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Séance générale du 15 Mars 1848.

PRÉSIDENT M. le vicomte DE KERCKHOVE.

SECRÉTAIRE-PERPÉTUEL: M. FÉLIX BOGAERTS.

La plupart des membres effectifs sont présents. M. le Président ouvre la séance et prononce le discours suivant :

MESSIEURS,

Avant de vous entretenir de l'objet de notre réunion de ce jour, j'éprouve le besoin de vous exprimer combien j'ai été touché de la marque d'estime que vous avez bien voulu me donner, en m'appelant aux fonctions de président de l'Académie d'Archéologie.

Je suis heureux de pouvoir saisir cette nouvelle occasion de vous en offrir mes vifs remerciments. Je n'ai qu'un regret, c'est de ne pas être à la hauteur de la mission que Vous avez daigné me confier; j'aurais voulu avoir le courage de ne pas céder au vœu de mes collègues; mais, je vous l'avouerai, votre choix m'a été si flatteur, que, malgré ma profonde conviction de l'insuffisance de mes moyens, j'ai cependant cru devoir essayer de justifier, à force de zèle, votre honorable confiance. Ce qui m'a animé dans cette résolution, c'est la pensée que vous aussi, messieurs, quand vous avez daigné jeter les yeux sur moi, et oublier, en ma faveur, de beaux noms et de nobles talents qui brillent dans vos rangs, que vous aussi, dis-je, avez pu croire que l'amour de la science et un dévouement sans bornes à la prospérité de votre jeune association, pourraient suppléer à la variété ou à la profondeur des connaissances. Telles sont les considérations qui m'ont encouragé à accepter l'honneur que vous vouliez bien me faire; ce sont elles encore qui me soutiendront dans le cours de mes

fonctions, et qui, en me rappelant les conditions de votre confiance, me rappelleront aussi sans cesse l'étendue de mes devoirs. Ces devoirs pourront quelquefois, je le crains, être difficiles pour moi; mais, veuillez en être persuadés, jamais ils ne seront audesssus de mon dévouement. Et d'ailleurs, pour remplir les obligations qui me sont imposées, j'ose compter non-seulement sur votre indulgence, mais aussi sur le concours de vos lumières et de vos amitiés. En m'appuyant sur vos conseils et sur votre expérience, je me sentirai plus fort pour la tâche qui m'est confiée, et ainsi je pourrai espérer d'atteindre avec vous le but si noble, si élevé que vous avez eu en vue en fondant l'Académie d'Archéologie.

Et puisque votre pensée se trouve reportée vers le principe et le but de votre association, qu'il me soit permis de vous y arrêter un instant, pour examiner avec vous et définir, en quelques mots, la nature, la portée et l'utilité des travaux qui seront l'objet de vos méditations.

Je ne vous parlerai pas ici, messieurs, des avantages sans nombre qui s'attachent à l'existence des associations scientifiques en général. Ces avantages ne sont contestés que par quelques esprits chagrins qui n'aperçoivent jamais, même dans les plus beaux ouvrages de l'homme ou de la nature, que les taches, que les erreurs ou les imperfections, comme si l'imperfection et l'erreur n'étaient pas inhérentes à tout ce qui est l'homme ou tient de l'homme. L'histoire des principaux corps savants et l'exposition des services qu'ils ont rendus, fourniraient une foule d'arguments à opposer aux détracteurs; mais la meilleure réponse à faire à ceux qui nient le mouvement, c'est de marcher devant eux: c'est celle que, depuis des siècles, l'humanité fait à ceux qui contestent ses progrès; c'est celle-là aussi, messieurs, que vous préférerez. D'ailleurs, en dehors de tous les arguments tirés de l'histoire des sciences, il est un fait bien remarquable, fait caractéristique de notre époque, et qui conclut d'une manière péremptoire en faveur de ces institutions,

c'est cette tendance d'association qui éclate aujourd'hui chez tous les peuples civilisés, et qui se manifeste aussi bien dans le domaine du travail matériel que dans celui du travail purement intellectuel. Partout en effet, on voit s'élever de pareilles associations et leurs relations se multiplier en raison du progrès des sciences et des arts. Cette tendance ne seraitelle qu'une espèce de hasard, de caprice, ou un de ces phénomènes passagers qui ne tiennent à rien, ni dans le passé ni dans l'avenir, que la mode a fait naître et qui disparaissent avec elle? Je ne puis le croire: ou je me trompe fort, ou ce fait constitue un des mouvements les plus rationnels de l'activité humaine. A mesure qu'une science va s'étendant, se divisant et se subdivisant, il devient toujours plus difficile et bientôt même impossible pour l'individu d'embrasser par sa seule intelligence toutes ses ramifications. Alors chacun de ces rameaux vigoureux devient l'objet de méditations particulières. Mais bientôt le besoin de société se fait sentir, le travail commun et social devient une nécessité pour refaire, pour reconstruire, en quelque sorte, le grand corps de la science décomposé par l'analyse individuelle. C'est ainsi, qu'il me soit permis de faire ce rapprochement, que dans l'ordre scientifique et littéraire, comme dans l'ordre industriel, les progrès même de la civilisation, ramènent l'humanité à cette loi conservatrice d'association si puissante et si vivace au moyen age, et que la société moderne semblait avoir proscrite pour lui substituer le principe si dissolvant de la concurrence universelle.

