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fort doivent être jugés par un conseil de guerre. Non-seulement ce sont des crimes civils, mais des crimes de lèse-nation. Je ne m'imaginais pas qu'il fallût se traîner sur une proposition aussi évidente. Il est fort pressant d'apprendre à ceux qui ont osé naguère traiter les couleurs nationales de hochets, de leur apprendre, dis-je, que les révolutions ne sont pas des jeux d'enfans. En laissant à part la dénonciation précipitée d'un ministre dont la responsabilité nous répond de l'évasion des coupables, je demande que nous passions au décret. Tout débat serait oiseux jusqu'au scandale, et personne ne pourrait sans crime monter à cette tribune pour atténuer les attentats commis à Béfort.

La discussion fut fermée, on proposa plusieurs amendemens. Mirabeau :

Mon amendement consiste (et sans doute il me vaudra encore quelques honorables épithètes) à substituer le mot crime au mot délit,

M. Estourmel demande la question préalable sur cet amendement. Mirabeau:

:

Mon amendement est appuyé, je le crois important; en attendant que l'avenir prouve si les ennemis de la révolution seront aussi malheureux en prophéties qu'ils l'ont été jusqu'ici en complots, je demande qu'on appelle crime toutes les insultes faites à la constitution.

Séance du soir, 4 novembre 1790.

La discussion s'ouvrit sur l'administration des ponts et chaussées. Plusieurs orateurs demandaient qu'on accordât aux directoires de département la direction des travaux publics, et qu'on leur confiât le choix des officiers nécessaires à la confection de ces travaux. Mirabeau :

Il ne s'agit pas maintenant de savoir comment l'administration des ponts et chaussées sera organisée, mais s'il y en aura une. Comment concevoir que des routes d'un royaume de vingt-sept mille lieues carrées puissent ne pas s'enchevêtrer sans un centre coinmun? Je ne répondrai qu'à une seule observation épisodique. Je dis qu'on a confondu la cause avec l'effet. Les ponts et chaussées ont été, sans doute, l'instrument de beaucoup de vexations ils peuvent être réputés coupables, si l'intrigue a su obtenir tel chemin inutile, tel pont magnifique, au lieu d'un pont nécessaire; tel canal avantageux à un particulier plutôt qu'au commerce. Mais je demande aux préopinans de me répondre avec cette liberté niaise avec laquelle je parle; je demande comment il serait possible que les chemins s'unissent, s'entrelaçassent sans une administration centrale?

:

Sur la proposition de Mirabeau, M. le président pose la question : » Y aura-t-il une administration centrale des » ponts et chaussées ? »

L'affirmative est décrétée à une grande majorité.

Séance du 6 novembre.

Une députation du corps électoral de l'île de Corse, admise à la barre, après avoir donné à ceux de ses députés qui avaient bien servi la cause de la liberté des témoignages de son estime et de sa reconnaissance, dénonçait MM. l'abbé Peretti et Buttafoco comme coupables d'avoir écrit des lettres tendantes à soulever le peuple contre l'assemblée nationale. Cette dénonciation occasiona un grand désordre. Quelques membres du côté droit demandèrent que les députés corses fussent chassés de la salle.

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L'abbé Maury prit la parole: Il faut, dit-il, que la con> testation qui s'est élevée soit jugée par vous, ou par des juges nommés par vous, ou que vous autorisiez les mem» bres inculpés à se faire justice eux-mêmes. (Murmures.) » Ce dernier expédient répugne à vos principes : le corps législatif ne peut l'adopter; mais je vous déclare que si j'étais l'offensé, je le prendrais pour moi. »>

M. Salicetti, député de Corse, expliqua l'intention de ses compatriotes. Il demanda à l'assemblée, pour leur justification, de vouloir bien entendre une lettre écrite en corse par M. l'abbé Peretti: elle est traduite de l'italien.

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L'original!» s'écrie un membre du côté droit.
Mirabeau :

Est dans mes mains........... J'ai été bien étonné quand j'ai entendu un prêtre venir invoquer la vengeance individuelle pour juge dans le sanctuaire des lois. Je n'attendais, pour mettre fin à ce débat tumultueux jusqu'au scandale, que la pièce qui devait le terminer : j'ai fait prier le dépositaire de me la communiquer. Elle vous paraîtra peutêtre plus que suffisante pour justifier le profond

ressentiment que les députés de Corse ont eu le droit d'exhaler dans le sein de cette assemblée. Voici la lettre de M. l'abbé Peretti.

» La religion est en péril. Le Seigneur sera fidèle >> aux promesses qu'il a faites à son église de ne » l'abandonner jamais, et les efforts des impies ne » pourront prévaloir contre ses volontés. Cependant je ne puis garder le silence lorsque l'assem» blée veut détruire la foi, la piété, la religion : ce >> que vous devez à votre conscience, c'est d'adhérer » à la délibération du chapitre de Paris et à celle » d'une partie de l'assemblée nationale. Tous les » malheurs ont trouvé place dans notre malheu» reux pays, les erreurs des Calvin et des Luther y » dominent..... On veut réduire les églises; les amis » de la religion et de la politique s'y opposent : mais >> les archi-apôtres, les archi-rois croient que tout »> leur est permis. J'ai déjà fait deux mémoires pour >> la conservation de nos trois évêchés, deux de nos députés y sont contraires.... (Le côté droit applaudit et demande l'impression de cette lettre.) J'étais bien sûr que cette humble préface exciterait les applaudissemens qui m'interrompent. Vous avez entendu un fragment de la correspondance apostolique de l'abbé Peretti je vais vous lire un morceau de sa profession de foi politique. Je continue:

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»

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» Le 14 du courant (avril), nous avons été té» moins d'un spectacle bien capable d'irriter les » vrais défenseurs de la religion. On devait décréter

» que la religion catholique était la seule domi» nante. Le parti de la majorité fit distribuer des invitations au peuple de s'attrouper pour nous >> effrayer, ou nous assassiner en cas de résistance. On entendit même, dans l'assemblée, qu'il fallait pendre tous les aristocrates pour que tout allât » bien : on avait posé des potences partout; on ren» contrait à chaque pas des bourreaux. Le décret » fatal fut prononcé à une grande majorité. La re»ligion est détruite. »

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Le côté droit fit éclater les plus violens murmures. On entendit au milieu du tumulte ces mots: Ce Mirabeau est un grand gueux. Mirabeau :

Je ne conçois pas d'où vient cé désordre à la suite de la lecture que j'ai faite de la lettre de M. Peretti... (Murmures.).... J'ai dit une fois dans cette tribune, notre force fait notre faiblesse. Il me serait en effet trop facile d'obtenir une vengeance éclatante des injures qui me sont faites, pour que je puisse la désirer.

Les tribunes applaudissent, ainsi que l'assemblée, à plusieurs reprises.

Plusieurs membres du côté droit: » Voulez-vous nous >> assassiner ? »

Si nous avons des phalanges à notre disposition, et que vous n'ayez que des libelles à la vôtre, il faut convenir que notre patience est grande..... Ilserait trop commode de se tirer d'un pas embarrassant par des cris et du tumulte. Tout le monde

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