Page images
PDF
EPUB

son complice. Mais comme on n'a point employé contre moi cette marche dans l'accusation, je ne suis pas non plus obligé de la suivre pour me défendre. Il me suffira d'examiner les témoins tels qu'ils sont ; les charges, telles qu'on me les oppose; et j'aurai tout dit, lorsque j'aurai discuté trois faits principaux, puisque la triple malignité des accusateurs, des témoins et des juges, n'a pu ni en fournir ni en recueillir davantage.

On m'accuse d'avoir parcouru les rangs du régiment de Flandre le sabre à la main, c'est-à-dire, qu'on m'accuse d'un grand ridicule. Les témoins auraient pu le rendre d'autant plus piquant que, né parmi les patriciens, et cependant député par ceux qu'on appelait alors le tiers-état, je m'étais toujours fait un devoir religieux de porter le costume qui me rappelait l'honneur d'un tel choix. Or, certainement l'allure d'un député en habit noir, en chapeau rond, en cravate et en manteau, se promenant à cinq heures du soir, un sabre nu à la main, dans un régiment, méritait de trouver une place parmi les caricatures d'une telle procédure. J'observe néanmoins qu'on peut bien être ridicule sans cesser d'être innocent. J'observe que l'action de porter un sabre à la main ne serait ni un crime de lèse-majesté, ni un crime de lèse-nation. Ainsi, tout pesé, tout examiné, la déposition de M. Valfond n'a rien de vraiment fâcheux que pour M. Gamaches, qui se trouve légalement et véhémenté

ment soupçonné d'être fort laid, puisqu'il me ressemble.

Mais voici une preuve plus positive que M. Valfond a au moins la vue basse. J'ai dans cette assemblée un ami intime, et que, malgré cette amitié connue, personne n'osera taxer de déloyauté ni de mensonge, M. Lamarck. J'ai passé l'après-midi tout entière du 5 octobre chez lui, en tête à tête avec lui, les yeux fixés sur des cartes géographiques, à reconnaître des positions alors très-intéressantes pour les provinces belgiques. Ce travail, qui absorbait toute son attention et qui attirait toute la mienne, nous occupa jusqu'au moment où M. Lamarck me conduisit à l'assemblée nationale, d'où il me ramena chez moi.

Mais dans cette soirée il est un fait remarquable sur lequel j'atteste M. Lamarck; c'est qu'ayant à peine employé trois minutes à dire quelques mots sur les circonstances du moment, sur le siége de Versailles, qui devait être fait par les amazones si redoutables dont parle le Châtelet ; et considérant la funeste probabilité que des conseillers pervers contraindraient le roi à se rendre à Metz, je lui dis : La dynastie est perdue, si Monsieur ne reste pas, et ne prend pas les rénes du gouvernement. Nous convînmes des moyens d'avoir sur-le-champ une audience du prince, si le départ du roi s'exécutait. C'est ainsi que je commençais mon rôle de complice, et que je me préparais à faire M. d'Orléans

[ocr errors]

lieutenant- général du royaume. Vous trouverez peut-être ces faits plus probans et plus certains que mon costume de Charles XII.

On me reproche d'avoir tenu à M. Mounier ce propos : » Eh! qui vous dit que nous ne voulons » pas un roi? Mais qu'importe que ce soit Louis XVI » ou Louis XVII? »

Ici j'observerai que le rapporteur dont on vous a dénoncé la partialité pour les accusés est cependant loin, je ne dis pas de m'être favorable, mais d'être exact, mais d'être juste. C'est uniquement parce que M. Mounier ne confirme pas ce propos par la déposition, que M. le rapporteur ne s'y arrête pas. » J'ai frémi, dit-il, j'ai frémi en lisant, et je >> me suis dit : Si ce propos a été tenu, il y a un complot, il y a un coupable; heureusement » M. Mounier n'en parle pas. »

Eh bien, messieurs, avec toute la mesure que me commande mon estime pour M. Chabroud et pour son rapport, je soutiens qu'il a mal raisonné. Ce propos, que je déclare ne pas me rappeler, est tel que tout citoyen pourrait s'en honorer; et nonseulement il est justifiable à l'époque où on le place, mais il est bon en soi, mais il est louable; et si M. le rapporteur l'eût analysé avec sa sagacité ordinaire, il n'aurait pas eu besoin, pour faire disparaître le prétendu délit, de se convaincre qu'il était imaginaire. Supposez un royaliste tempéré, et repoussant toute idée que le monarque pût courir un danger chez une nation qui professe en

[ocr errors]

quelque sorte le culte du gouvernement monarchique trouveriez-vous étrange que l'ami du trône et de la liberté, voyant l'horizon se rembrunir, jugeant mieux que l'enthousiaste la tendance de l'opinion, l'accélération des circonstances, les dangers d'une insurrection, et voulant arracher son concitoyen trop conciliant à une périlleuse sécurité, lui dît: Eh! qui vous nie que le Français soit monarchiste? qui vous conteste que la France n'ait besoin d'un roi, et ne veuille un roi? Mais Louis XVII sera roi comme Louis XVI; et si l'on parvient à persuader à la nation que Louis XVI est fauteur et complice des excès qui ont lassé sa patience, elle invoquera un Louis XVII. Le zélateur de la liberté aurait prononcé ces paroles avec d'autant plus d'énergie qu'il eût mieux connu son interlocuteur et les relations qui pourraient rendre son discours plus efficace; verriez-vous en lui un conspirateur, un mauvais citoyen ou même un mauvais raisonneur? Cette supposition serait bien simple; elle serait adaptée aux personnages et aux circonstances. Tirez-en du moins cette circonstance, qu'un discours ne prouve jamais rien par lui-même; qu'il tire tout son caractère, toute sa force de l'avant-propos, de l'avant - scène, de la nature du moment, de l'espèce des interlocuteurs, en un mot, d'une foule de nuances fugitives qu'il faut déterminer avant que de l'apprécier, d'en conclure.

Puisque j'en suis à M. Mounier, j'expliquerai un

autre fait que, dans le compte qu'il en a rendu lui-même, il a conté à son désavantage.

Il présidait à l'assemblée nationale le 5 octobre, où l'on discutait l'acceptation pure ou simple, ou modifiée, de la déclaration des droits. J'allai vers lui, dit-on; je l'engageai à supposer une indisposition, et à lever la séance sous ce frivole prétexte... J'ignorais sans doute alors que l'indisposition d'un président appelle son prédécesseur ; j'ignorais qu'il n'est au pouvoir d'aucun homme d'arrêter à son gré le cours d'une de vos plus sérieuses délibérations..... Voici le fait dans son exactitude et sa simplicité.

Dans la matinée du 5 octobre, je fus averti que la fermentation de Paris redoublait. Je n'avais pas besoin d'en connaître les détails pour y croire : un augure qui ne trompe jamais, la nature des choses, me l'indiquait. Je m'approchai de M. Mounier, je ́lui dis » Mounier, Paris marche sur nous. — Je » n'en sais rien. - Croyez-moi, ou ne me croyez » pas, peu m'importe; mais Paris, vous dis-je, marche sur nous. Trouvez-vous mal: montez au châ» teau, donnez-leur cet avis: dites, si vous voulez, » que vous le tenez de moi, j'y consens; mais faites >> cesser cette controverse scandaleuse; le temps presse, il n'y a pas un moment à perdre.

[ocr errors]

Paris marche sur nous? répondit Mounier : eh >> bien! tant mieux, nous en serons plus tôt répu»blique. >> Si l'on se rappelle les préventions et la bile noire qui agitaient Mounier; si l'on se rap

« PreviousContinue »