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d'imposition pour en rendre compte. J'ai laissé là mes eaux, et j'ai couru à l'assemblée, où j'ai trouvé le fait ainsi rappelé dans le procès verbal.

» Un membre de l'assemblée a demandé que le » comité d'imposition fût chargé de faire, à jour > fixe, un rapport à l'assemblée nationale sur la portion d'imposition que doivent supporter les rentes » viagères et constituées sur le trésor public; et l'as» semblée a ordonné, en conséquence, que ce rap» port lui serait fait dans la huitaine. »

» J'ai demandé à prouver en trois minutes que cette proposition est tout à la fois indécente, répréhensible et destituée de raison.

>>

» Indécente, puisqu'il ne s'agit pas de moins que de démentir et d'effacer nos déclarations les plus solennelles sur la foi publique.

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Répréhensible, en ce qu'elle est insidieuse et subreptice. Avant de savoir si l'assemblée nationale imposera les créanciers de l'état dans la matière même de leurs créances, il faut lui proposer d'expliquer ce qu'elle a entendu, non-seulement lorsqu'elle les a mis sous la sauvegarde de la loyauté française, mais lorsqu'elle a déclaré que, sous aucun prétexte, il ne serait fait de réduction dans la dette publique: on atteste la déclaration des droits de l'homme, que chacun doit payer suivant ses facultés; et moi j'atteste que tout homme a droit de réclamer ce qui lui a été promis librement.

» Destituée de raison sous deux rapports : dans le fait particulier et dans le fait général. Dans le fait

particulier, on propose à la nation d'acheter quelques millions au prix d'une infamie, et en tarissant la riche ressource du crédit public. Dans le fait général, rien de plus absurde que d'imposer les capitaux prêtés à intérêt; c'est l'emprunteur et non le prêteur qui paie l'impôt : comme en général les prêteurs sont les riches, l'impôt retombe sur les pauvres; et comme le pauvre ne peut jamais faire la loi, il faut qu'il supporte l'impôt par les privations les plus tristes pour lui et les plus désastreuses pour la chose publique.

» Tel était le très-rapide aperçu des principales raisons pour lesquelles je demandais que, si l'on ne se déterminait pas immédiatement à ensevelir une telle proposition dans l'oubli du mépris, elle fût discutée très-incessamment; et je demandais avec d'autant plus d'instance, qu'il est impossible de choisir un plus malheureux moment pour faire une proposition aussi flétrissante. Elle tend à renouveler toutes les alarmes des étrangers sur nos fonds publics. On sait que nous leur devons des sommes considérables, soit comme prêteurs à nousmêmes, soit comme prêteurs à nos créanciers indigens en sorte que ces alarmes occasioneraient des ventes forcées par la crainte, et ensuite de nouvelles extractions de numéraire, puisque l'on prétend que nous ne pouvons pas payer les étrangers en assignats.

L'assemblée a cru qu'il fallait attendre pour ouvrir ce débat le jour indiqué au comité d'im

position. Et cependant, de peur que l'inconsidération ou l'ignorance ne missent en doute l'inviolable persévérance de l'assemblée nationale, dans ses précédentes déclarations et dans les principes favorables à la foi publique, M. Prieur a proposé ce changement dans la rédaction du procès verbal.

» Un membre du comité de l'imposition ayant » observé que le comité s'était occupé de cette par» tie, et qu'il présenterait incessamment ses vues à » cet égard, l'assemblée a décrété que le comité fe» rait son rapport dans la huitaine. >>

» J'invite tous ceux de mes collègues qui regardent la noble conduite de l'assemblée nationale en matière de foi publique comme une des plus belles portions de sa gloire, à se préparer sur cette matière, quelque confiance que nous devions aux lumières du comité de l'imposition, car il a de grandes erreurs à dissiper et de grands préjugés à combattre.

» La nécessité de réveiller sur cette matière la religion et la surveillance de l'assemblée nationale est d'autant plus instante que, depuis quelque temps, les propositions scandaleuses en finances se multiplient à la tribune.

>> Et, pour en citer un exemple vraiment déplorable, je ne saurais passer sous silence les étranges paroles qu'un membre du comité a proférées dans la séance du 10 octobre, en recommandant à notre patriotisme la régie des loteries, et surtout de

la loterie royale, régie qui, selon lui, doit étre une des sources les plus fécondes et les plus innocentes du revenu public. Ainsi, comme l'a dit un écrivain très-utile, voilà le patriotisme invoqué en faveur de la loterie royale! Les loteries sont une source innocente du revenu d'une nation régénérée! C'est le corps constituant, c'est l'assemblée législative que l'on invite à se dépouiller d'anciennes préventions, à ne voir dans la régie modifiée, perfectionnée, qu'un instrument utile et jamais oppresseur, si l'assemblée donne (non au profit criminel de la loterie, car le produit diminuerait, mais à sa perception) des bases certaines et des principes bien con

statés.

Que, sous les derniers temps d'un gouvernement qui, follement prodigue et systématiquement corrupteur, était sans cesse aux expédiens, et ne convoitait le despotisme que pour se procurer de l'or, et l'or pour conserver le despotisme, de prétendus hommes d'état n'aient pas rougi d'écrire et d'imprimer que la loterie pouvait étre regardée comme un impót libre, volontaire : on s'indigne plus qu'on ne s'étonne. Mais qu'aujourd'hui, à l'aurore de la liberté nationale, on essaie d'intéresser les fondateurs de la morale publique au perfectionnement d'une institution qui précipite dans toutes les calamités du vice et de la misère les classes industrieuses du peuple, voilà ce qui fait horreur..... C'est un impôt.... Quel impôt, qui fonde son plus grand produit sur le délire ou sur le dé

sespoir! Quel impôt, que le plus riche propriétaire est dispensé de payer, et que les hommes sages, les meilleurs citoyens ne paieront jamais! Un impôt libre! Étrange liberté! Chaque jour, à chaque instant, on crie au peuple qu'il ne tient qu'à lui de s'enrichir avec un peu d'argent; on propose un million pour vingt sous au malheureux qui ne sait pas compter, qui manque du nécessaire..... Et le sacrifice qu'il fait à ce fol espoir, du seul argent qui lui reste, de cet argent qui apaiserait les cris de sa famille, est un don libre et volontaire!..... C'est un impôt qu'il paie à la souveraineté (*) !

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Certes, lorsque les yeux de l'assemblée nationale se porteront sur les loteries, elle apercevra dans un instant que cette invention exécrable, destinée à choquer tous les principes de la morale, au même degré où elle viole toutes les proportions de l'arithmétique honnête, frappe le peuple, dont les mœurs et la subsistance sont incessamment menacées, détruit le goût du travail, introduit la fraude et l'infidélité, engendre les vols, les assassinats, les forfaits; et, chose horrible! qu'elle offre le hideux spectacle d'un gouvernement exerçant le plus vil des escamotages, et mettant l'innocence, le bien-être des hommes au misérable prix de quelques millions (**).

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Signé, MIRABEAU l'aîné. »

(*) Lettre à Frédéric-Guillaume. (**) Monarchie prussienne.

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