette assemblée où votre bienveillance a daigné m'accorder une place, je voudrais pouvoir faire parler devant vous mon admiration pour la science qui fait l'objet de vos travaux, et présenter, en termes dignes du sujet, l'apologie de ces belles et nobles études, qui ont et méritent si bien toute votre prédilection; mais je craindrais d'encourir le reproche de

L'impression de la présente livraison était sur le point d'être terminée. lorsque l'Académie, voulant donner à M. EUGÈNE DE KERCKHOVE une marque spéciale de l'intérêt qui lui avait fait éprouver ce discours, a décidé à l'unanimité qu'il serait inséré immédiatement dans les annales de l'Académie.

(Note du secrétaire-perpétuel.)

présomption, si j'essayais de fournir quelque motif nouveau à votre dévouement, à vos affections pour elles. Au moins, devrais-je peut-être apporter ici quelque question non résolue par la science, et m'efforcer par son examen de m'élever à la hauteur de votre intérêt; mais, je vous l'avouerai, Messieurs, j'ai pensé qu'il y aurait de la témérité à moi, modeste aspirant, qui n'ai que mon zèle, d'entreprendre une pareille tâche devant des juges aussi éclairés.

Je ne profiterai donc de la permission qui m'est accordée, que pour vous soumettre quelques réflexions bien générales sur l'archéologie, son enseignement et l'influence que cet enseignement pourrait, à certaines conditions, exercer sur l'éducation, et de là sur toute la vie de l'homme.

J'ose réclamer, Messieurs, votre indulgence pour des observations rassemblées à la hâte, et qui, je le crains, n'étaient pas dignes de vous être présentées aussi n'aurais-je pas sollicité cette faveur, si je n'avais considéré comme un devoir de saisir la première occasion qui s'offrait à moi, pour vous témoigner ma reconnaissance de l'honneur que vous avez bien voulu me faire en m'associant à vos travaux, pour vous assurer de mon vif désir de devenir, avec le temps et par des efforts assidus, un collaborateur utile de votre savante association.

L'archéologie, ou la science des choses anciennes, a pour objet l'étude du passé. Sœur et alliée de l'histoire, qui raconte des faits, elle nous présente une suite de tableaux tour-à-tour effrayants ou gracieux, mais toujours instructifs; elle décrit et interprète les phases diverses par où l'humanité a passé dans sa marche ascendante vers le perfectionnement.

Science la plus philosophique à la fois et la plus poétique, elle est pour ses initiés, tantôt la source des méditations les plus sérieuses, tantôt la cause des aspirations les plus douces, les plus pieusement mélancoliques, vers cet infini dans le passé et dans

l'avenir, où l'esprit aime à s'égarer quelquefois, sur les ailes de l'espérance, pour oublier un peu les misères d'ici-bas.

Vaste musée ouvert à toutes les intelligences, où chaque siècle en passant déposa son souvenir, l'archéologie offre aux autres branches de l'activité humaine les monuments les plus précieux, les enseignements les plus variés.

Ce que font pour la science naturelle le géologue et l'adepte de cette autre science créée par l'admirable génie de Cuvier, et qui, au moyen de quelques débris sans valeur aux yeux du vulgaire, reconstruit des êtres ensevelis dans la ruine du monde primitif, l'archéologue le fait pour la science historique et pour la philosophie: il établit et analyse les époques de la vie de l'humanité, il fouille les couches diverses de civilisation déposées par les races successives qui ont passé sur la terre, et remet debout, pour les interroger, les peuples et les cités, avec leurs lois, leurs usages, leurs institutions, bonnes ou mauvaises.

Les études archéologiques trop longtemps négligées, commencent partout aujourd'hui à se relever de l'espèce de proscription qui pesait sur elles. L'utilité de cette belle science est reconnue. Aucune voix sérieuse ne s'élève plus contre elle, et, si elle a encore quelque ennemi, ce ne peut être que parmi ces esprits malfaits auxquels a été refusée l'intelligence des grandes choses, et qui n'estiment rien de ce qui dépasse le cercle étroit de leur intérêt personnel. Ce retour vers le passé ne doit pas nous étonner: le sol sur lequel s'agite la société moderne, a été profondément labouré par des révolutions; notre siècle rompant violemment l'antique tradition des temps, n'a plus voulu relever que de lui seul; mais, après de longs et douloureux efforts, nous en sommes arrivés à ne plus savoir où nous sommes, où nous allons; suspendus entre le passé et l'avenir, sans racines dans l'un, sans espoir dans l'autre, nous vivons au jour le jour, irrésolus, incertains, nous raccrochant au premier système venu, à la première idée qui passe. Il faut sortir cependant, et sortir à tout prix, de cet état de halte fatigante et pénible, et l'instinct de l'humanité nous dit à tous que nous ne le pourrons

qu'à la condition de renouer la grande chaîne des croyances et des institutions que nous avons brisée.

