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Ce que le comité a dédaigné, je l'ai soigneusement recherché, moi; je veux dire, les secours et la censure des hommes de l'art.

Parmi les coopérateurs que le comité des monnaies a consultés, je m'étonne de ne point trouver ceux d'entre les anciens directeurs des monnaies que la voix publique place au-dessus de tout soupçon, ou des hommes connus pour être profondément versés dans la science monétaire : M. Duperron père, par exemple, et son fils, que n'ont jamais oublié de consulter nos administrateurs des finances dans les circonstances délicates, et qu'ils se sont toujours repentis de n'avoir point écoutés; M. Beyerlé, qui a répandu sur la refonte de 1785 de vives lumières, et qui, dans un Essai sur les monnaies, dont il a fait hommage à l'assemblée, a non-seulement développé une grande profondeur de doctrine, mais démontré l'absurdité de ces observations de M. des Rotours sur la déclaration du 30 octobre 1785, que le comité des monnaies rajeunit en ce moment avec beaucoup d'éloges.

Je ne comprends pas davantage pourquoi MM. du comité ont excessivement loué M. de Solignac sans le défendre contre moi, qui n'ai voulu avoir raison contre ce prétendu monétaire qu'avec et selon Barème, et qui, à l'aide d'un si fidèle auxiliaire, ai démontré que les sublimes conceptions de cet adepte auquel le comité accorde à un degré éminent la science abstraite et difficile des changes et des calculs monétaires, se réduisaient à voler 30

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ou 35 sous par louis dans la poche des propriétaires de louis; à faire faire banqueroute à la nation, sans qu'elle y gagne en aucun sens, puisque cette opération diminuerait en même temps le numéraire d'or du royaume d'un seizième et plus; qu'enfin, et pour tout résumer en un mot, les fameuses connaissances manifestées, quant à présent, par M. Solignac, consistent dans cette précieuse découverte que nous pouvons tellement faire la loi à l'Espagne et au Portugal, ces riches propriétaires de mines, qu'ils vont être contraints, grâces apparemment à son pamphlet, de baisser le prix de l'or de 47 livres et plus par marc. Encore une fois, je ne comprends pas le silence de MM. du comité sur ma controverse avec ce M. Solignac qu'ils vantent extatiquement; mais j'espère qu'ils ne dédaigneront pas de défendre du moins leur propre système contre un de leurs collègues, et que de nos dissentimens naîtra la vérité.

J'attendais, et l'assemblée avait droit d'attendre du comité un travail constitutionnel, un travail digne des législateurs d'une grande nation; le comité semblait vous l'annoncer lorsqu'il promettait de lever l'appareil de la plaie monétaire, et d'en sonder la profondeur et les sinus; il n'a pas vu que la plaie dont il vous entretient est une légère égratignure, et que la véritable guérison qu'on attend de lui, c'est celle du corps monétaire, qui pèche par sa constitution.

Le résultat du travail du comité n'est qu'un ré

sultat de fabrication; il consiste à vous proposer: 1o. de décider la question de la proportion entre l'or et l'argent; 2o. de conserver à vos espèces le titre actuel; 3°. de supprimer le droit de seigneuriage; 4°. de faire supporter les frais de brassage par la nation; 5°. de fabriquer des pièces de 20 sous au titre de six deniers. Ce sont là autant de questions subsidiaires qui méritent aujourd'hui peu d'attention, et qui ne devraient trouver leur place que lorsque les bases du régime monétaire seront établies.

Un architecte pose les fondemens de son édifice, il en élève les murs principaux, mais l'on ne voit pas amonceler des serrures et les ouvrages de menuiserie sur la place d'un bâtiment non construit.

Le travail du comité me paraît non-seulement très-utile dans sa plus grande partie, mais encore un tissu de contradictions, de définitions inexactes et d'assertions fausses; en sorte que, pour rendre clair ce qu'il voulait nous apprendre, le comité l'a obscurci davantage.

En effet, et d'abord en vous remettant ce premier rapport, on y a joint un imprimé intitulé: Notions succinctes pour l'intelligence des discussions monétaires. Or, ces notions sont fausses, et je le prouverai, en ne relevant même que quelquesunes des erreurs les plus grossières.

On y définit la monnaie :

Une portion de métal à laquelle le législateur

donne une forme, un poids, une empreinte et une dénomination.

Le rédacteur de cette définition n'est pas assez instruit. Il y avait autrefois des monnaies de cuir, de pâte, d'écorces d'arbres; on se sert encore en quelques pays de coquilles pour monnaie; enfin la véritable définition de la monnaie est dans les lois romaines, et surtout dans Aristote, l'un des plus profonds politiques qui ait instruit le genre humain. Ce n'est pas la peine de chercher une définition nouvelle pour introduire dans le monde une erreur de plus.

On nous apprend ensuite, en parlant de la division du poids de marc, que le gros se divise en 72 grains. Mais le gros se divise en 3 deniers, le denier en 24 grains; et l'on n'aurait pas dû oublier la division la plus commune et la plus simple du marc monétaire en 8 onces, de l'once en 24 deniers, du denier en 24 grains.

Puis revenant aux définitions, on dit que la valeur intrinsèque est la QUANTITÉ EN POIDS DE matière d'or pur ou d'argent pur qui domine dans la proportion de métal appelée monnaie. Mais la valeur intrinsèque est plus; elle est l'estimation de cette quantité, et il importe peu pour la déterminer que l'or ou l'argent domine; dans votre monnaie de billon le cuivre domine, et beaucoup; cependant sa valeur intrinsèque est déterminée sur la quantité de la matière qui ne domine pas.

Veut-on nous apprendre ce qu'on entend par le

mot TITRE? On dit que c'est l'expression abrégée et conventionnelle dont on se sert pour annoncer, EN PEU DE MOTS ET EN PEU DE CHIFFRES, la valeur intrinsèque d'une pièce de monnaie ou d'un MARC MONNAYÉ. Voilà du galimatias double dans lequel je trouve trois notions fausses. Le titre exprime, non la valeur intrinsèque d'une pièce, mais la quantité de matière fine qu'elle contient, abstraction faite de la valeur. Ce mot titre indique cette quantité de fin, non-seulement pour une pièce ou un marc monnayés, mais encore pour les ouvrages de bijouterie, d'orfévrerie, et même pour les morceaux d'or et d'argent qui ne sont ni monnayés ni ouvrés. Enfin, ce n'est pas pour énoncer cette valeur en peu de mots et en peu de chiffres qu'on se sert du mot titre; car lorsque je dis qu'un morceau de métal contient vingt-deux parties d'or, je n'ai besoin ni d'un crayon, ni d'une plume, ni de chiffres pour faire comprendre ma pensée.

Le rédacteur de ces notions dit : » Un marc d'or » à 24 karats, ou 4608 grains pesant d'or pur, sont une seule et même chose. Ce qui manque aux 24 degrés de la plus grande pureté de l'or s'ap» pelle alliage,» Quoi! si dans l'intérieur du marc d'or à 24 karats il se trouve du sable ou une pierre, on dira que l'or est allié, parce que le marc d'or ne contiendra pas 4608 grains d'or fin! L'alliage ne serait-il donc pas défini d'une manière plus simple et plus vraie, en disant : C'est l'adjonction d'un métal à un autre métal; ET EN FAIT

MIRABEAU. TOME III.

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