Page images
PDF
EPUB

table expreffion de mon coeur, combien doit être profonde fa trifteffe; elle abrégera mes jours, & je ne regretterai en mourant que d'avoir vu ma patrie toucher au bonheur, s'en éloigner, & aller fe brifer contre des écueils sen s'abandonnant à fon inconftance plus funefte que celle des vents.

Conftitution

XI DISCOURS.

Sur les Guerres civiles.

Il faut qu'un peuple foit arrivé au dernier ter

me du malheur, pour contempler de fang-froid les approches de la guerre civile. La France eft, dans ce moment, frappée de ce redoutable fléau (1). Les haines fe prononcent de plus en plus, les vengeances s'exaltent dans le vague, & s'animent dans l'incertitude. On ne croit pas à un fort plus intolérable que celui dont on s'exagère les tourmens; on femble défier l'avenir & l'infortune.

Combien de fois, cependant, on a déjà été trompé dans cette fécurité du défefpoir! Que d'hommes penfoient que leurs peines ne pouvoient pas s'accroître, qui ont vu leur mifère s'aggraver, et leur fituation devenir plus déplorable! N'étoit-ce donc rien lorfqu'on avoit la liberté & la paifible jouiffance du fuperflu, d'avoir à craindre de perdre l'un & de regretter l'autre ? Celui dont la raifon bornoit fas vœux à vivre obfcurément au sein de fa famille, n'éprouve-t-il pas des regrets en fe voyant arraché de fa retraite,

(1) Ceci est écrit en juin 1793.

forcé

forcé de s'armer pour une caufe qui lui eft odieufe, & placé entre les dangers de la désertion & le péril de la victoire? Sait-il maintenant s'il reverra les objets qui l'attachoient à la vie; fi fon domaine ne fera pas la proie du brigandage; fi, après avoir tout perdu, il ne fera pas encore un objet de pitié, & ne traînera pas des membres mutilés jusqu'au tombeau ?

Qu'ils lifent donc, ceux qui ne craignent pas la guerre civile & l'appellent à grands cris, qu'ils lifent notre hiftoire; qu'ils repaffent dans leur fouvenir les fcènes fanglantes qui ont dévasté la France fous Charles VI, fous Henri III; qu'ils jettent les yeux fur les règnes paffagers de Galba, d'Othon, de Vitellius; ils verront s'il y a rien de plus épouvantable que les combats qui fe livrent entre des citoyens pour le triomphe d'une autorité que l'ambition se dispute. fe

Hélas! ferions-nous parvenus à ce degré d'aveuglement national qui précède la diffolution des républiques & des empires? Toutes nos réfolutions deviennent téméraires, toutes nos entreprises malheureufes. Nos bataillons, dont l'ardeur impétueufe triomphoit autrefois de la difcipline & de l'expérience, reculent devant les moindres obftacles, plient à la vue de ces hor Tome V.

V

des de rebelles fubitement aguerris, ou vont se réunir fous les étendards de la révolte. Où placerons-nous donc notre confiance? dans nos canons? nous les abandonnons au vainqueur. Dans notre cavalerie? elle refufe de charger & foule aux pieds nos propres foldats qu'elle renverse en précipitant fa fuite honteufe. Dans nos places fortes? nous avons négligé de réparer celles qui nous féparoient de nos anciens alliés transformés tout-à-coup en ennemis. Dans l'accord de nos départemens? ils font divifés, ils ne combattent déjà plus pour la même cause & ne reconnoiffent plus la même autorité.

Peuple préfomptueux ! qu'as-tu fait de cette raison, de cette fageffe que tu refufois aux autres nations? Tu as élu des repréfentans, & tu les outrages; tu te propofois de donner des loix à l'Europe, & tu violes celles que tu as déjà publiées; tu as défarmé les riches, & les indigens te menacent; tu as aboli la religion, & l'impiété accumule fur toi toutes les injuftices. Tu es fur le bord du précipice; & parce que quelques fleurs t'en dérobent la profondeur, tu t'exposes

à

y être englouti. Ta capitale, jadis le féjour de la politeffe & des arts, ne préfente plus que

l'image d'une cité tumultueufe où l'arrogance a

établi son empire, où le vice infulte à la vertu timide. L'étranger n'ofe plus y apporter fes richeffes. Il venoit y chercher le plaifir & l'îdépendance, il n'y trouve plus que le foupçon, que la gêne & la menace. Qu'elle convertiffe donc maintenant fes édifices fomptueux, fes boulevards, fes jardins magnifiques en champs fertiles; qu'elle fe hâte de faire produire des moiffons à ce fol furchargé d'une pierre ftérile; que fes artifans fe métamorphofent en cultivateurs, puifque les provinces qui la nourriffoient menacent d'intercepter fes fubfiftances.

Que de matériaux s'amoncèlent pour ceux qui écriront un jour l'hiftoire de notre révolution! Tous les jours de nouveaux combats livrés au sein de la France; des villes prifes par l'audace, & abandonnées par la terreur; desj adminiftrateurs fuyant la captivité & l'outrage; des membres du corps législatif arrêtés fur tous les points de la république, après avoir été les objets de la vénération de ceux qui les enchaînent; des miniftres qui difpofoient de l'autorité, de la fortune publique, furveillés comme des coupables, & gémiffant d'une puiffance importune; d'anciens agitateurs effrayés eux-mêmes de la fédition, défertant le pofte our ils avoient juré de mourir, & ramenés honteu

« PreviousContinue »