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Discours sur la proposition faite à l'assemblée nationale, par M. Lavenue, d'imposer les rentes, jugée dans la séance du 4 décembre 1799 (1).

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» MESSIEURS, si je parais à la tribune, au sujet de la proposition qui vous a été faite d'imposer les rentes dues par l'état, ce n'est pas que je me flatte d'y porter des vérités nouvelles pour vous. Il est

(1) » Ce discours devait être prononcé à l'assemblée nationale: le comité d'imposition a reconnu, dans le rapport qu'il a été chargé de faire au sujet de la proposition d'imposer les rentes, que cette imposition particulière serait contraire à la justice et aux décrets de l'assemblée.

>> Je ne doutais point que ce rapport ne fût combattu par les auteurs de la motion; et j'avais résolu de traiter ce sujet de manière à ne laisser aucune obscurité sur les principes, et aucune couleur aux objections. La dicussion a été fermée avant que j'aie pu prononcer le discours que j'avais préparé. Mais les singuliers amendemens proposés en foule sur le sage décret qui a été rendu, m'ont prouvé que la principale question avait besoin encore d'être éclaircie, et qu'il fallait ôter à nos adversaires le pretexte de dire qu'on n'avait pas répondu à M. Lavenue.

» Une autre raison m'a déterminé à publier ce discours : on voudrait faire croire aux départemens que le parti populaire de l'assemblée a moins à cœur leurs intérêts que ceux de la capitale; et l'on prétendra peut-être leur en fournir un exemple par le décret du 4 décembre.

» Je ne crains pas, je demande même avec confiance que les départemens soient juges dans leurs propres causes. Ils ne sépareront pas plus que moi une partie de la France d'une autre partic. Ils ne voudront pas distinguer, dans

peu de réflexions fondamentales sur cette matière qui ne vous aient été présentées en différens temps. Je veux seulement les rappeler à votre esprit : réunies en un faisceau, elles en seront plus lumineuses et plus sensibles; et vous vous étonnerez peut-être qu'on reproduise encore une proposition, je ne dirai pas si souvent écartée par cette assemblée, mais repoussée tant de fois avec toute l'énergie de sa vertu et de sa justice.

» Nous travaillons à un système général d'impositions; nous cherchons à les répartir convenablement sur les diverses classes des propriétaires ; et quelques membres ont saisi cette circonstance

l'unité de notre constitution, les départemens d'avec la capitale, quand il s'agit de l'intérêt commun et de l'honneur de tout le royaume. On ne leur persuadera pas que ce qui est juste en soi, ce qui tient à la fidélité nationale, et à tous les grands principes de crédit public, puisse être envisagé différemment par des Français patriotes, selon les différentes parties du royaume qu'ils habitent.

» Et s'ils descendent de ces grands principes de justice générale, qui sont les premières bases d'une administration florissante, à des intérêts particuliers, ils verront que ces intérêts bien entendus donnent le même résultat que la justice. Ce n'est pas aujourd'hui que l'on peut douter que Paris et le reste de l'empire ayant des rapports intimes et nécessaires, ce ne fût bien mal entendre les avantages de l'un, que de prétendre le servir aux dépens de l'autre.

» Enfin, j'espère que l'on trouvera dans cet écrit tout ce qui est nécessaire pour l'éclaircissement d'une question assez peu connue. » (NOTE DE MIRABEAU.)