Voilà, Messieurs, la cause première du mouvement qui se fait autour de nous, de ce besoin de remonter dans le passé qui éclate partout aujourd'hui, et qui, aux yeux de bien des gens, n'est qu'un caprice de la mode, auquel on se hâte d'obéir, sans trop savoir pourquoi.

Nous commençons, depuis quelques années, à retourner à la sagesse de nos pères, parce que nous commençons à comprendre, enfants prodigues que nous sommes, que le progrès ne consiste pas à toujours courir en avant, en détruisant derrière soi, sans savoir comment l'on remplacera ce qu'on détruit, mais bien à améliorer, à perfectionner les institutions qu'on a reçues de ses ancêtres, à enrichir l'héritage de la famille, et à mûrir les œuvres de la jeunesse par les conseils des vieillards.

De là est né un grand et salutaire entraînement vers les études historiques et archéologiques, mouvement très-rationnel sans doute, et auquel nous devons applaudir de toutes nos forces, mais qui, me paraît-il, aurait besoin d'être réglé, organisé, dirigé vers un but bien déterminé et réellement profitable à la science et à l'ordre social. Ce serait une mission bien belle, pour une association comme la vôtre, Messieurs, une mission profondément humanitaire, de se mettre à la tête de ce mouvement réparateur, afin de lui faire produire tout le bien qu'il porte en lui.

Pour apprécier la nature un peu vague et déjetée du mouvement dont nous parlons, voyons ce qui se passe aujourd'hui dans le monde archéologique. Deux grands partis sont en présence : les admirateurs du moyen-âge et les fidèles de l'antiquité grecque et romaine. Cette dernière, avouons-le, commence singulièrement à vieillir et à s'éloigner de nous. Déjà à la fin du siècle dernier, elle passait un peu de mode, et je ne sais où elle en serait aujourd'hui, si elle n'avait alors trouvé le moyen de s'affubler de certaines formes politiques, qui au fond ne lui allaient pas trop,

mais qui avaient le mérite de la vogue. Ainsi parée pour la circonstance, elle rentra subitement en triomphe dans la société, par la brèche qu'y avait faite la révolution française en sapant les institutions féodales. Le nouveau règne commença bien. L'enthousiasme était extrême; tout courait au-devant d'elle: arts, sciences, littérature, mœurs, costumes, tout subissait sa loi suprême. La religion même faillit y passer, et l'Olympe tressaillit de joie, croyant voir arriver la fin de son douloureux exil. Mais bientôt le vieux génie germanique qui sommeillait, se redressa de toute sa hauteur contre ces Romains qu'il avait toujours détestés; la poésie chrétienne, longtemps voilée, fit entendre d'éloquentes protestations du fond de ses augustes basiliques; une réaction aussi légitime que naturelle commença de toutes parts; le joug d'admiration que la belle forme antique faisait peser sur les idées et sur les hommes fut brisé, et l'on se jeta avec ardeur dans l'étude du moyen âge.

Rien de plus légitime, je le répète, rien de plus rationnel que le principe de cette réaction; mais malheureusement, comme toute réaction, celle-là aussi, je crois, est allée trop loin. Après avoir célébré sur tous les tons, après avoir adoré, encensé les Grecs et les Romains, on se mit à les traiter avec un sans-façon aussi injuste en lui-même que dangereux pour l'avenir. Dangereux, disons-nous, pour l'avenir, parce que, dans le domaine de la pensée comme dans le monde des faits, les excès ne valent jamais rien, même quand ils répondent à des excès. En tout temps et en toutes choses, la vérité a toujours eu à souffrir de ces oscillations violentes qui substituent les passions, l'entrainement, le fanatisme, à la froide et sévère impartialité de la raison.

A part ce danger des réactions, il y a d'ailleurs dans le culte actuel du moyen âge, comme il y avait dans le culte détrôné des Grecs et des Romains, un autre danger bien plus grave et qu'on ne saurait assez signaler: ces préoccupations exclusives, n'importe pour quelle époque, pour quelles formes littéraires, artistiques ou même politiques, aboutissent à supprimer toute personnalité,

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