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» n'y avoient aucun droit: mais on marchoit » contre le vieux & fage Melecfala, foudan » d'Egypte, qui certainement n'avoit rien à » démêler avec le roi de France. Melecfala étoit » musulman; c'étoit là le feul prétexte de lui » faire la guerre : mais il n'y avoit pas plus de » raifon à ravager l'Egypte parce qu'elle fui» voit les dogmes de Mahomet, qu'il n'y en

auroit aujourd'hui à porter la guerre, à la » Chine parce qu'elle eft attachée à la morale de >> Confucius ».

La prife de Damiette fembloit, en ouvrant le che min de l'Egypte, préparer à la conquête d'Alexan drie. L'impétuofité d'un frère de Saint-Louis, entraîna l'armée à Maffoure, & pour n'avoir pas fu réprimer fa valeur, ce prince mourut couvert de bleffures. Le monarque des François qui avoit marché précédé de la terreur, fuivi de foixante mille combattans, ne voit bientôt plus autour de lui que des foldats épuifés, hors d'état de combattre & de fuir; il vouloit délivrer des captifs & il est lui-même dans les fers. Sa grandeur n'existe plus que dans fa réfignation au malheur. Il ne paroît roi que parce qu'il ne fe laiffe pas accabler par l'adverfité; cette ville de Damiette emportée par une stérile bravoure

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devient la rançon du roi, & un million de bezans

d'or celle de fes triftes compagnons d'infortune.

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Malgré une preuve fi évidente du peu d'inté

que le ciel prenoit à une caufe que l'on difoit être la fienne, il ne fallut pas moins que la mort de la régente pour arracher Saint-Louis de la Palestine, où il demeura près de quatre ans avec les débris de fes vaiffeaux & de fon armée.

Il femble que ce monarque fe foit plus cru le roi des chrétiens que celui des François; que le petit canton de la terre fainte ait été à fes yeux tout l'univers. Il n'avoit de haine que contre les Sarrafins, & toute fon affection fe portoit fur ceux qui en avoient été perfécutés ; on peut dire que ce fut là fa maladie : fi elle lui fut bien funefte, elle le fut encore davantage à la France, puifqu'elle épuifa fes richeffes, fes forces, & ne lui attira que des humiliations; tandis qu'elle pouvoit être heureufe par ies vertus de fon roi,

& illuftre par le triomphe de fes armes.

Il n'y a pas de prince qui ait été traité avec plus de juftice que Louis IX. Il a voulu beaucoup faire pour l'églife, elle l'a placé dans le

ciel; il a beaucoup fait pour la législation, il eft mis, finon au nombre des grands législateurs, du moins au rang de ceux qui ont amené les meilleures loix. Il a été bon envers le peuple,

& le peuple l'a honoré dans fa mémoire. « Lorf» que nos pères, dit l'abbé Maury, étoient » malheureux fous les règnes fuivans; lorfqu'ils >> reprochoient à Philippe-le Bel l'altération de » la monmoie, que demandoient-ils ? les établiffemens de Saint-Louis. Lorfqu'ils murmuroient contre Louis X vendant à l'enchère les offices » de judicature, que demandoient-ils les établiffemens de Saint-Louis. Lorfqu'ils accufoient » Charles IV d'avoir accablé l'état par des dettes » immenfes, que demandoient-ils ? les établiffe

mens de Saint-Louis. Lorsqu'ils fe plaignoient, » fous Philippe de Valois, des nouvelles impof

tions dont ils étoient furchargés, que deman» doient-ils? les établissemens de Saint-Louis. Ils ne » connoiffoient point d'autre reffource pour fe

fouftraire aux vexations, & ils répétoient, en » verfant des larmes, ces paroles fimples & touchantes ce n'étoit pas ainfi que le faint roi » nous gouvernoit, que fes loix foient fuivies ». Ces regrets, lorfqu'ils fe prolongent dans les fiècles, font le plus bel éloge d'un monarque, & la cenfure la plus amère des autorités qui lui ont furvécu..

Nous avons vu fous Saint-Louis la nation ne recevoir que les influences de la royauté. C'étoit, fous la troisième race, la deftinée du peuple

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françois, de ne pouvoir plus être grand & puiffant qu'autant que fes princes s'occuperoient de faire valoir fa grandeur & fa puiffance.

Ils voyoient tout ce qui les environnoit s'humilier devant eux. « Le clergé, qui avoit

cru beaucoup gagner fi l'empire de la vio>> lence étoit détruit, reprit, fuivant Mably, au fujet de la royauté, l'opinion qu'il avoit oubliée, pendant qu'il faifoit les mêmes ufurpations que les feigneurs laïcs; il ne fongeoit pas à devenir plus fort qu'eux, il ne vouloit » que les rendre foibles comme lui ».

Lorsqu'en parcourant notre hiftoire, on a le bonheur de découvrir un règne qui préfente l'image de la juftice & de la félicité publique, son a peine à s'en détacher & ce n'eft qu'avec frayeur qu'on paffe à un autre.

On fixe à celui de Philippe-le-Hardi l'origine de ces ennobliffemens accordés par ce prince en faveur des citadins qui, au lieu de remonter à la fource de leur antique nobleffe, préférèrent une illustration nouvelle & diftincte à celle qui avoit été commune à tous les Francs. La nation étoit bien loin de ces fentimens généreux qui font puifer la nobleffe dans fon propre cœur, dans fon indépendance natyrelle, dans l'exercice de

ses vertus & de fa valeur. Après s'être trop longtemps laiffé fubjuguer par ces defpotes autrefois leurs égaux, les humbles habitans des villes ofoient à peine former le vœu de fortir de la foule qui les enveloppoit, pour s'élever à un rang plus diftingué. Le premier roturier à qui le roi dit je te fais noble, eut la fimplicité de croire qu'il changeoit d'existence, que fon fang fe purifioit, & qu'il tranfmettroit à fes defcendans un moral bien différent de celui qu'il avoit reçu de la nature. Cette pensée humiliante pour l'espèce humaine s'eft tellement enracinée avec les fiècles, malgré son absurdité évidente, qu'il a paru depuis ridicule de la combattre.

Si le règne de Philippe-le-Hardi n'ajouta rien ni à la puiffance, ni au bonheur du peuple, celui de Philippe-le-Bel prouva ce que la nation avoit à redouter de cette autorité toujours croiffante qui ombrageoit toutes les autres.

Le monarque fe fentant alors affez fort pour n'avoir rien à redouter de la nobleffe & du clergé, développa fous les yeux de la nation le pouvoir illimité d'un defpote. Les privilèges s'évanouirent devant fes ufurpations. Que Boulainvilliers lui reproche d'avoir multiplié les ennoblissemens, d'avoir inftitué de nouvelles pairies; ce font là fans doute de grands crimes aux yeux d'un écrivain

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