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de petits rentiers de l'état d'aisance au pur nécessaire, on les prive de cet ordre de dépenses sur lesquelles principalement reposent les impositions indirectes?

» Et, messieurs, considérez, je vous prie, cette notable différence entre l'imposition des terres et celle des rentes : quand les terres s'achètent, quand elles se transmettent dans les partages, on compte sur la taxe qu'elles paient, et c'est déduction faite de cette taxe, qu'on évalue leur revenu et le capital qu'elles représentent. De sorte qu'il est vrai de dire que les impositions territoriales sont bien plutôt à la charge des fonds que des propriétaires. Mais si tout-à-coup, arbitrairement, contre la foi des conventions, vous taxez les rentes, vous altérerez évidemment le titre de leur création; vous augmenterez le prix d'achat de tout le capital d'une rente égale à l'imposition.

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Oublierons-nous encore, messieurs, un avantage bien réel, qui distingue les propriétés territoriales des propriétés rentières ? Le temps ne peut rien enlever aux terres de leur valeur; elles en acquièrent même sous une bonne administration, et le prix de leur revenu s'accroît en même temps que le prix des choses nécessaires à la vie. Le rentier, à cet égard, est dans une position bien moins favorable; la valeur numérique de ses rentes est toujours la même, tandis que la valeur relative de toutes choses augmente; il s'appauvrit donc véritablement d'année en année, au lieu que l'em

prunteur acquiert, dans une proportion inverse, toujours plus de facilité à s'acquitter.

» Observons donc, relativement à l'acquit de la dette contractée par ces emprunts, que, toutes choses d'ailleurs égales, l'abondance des espèces tendant à s'accroître, et les impositions venant à être représentées alors par une plus grande somme de numéraire, le paiement des arrérages de cette dette devient à la fois moins onéreux pour l'état, et que cet allégement dans l'avenir en compense un peu la charge actuelle. Je conclus de là que le sort du prêteur tendant à s'amoindrir, et celui de l'emprunteur à s'améliorer, c'est une raison de plus à ce dernier, si la justice pouvait s'aider de considérations étrangères, de se faire un scrupule de la plus parfaite fidélité.

» Je suis bien éloigné d'être l'apologiste des emprunts mais qu'il me soit permis de remarquer, en passant, que ces emprunts, tout funestes qu'ils sont, ont sans doute épargné aux peuples des extorsions de gouvernement plus funestes encore, ces contributions subites, ces levées forcées d'énormes capitaux, que nous avons vus se fondre d'année en année pour le soutien de nos guerres désastreuses.

» Si l'on prétendait qu'il faut distinguer ici le capital d'avec les rentes; qu'en respectant celuilà, on peut néanmoins imposer celles-ci, ce serait là un raisonnement bien léger et bien illusoire; car si un certain capital est représenté par cer

taines rentes, comment ferez-vous, je vous prie, pour grever ces rentes sans diminuer la valeur de leur capital? Non, l'on ne peut toucher à cette partie des fonds publics sans en faire soudain tomber la valeur, sans porter un grand désordre dans les affaires; c'est ruiner même de fond en comble ceux qui, avec peu de moyens qui leur appartiennent, se sont chargés, sous la sauvegarde de la foi publique, d'une forte somme de rentes commerçables.

» Il faut l'avouer, messieurs, le système qui voudrait menacer la propriété des rentes se présente ici sous une forme singulièrement bizarre et choquante; pourquoi donc le titre de rentier porterait-il avec lui quelque chose de plus funeste que toutes les autres créances sur l'état, dont aucune n'est acquise à des titres plus incontestables et plus sacrés? Quelle inconcevable partialité que de séparer cette classe d'effets publics de tous les autres effets, pour la frapper seule d'une imposition!

» On vous parle d'imposer les rentiers, en leur qualité de capitalistes. Mais ne peut-on pas regarder aussi comme capitalistes la plupart des autres créanciers publics? Asseyons donc aussi une imposition sur les cautionnemens, sur les effets suspendus, sur les remboursemens échus et à terme, sur l'emprunt de 125 millions, sur l'arriéré des départemens, sur les trente articles qui constituent la dette exigible. Il n'y a aucune exception à faire en faveur

de la dette même constituée; elle en mériterait moins que la dette exigible, si l'on pouvait calculer avec ses promesses. Attaquons aussi les rentes des créanciers du clergé, puisqu'elles sont maintenant à notre charge; imposons de même toutes les pensions civiles, militaires, ecclésiastiques: car les pensions sont aussi des rentes; avec cette différence, qu'elles n'ont pas été achetées; partout où nous trouverons des créanciers de la nation, évaluons le revenu de leurs créances, soumettons-le à des impositions, atténuons d'autant leurs capitaux, nous le devons, si nous voulons tenir ici une conduite qui ne pèche pas encore par une monstrueuse partialité; alors l'étendue de l'opération nous en fera peut-être mieux sentir toute l'injustice; et cette foule de brèches qu'il faudrait faire aux propriétés nous ouvrira les yeux sur l'attentat que l'on propose.

» Il y a plus, messieurs; et, sans forcer les choses, je soutiens que tous les capitalistes nationaux devraient être imposés, dans ce système insoutenable, quels que soient leurs débiteurs, et de quelque manière que leurs fonds soient placés; ceux qui ont des rentes chez les particuliers ne seront pas moins des capitalistes à rançonner que ceux qui ont des rentes sur l'état. Et si nous embrassons de tels principes, nous voilà livrés aux recherches les plus inquisitoriales sur les fortunes des individus et sur l'emploi de leurs capitaux; il est impossible d'éluder ces conséquences. La nation n'a

pas plus de droit sur les fonds placés entre ses mains que hors ses mains: que dis-je? elle a de plus, dans ce premier cas, les règles de la pudeur publique à observer, puisque les fonds de ses créanciers sont en sa puissance.

» Mais quand il serait possible qu'à la manière des despotes nous prissions ainsi de l'argent partout où les citoyens de l'empire n'auraient pas su le dérober à nos regards, quel droit du moins avons-nous sur la fortune des étrangers qui nous ont donné leur confiance? Ceux qui nous proposent l'opération de finance que je discute, savent que les étrangers ont une grande part dans nos emprunts; et s'ils nous disent que nous ne devons voir dans ces emprunts qu'un impôt national, ces étrangers viendront avec nos lettres patentes d'emprunts à la main; ils nous montreront qu'ils sont textuellement invités, dans ces lettres royales, à prendre part à nos emprunts; ils nous prouveront que nous sommes forcés de reconnaître, et leur qualité de rentiers étrangers, et le droit qui exempte d'imposition, puisque cette qualité et ce droit sont légalement reconnus dans leur contrat même.

» Si quelqu'un osait faire entendre que du moins le mal que les étrangers éprouveraient de cette opération ne retomberait pas sur cet empire, une telle morale vous ferait horreur, et vous sentiriez d'autant mieux tout ce qu'il y a de révoltant dans une mesure fondée sur de tels sentimens et de tels motifs.

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