Vous n'avez donc fait, messieurs, qu'obéir à un grand besoin de notre époque, quand vous avez résolu de mettre en commun vos efforts et vos lumières, de rapprocher vós intelligences et vos cœurs, pour l'étude d'une des plus vastes et des plus belles sciences sur lesquelles l'activité humaine se soit jamais exercée. Vous avez rendu un service signalé à votre pays le jour où vous avez fait un appel à tous ces hommes laborieux qui fouillent avec ardeur dans les ruines du passé, pour y rechercher

les bases de nos institutions, de toute notre vie actuelle; qui découvrent chaque jour à notre admiration et ravivent de leur talent les souvenirs les plus glorieux et les plus touchants.

L'histoire vous aura de grandes obligations; car c'est pour elle surtout que vous recueillerez, que vous préparerez de précieux matériaux dont elle aura à profiter: ces matériaux, elle les recevra de vos mains, contrôlés, éprouvés par une sage critique et tout prêts à être mis en œuvre.

Pour satisfaire à cette partie de votre mission, vous aimerez à porter vos investigations principalement sur tout ce qui se rattache au passé si intéressant de nos riches provinces, de nos industrieuses cités, et à l'histoire de ces illustres familles qui ont jeté tant d'éclat sur nos glorieuses annales.

Vous aimerez aussi, messieurs, à seconder et à encourager cette réaction moderne de respect et de vénération pour les monuments et les traditions de nos ancêtres; réaction généreuse, qui fait honneur à l'esprit réparateur de notre époque, mais qui a besoin d'être dirigée et éclairée. Ainsi vous acquerrez des droits à la reconnaissance de tous les amis des arts, et ce ne sera pas un de vos moindres titres aux yeux d'un pays qui doit aux arts tant de grandeur et de gloire, au sein d'une ville que plusieurs siècles de triomphes ont consacrée la métropole d'une des plus riches et des plus brillantes écoles du monde. Il y a plus, chez un peuple qui s'est toujours montré si noblement attaché à la foi de ses pères, l'art a été et devait être essentiellement religieux aussi nos plus beaux monuments sont l'expression d'une pensée pieuse, la matérialisation imposante d'une aspiration de l'homme vers la divinité. Certes, c'est là une heureure position pour notre pays; car il est incontestable que, pour le style comme pour la pensée, l'art religieux sera toujours le type le plus noble et le plus pur de la véritable grandeur.

Ainsi donc, du point de vue artistique et monumental comme du point de vue purement historique, vos travaux seront avant tout la réalisation d'une pensée nationale. Puissent-ils, à leur

tour, devenir un monument dont s'enorgueillissent un jour et la science et la Belgique !

Vous le voyez, messieurs, votre mission est grande et belle; mais vous saurez l'accomplir. En vous l'imposant, vous avez eu la conscience de vos forces et le sentiment du bien que vous êtes appelés à produire. Tous les hommes de cœur et d'intelligence ont applaudi à votre entreprise. De toutes parts, en Belgique et à l'étranger, ont éclaté les plus vives sympathies pour vos efforts; vous avez vu les hommes les plus éminents par leurs noms et par leurs talents, répondre avec empressement à votre appel et vous exprimer le plaisir qu'ils éprouvent de pouvoir s'associer à vos travaux. Ces témoignages flatteurs sont la meilleure preuve que vous avez été compris, et que l'on a confiance en vous, en vos lumières, en votre persévérance,

Ce début est trop heureux, la route à parcourir est trop belle, et votre dévouement trop réel, trop sincère, pour que vous ne deviez pas être assurés que l'avenir réserve à votre association les plus brillantes destinées. Mais, ne l'oublions jamais, en toutes choses ici bas, le travail est la première, la plus rigoureuse et la seule condition légitime de succès. Rappelons-nous sans cesse que l'on a les yeux sur nous, que le pays attend et est en droit d'attendre beaucoup de notre institution. Ainsi, je compte sur vous, messieurs, et vous, comptez sur moi j'ai été trop fier de vos suffrages pour ne pas consacrer avec bonheur tout ce qu'il peut y avoir en moi de dévouement et de lumières à la réalisation de nos communes espérances.

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N'épargnons donc aucun effort notre récompense sera bien douce, bien complète, si nous pouvons nous dire un jour que nous aussi, nous avons coopéré aux progrès de la science; que nous aussi, nous avons été utiles à nos concitoyens; que nous aussi, nous avons contribué à la gloire, peut-être même au bonheur de notre chère patrie.

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