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complu dans leurs faciles acquifitions, pâliffent aujourd'hui à la vue des progrès de la révolte, & font effrayés de fes impolitiques maximes! Déjà plufieurs d'entr'eux craignent de fe voir ravir ces poffeffions qu'ils ont récréées fous une forme nouvelle. Leur imagination fe trouble à la vue des fantômes; ils femblent appercevoir des corporations fortir de leur tombe & fe précipiter à leur rencontre comme des harpies qui fondent für des mets préparés avec foin & que l'appétit dévoroit.

Il n'y a pas jufqu'à la paifible réfignation qui ne foit alarmée en apprenant nos revers. Celui qui avoit fait à la tranquillité de fa famille, à la poffeffion de fes domaines, le facrifice de fes vains titres, de fes décorations, redoute les reproches, les mépris infultans d'une cafte qui feroit d'autant plus arrogante dans fes fuccès qu'elle auroit plus fouffert dans fes perfécutions.

Si je voulois parcourir toutes les efpérances déçues, toutes les vanités contrariées, je parlerois de celles de nos modernes prélats qui fe pavanoient déjà dans leurs brillans pompons; qui affectoient la démarche pofée, l'air digne, le fourire protecteur de ceux qu'ils ont remplacés. Une coquette qui fe feroit vue, par un coup du fort, dépouillée fubitement de fa parure, & condamnée

a dérobér fes attraits fous les vêtemens de l'indigence, n'auroit pas éprouvé un dépit plus vif que celui qu'ils reffentirent à la lecture de ce décret qui les a ramenés à la fimplicité des premiers apôtres.

Je ne pafferois pas non plus fous filence les regrets de quelques légiftes qui fe font mépris fur la véritable repréfentation du magiftrat, & qui fe flattoient de s'élever par un nouveau titre, tandis que c'étoit fur une équité constante qu'ils devoient fonder leur prééminence. Aujourd'hur renversés de leur tribunal, dispersés dans la foule, ils cherchent à y faire perdre le fouvenir d'une autorité qu'ils ont exercée avec plus de préfomption que de lumières.

Il ne faut pas cependant que l'esprit de censure nous écarte de la vérité. A travers toutes les ambitions contrariées, & toutes ces réputations éphémères, fe font montrés plufieurs citoyens dignes de ce titre. Ils n'avoient en vue que le triomphe de la loi, que le falut public, que la gloire de leur patrie. Ils ont facrifié à ces généreux motifs leur fortune, leurs plaisirs & leurs veilles; ils ne vouloient retirer de leur zèle que l'eftime de leurs compatriotes. Ce font ces hommes purs, dont la deftruction ou les infortunes doivent exciter notre intérêt. Leur vertu civique n'a pa

été affez appréciée, l'envie la plus baffe s'eft attachée à leurs pas, les a perfécutés, leura fait un crime de leur dévouement, a empoisonné jusqu'à leurs pensées. Hélas! ils éprouveroient la même injustice de la part des fugitifs, fi ceux-ci rentroient un jour triomphans dans leur patrie. L'orgueil auffi aveugle qu'implacable dans fes vengeances les accuferoit de lâcheté, tandis qu'ils ont montré plus de courage que lui; il compteroit pour rien le bien qu'ils ont fait, & ne fe fouviendroit que du mal qu'ils fe font efforcés de prévenir.

Preffé de finir ce volume que je compose sur un volcan, que j'écris à la lueur du flambeau de la guerre civile, au fon du tocfin qui retentit à mes oreilles, je n'entreprendrai pas de peindre tous les effets de notre feconde révolution: chaque jour amène un nouvel événement; jamais la fortune n'a plus précipité les mouvemens de fa roue; la renommée n'a pas affez de fes cent voix pour publier nos victoires ou annoncer nos féditions & nos revers.

On nous accuse d'exifter fans loix, & la mémoire la plus heureuse ne fuffit pas pour retenir toutes celles qu'on proclame journellement; de n'être foumis à aucunes autorités, & il s'en élève de toutes parts de plus redoutables que celles qui ont jamais exifté; d'être fourds à la voix de la na

ture, & nous adoptons indiftinctement tous fes enfans; de multiplier les indigens, & nous rendons le riche jaloux de leur pouvoir.

D'autres écrivains achèveront cette hiftoire ; je la termine à une époque où il n'y a plus de monarchie, où il n'existe pas encore une véritable république, où l'on nous a préfenté une conftitution dont perfonne ne veut, où l'on nous en promet une autre quine fera peut-être pas mieux accueillie.

Pauvres humains! que de tourmens vous vous donnez pour concilier les règles de la juftice avec les droits de la nature! Vous apprendrez un jour qu'il eft plus aifé de critiquer les gouvernemens des autres que de s'en créer un à foi-même; qu'en démoliffant avec imprévoyance l'édifice où l'on étoit à couvert, on court le risque de demeurer long-temps expofé aux injures de l'air.

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Xe DISCOURS.

Portrait des Zélateurs, tiré de l'Hiftoire. des Empereurs.

Nous ne fommes fi étonnés des excès & des meurtres qui fouillent notre révolution; nous ne l'accufons d'avoir enfanté des forfaits inouis, & d'avoir multiplié des crimes étrangers à celles des autres peuples, que parce que nous ne voulons pas nous rappeller ce qui s'eft paffé dans les temps reculés. Nous avons lu l'histoire des nations, & nous ne connoiffons pas l'hiftoire des hommes. Les événemens qui ont décidé du fort des répu bliques & des empires font reftés dans notre mémoire, & nous avons oublié ce qui a produit ces événemens; nous avons négligé les caufes pour ne nous attacher qu'aux grands résultats.

J'ai cru devoir confirmer, par un nouvel exemple, ce que j'ai déjà dit; que ce globe n'est qu'un vafte théâtre fur lequel fe répètent, à des époques éloignées, des fcènes prefque femblables; & que nous ne sommes fi frappés de celles qui fe paffent fous nos regards que parce que nous n'avons pas

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