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pour traduire de nouveau devant vous un ordre particulier de créanciers publics, comme devant subir, dans leurs créances, cet impôt dont vous discutiez les bases. Or, messieurs, je pense qu'il y a dans cette opinion de grandes erreurs, des erreurs funestes; telles, en un mot, que, pour l'honneur de cette assemblée, de sa morale et de ses principes, on ne peut les dévoiler avec trop de soin. » La nation peut être envisagée ici sous deux rapports, qui sont absolument étrangers l'un à l'autre. Comme souveraine, elle règle les impositions, elle les ordonne, et les étend sur tous les sujets de l'empire; comme débitrice, elle a un compte exact à rendre à ses créanciers; et ses obligations à cet égard ne different point de celles de tout débiteur particulier. Cependant, nous voyons ici qu'on abuse de cette double qualité réunie dans la nation: d'un côté, elle doit; de l'autre, elle impose; il a paru commode et facile qu'elle imposât ce qu'elle doit. Mais il ne s'ensuit pas de ce qu'une chose est à notre portée, de ce qu'elle est aisée à exécuter, qu'elle soit juste et convenable. Souvent même cette facilité ne fait que rendre l'injustice d'autant plus choquante; et c'est précisément le cas dont il s'agit.

» Les rentiers, au lieu de nous confier leurs capitaux, en auraient pu faire toute autre disposition; les destiner à des entreprises, les prêter à des manufacturiers, à des commerçans, les placer dans les fonds étrangers; enfin, les employer de manière

qu'ils n'eussent été exposés à aucune réduction. Mais leurs propriétaires se confient à notre gouvernement; ils mettent leur fortune dans nos mains, à des conditions déterminées; et cela seul que

par

nous en sommes les dépositaires, on veut que nous profitions de cette circonstance pour en retenir une partie sous le nom d'imposition!

» Ce n'est pas sous cette réserve, messieurs, que ces capitaux ont été confiés à la nation; je dis la nation, puisque enfin, lors de ces emprunts, le gouvernement était le seul représentant qu'elle eût pour gérer ses affaires, et que la nation s'est chargée ensuite, sans restriction, de toutes les parties de la dette publique. Quand les créanciers ont aliéné leurs fonds dans l'acquisition de rentes, soit viagères, soit perpétuelles, ç'a été sous des conditions qu'ils ont regardées comme inviolables. Or, une de ces premières conditions, c'est qu'en aucun cas, pour aucune cause, il ne serait fait de retenue sur ces rentes. Lisez les lettres patentes de leurs constitutions, vous y verrez cette promesse former une des bases du contrat, et se répéter d'édits en édits. Sans cette condition, ce contrat n'existerait pas; les prêteurs n'auraient pas fait une disposition si casuelle de leurs capitaux ; ou, pour qu'ils l'eussent faite, il aurait fallu leur proposer à d'autres égards de meilleures conditions, qui eussent racheté cet assujettissement à la retenue.

» Il existe à ce sujet un fait remarquable: c'est que la clause générale qui exempte de retenue la

somme prêtée, ayant été omise une ou deux fois lors de la publication des édits d'emprunt, il a fallu la rétablir par un arrêt exprès du conseil pour que l'emprunt ait pu s'effectuer.

>> On vous propose donc d'imposer des rentes, qui n'existent, comme quelqu'un l'a déjà dit, que parce qu'elles ont été déclarées non imposables. Enfin, entre contractans de bonne foi, les engagemens se remplissent selon les termes dans lesquels ils ont été formés; quand l'un des contractans s'y refuse, la loi le force, à moins que ce contractant lui-même ne fasse la loi : alors c'est l'opinion publique qui le juge; et la réputation de tyrannie est la flétrissure qu'elle lui imprime. Ce serait sans doute une chose superflue de vous exposer les vrais principes du crédit public, de vous en retracer et la morale et la politique, de vous montrer que toute sa finesse est dans une administration loyale, toute sa force dans une inviolable fidélité. Mais je ne puis m'empêcher de vous rappeler ici ce que vous disait un jour un honorable membre du clergé, en vous exposant les principes les plus purs sur cette matière. » Quand la justice, disait» il, l'équité, la bonne foi, ne seraient que de vains » songes, l'honneur national qu'une chimère; quand » il n'y aurait de respectable au monde que l'arithmétique et l'argent, il faudrait encore en con>> venir que ceux-là sont de misérables sophistes, qui voudraient épargner quelques millions par » an, par une réduction de rentes, en y sacrifiant

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