Page images
PDF
EPUB

DISCOURS

ET OPINIONS

DE MIRABEAU.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Séance du 2 octobre 1790.

Sur la procédure du Châtelet. Mirabeau:

Ce n'est pas pour me défendre que je monte à cette tribune: objet d'inculpations ridicules, dont aucune n'est prouvée, et qui n'établiraient rien contre moi lorsque chacune d'elles le serait, je ne me regarde point comme accusé; car si je croyais qu'un seul homme de sens (j'excepte le petit nombre d'ennemis dont je tiens à honneur les outrages) pût me croire accusable, je ne me défendrais pas dans cette assemblée. Je voudrais être jugé; et votre juridiction se bornant à décider si je dois ou ne dois pas être soumis à un jugement, il ne me resterait qu'une demande à faire à votre justice, et

MIRABEAU. TOME III.

[ocr errors]

qu'une grâce à solliciter de votre bienveillance, ce serait un tribunal.

Mais je ne puis pas douter de votre opinion; et si je me présente ici, c'est pour ne pas manquer une occasion solennelle d'éclaircir des faits que mon profond mépris pour les libelles, et mon insouciance trop grande peut-être pour les bruits calomnieux, ne m'ont jamais permis d'attaquer hors de cette assemblée; qui, cependant, accrédités par la malveillance, pourraient faire rejaillir, sur ceux qui croiront devoir m'absoudre, je ne sais quels soupçons de partialité. Ce que j'ai dédaigné quand il ne s'agissait que de moi, je dois le scruter de près quand on m'attaque au sein de l'assemblée nationale, et comme en faisant partie.

Les éclaircissemens que je vais donner, tout simples qu'ils vous paraîtront sans doute, puisque mes témoins sont dans cette assemblée, et mes argumens dans la série des combinaisons les plus communes, offrent pourtant à mon esprit, je dois le dire, une assez grande difficulté.

Ce n'est pas de réprimer le juste ressentiment qui oppresse mon cœur depuis une année, et que l'on force enfin à s'exhaler. Dans cette affaire le mépris est à côté de la haine; il l'émousse, il l'amortit; et quelle âme assez abjecte pour que l'occasion de pardonner ne lui semble pas une jouissance!

Ce n'est pas même la difficulté de parler des tempêtes d'une juste révolution, sans rappeler que si le trône a des torts à excuser, la clémence na

tionale a eu des complots à mettre en oubli; car puisqu'au sein de l'assemblée le roi est venu adopter notre orageuse révolution, cette volonté magnanime, en faisant disparaître à jamais les apparences déplorables que des conseillers pervers avaient données jusqu'alors au premier citoyen de l'empire, n'a-t-elle pas également effacé les apparences plus fausses que les ennemis du bien public voulaient trouver dans les mouvemens populaires, et que la procédure du Châtelet semble avoir eu pour premier objet de raviver?

Non, la véritable difficulté du sujet est tout entière dans l'histoire même de la procédure; elle est profondément odieuse, cette histoire. Les fastes du crime offrent peu d'exemples d'une scélératesse tout à la fois si éhontée et si malhabile. Le temps le saura; mais ce secret hideux ne peut être révélé aujourd'hui sans produire de grands troubles. Ceux qui ont suscité la procédure du Châtelet ont fait cette horrible combinaison, que si le succès leur échappait, ils trouveraient dans le patriotisme même de celui qu'ils voulaient immoler le garant de leur impunité; ils ont senti que l'esprit public de l'offensé tournerait à sa ruine, ou sauverait l'offenseur...... Il est bien dur de laisser ainsi aux machinateurs une partie du salaire sur lequel ils ont compté ! mais la patrie commande ce sacrifice; et certes, elle a droit encore à de plus grands.

Je ne vous parlerai donc que des faits qui me sont purement personnels; je les isolerai de tout

ce qui les environne; je renonce à les éclaircir autrement qu'en eux-mêmes et par eux-mênies; je renonce, aujourd'hui du moins, à examiner les contradictions de la procédure et ses variantes, ses épisodes et ses obscurités, ses superfluités et ses réticences; les craintes qu'elle a données aux amis de la liberté, et les espérances qu'elle a prodiguées à ses ennemis; son but secret et sa marche apparente, ses succès d'un moment et ses succès dans l'avenir; les frayeurs qu'on a voulu inspirer au trône, peut-être la reconnaissance que l'on a voulu en obtenir. Je n'examinerai pas la conduite, les discours, le silence, les mouvemens, le repos d'aucun acteur de cette grande et tragique scène; je me contenterai de discuter les trois principales imputations qui me sont faites, et de donner le mot d'une énigme dont votre comité a cru devoir garder le secret, mais qu'il est de mon honneur de divulguer.

Si j'étais forcé de saisir l'ensemble de la procédure, lorsqu'il me suffit d'en déchirer quelques lambeaux; s'il me fallait organiser un grand travail pour une facile défense, j'établirais d'abord que, s'agissant contre moi d'une accusation de complicité, et cette prétendue complicité n'étant point relative aux excès individuels qu'on a pu commettre, mais à la cause de ces excès, on doit prouver contre moi qu'il existe un premier moteur dans cette affaire; que le moteur est celui contre lequel la procédure est principalement dirigée, et que je suis

« PreviousContinue »