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ne pouvait ordonner de proposer nûment un amendement, que l'opinant avait le droit de le motiver, et que le président n'était pas le maître de l'assemblée.

Mirabeau:

Apprenez de moi que, quand le président dit ces propres mots, je ne suis pas la volonté de l'assemblée, mais l'organe de sa volonté, il montre assez qu'il connaît son devoir. M. Régnault n'a pas alors le droit de lui dire qu'il n'est pas le maître de l'assemblée..

Dans la séance du 13, après une vive discussion de l'article III du projet de décret présenté par le comité d'imposition, relativement aux droits à percevoir sur l'entrée des tabacs étrangers, l'assemblée fut consultée sur la question de savoir si la priorité serait accordée à l'avis du comité. Beaucoup de membres ne se levaient ni pour ni contre, et le résultat de cette première épreuve fut douteux. Mirabeau :

Quand il s'agit d'une question importante, quand il s'agit de faire la loi, c'est-à-dire, d'exercer la fonction la plus auguste qu'on puisse remplir sur la terre, il est bien étrange que des membres du corps législatif ne concourent point, à la délibération. Je vous invite tous à vous lever pour ou contre la proposition. Je vais recommencer l'épreuve.

La priorité fut accordée à l'avis du comité.

Séance du 15 février.

Au commencement de la séance, M. Lebrun, au nom du comité des finances, avait présenté un aperçu provi

soire des recettes et dépenses depuis le premier mai 1789, à la suite duquel il proposait le versement dans le trésor public d'un secours de soixante-douze millions en assignats. Plusieurs membres demandèrent l'ajournement du décret, d'autres représentèrent que l'indigence des besoins était telle, qu'elle ne laissait pas même le temps de délibérer.

Mirabeau, à qui il n'avait pas été donné encore de successeur, déclara qu'il ne mettrait en délibération aucune des propositions qui étaient faites, avant que l'assemblée fût plus nombreuse.

M. Folleville remarqua que M. le président aurait pu refuser la parole au rapporteur; mais que, lorsque le rapport avait été fait, il n'avait plus le droit d'empêcher la délibération. Mirabeau :

L'ASSEMBLÉE, quoique composée quelquefois de moins de deux cents membres, délibère dans le commencement de ses séances sur des objets réglémentaires et de peu d'importance, et cet usage est bien légitimé par l'assiduité de ses travaux et par la fréquence de ses séances; mais lorsqu'un rapporteur présente un projet de décret d'une importance générale, et surtout ayant pour objet les contributions générales du royaume, je ne crois pas pouvoir le mettre à la votation, à moins que l'assemblée ne soit à peu près complète. Je renvoie donc cet objet vers le milieu de la séance.

Lorsqu'une heure après, M. Lebrun reproduisit le même projet de décret, il fut adopté sans que personne se fût levé pour le combattre.

Séance du soir, 14 février.

Une députation des docteurs agrégés vint à l'assemblée nationale demander l'abolition d'une loi (de 1679), qui attribuait aux professeurs de la faculté de droit le privilége exclusif de donner des leçons de droit public, avec défense aux agrégés de s'occuper de l'enseignement des lois.

Mirabeau, exerçant encore les fonctions de président:

C'EST parmi les maîtres éclairés de l'art que les productions humaines trouvent les meilleurs juges. 'Sous ce point de vue, notre nouvelle constitution mérite une estime particulière de la part des jurisconsultes. Comme elle a des droits à votre attachement, en vous considérant seulement comme citoyens, l'assemblée nationale reçoit avec intérêt l'expression de vos sentimens à ce double égard. Nous approchons de l'instant où la plus grande partie du droit public et privé qui nous a régis jusqu'à ce jour, sera mêlée dans ces vastes ruines dont nous nous voyons environnés. Il ne restera plus guère à notre usage, de l'ancienne jurisprudence, que ces vérités éternelles qui, prises dans la nature de l'homme et de la société, voient tout changer autour d'elles sans jamais changer ellesmêmes, et qui sont le principe de toute régénération durable. Le droit naturel a été le tronc primitif de toutes les tiges de cette science générale qu'on appelle droit. Mais des branches parasites ont fini par étouffer l'arbre. Il a fallu les abattre; il faudra descendre jusqu'aux racines pour faire

passer partout des rejetons sains et vigoureux. Beaucoup de choses sont faites sur cette matière, beaucoup d'autres sont à faire; notre droit particulier n'exige pas de moindres réformes que notre droit public n'en a éprouvé. Nous avons déjà fourni une assez ample matière à l'enseignement général. Hommes de loi, vous êtes désignés par votre état même pour faire connaître et chérir nos lois. La justice a toujours eu pour tous les peuples quelque chose de sacré. Nous venons d'élever partout de nouveaux temples à son honneur. Vous êtes comme les prêtres de ces temples; vous en enseignerez le culte, vous en écarterez les fausses doctrines, vous empêcherez que la religion de la justice ne se souille avec le temps par des coutumes insensécs, par des interprétations infidèles. Avant toutes les facultés du royaume il existait une grande faculté, celle de la réunion de tous les citoyens, qui chacun dans leurs divers genres, ont le droit de donner essor à leurs talens, et se rendre utiles à leur patric. Si l'esprit des corporations a été de tout resserrer, de tout arrêter, celui de la constitution actuelle est de tout développer, de tout étendre; elle s'applique à rouvrir les canaux qui peuvent rendre libre et facile toute espèce d'utile communication, et surtout celle de l'esprit et de la pensée. Ne doutez point que cette assemblée ne considère votre demande dans ses rapports avec les principes de liberté et de sagesse qui l'ont dirigée jusqu'à présent. Elle accepte l'hommage que vous

lui faites de votre projet d'enseignement du droit public et privé, en consentant à la remise sur son bureau des pièces que vous lui avez annoncées, et elle vous invite à assister à sa séance.

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L'assemblée ordonna l'impression de l'adresse et de la réponse, et le renvoi de la pétition au comité de constitution.

Dans la même séance, une députation de la commune de Paris fut admise à la barre. Son objet était de présenter les inquiétudes de la capitale sur la nouvelle du départ de Mesdames, et de demander une loi sur le mode particulier d'existence de la dynastie régnante. Mirabeau:

Vous venez de proposer au corps constituant une des plus grandes questions dont il ait à s'occuper. L'indépendance de tout autre pouvoir que celui des lois est un droit de chaque citoyen, parce que cette indépendance constitue la liberté même d'une nation. Quiconque a le droit de résister doit connaître où finit le devoir de l'obéissance; et comme chaque individu est obligé de coordonner à l'état social sa liberté, il faut qu'il puisse empêcher qu'aucun pouvoir étranger à la volonté publique n'étende ce sacrifice: Ce principe est notre sauvegarde à tous; mais il y a des exceptions aux règles les plus générales. La famille royale est indivisible du trône, et ce n'est point là que la royauté peut trouver ni barrière ni contrepoids. Même en voulant défendre la liberté, les membres de cette famille pourraient ne cacher qu'une ambition coupable; et l'on serait bien près

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